Aux promeneurs égarés
Cela fait longtemps que j’y pense, mettre un terme à mes jours. On retient son geste pour des raisons futiles de celles qui peuplent notre quotidien, pourtant cela ne nous quitte pas au fond de nous, comme une fin inéluctable, écrite depuis notre naissance.
Jour après jour, on échafaude un plan, une préparation, digne de l’instant, et surtout en songeant à ceux qui restent pour les ménager, ne pas trop les bouleverser, mais est-ce bien possible ?
Un corps sans vie, il n’y a rien de plus désagréable à observer et encombrant à gérer. Pour éviter cette peine inutile, j’ai choisi l’exil. Comme en amour quand on ne sait pas, on ne souffre pas, une personne disparaît, mais, sans son corps, on ne peut jamais dire qu’elle est vraiment morte. Alors j’ai pris cette option, m’isoler dans un endroit où personne ne pourra me trouver.
La méthode me convient pour deux raisons. La première, je n’ai pas envie de m'infliger au cas où l’âme aurait tendance à traîner, le ballet des hypocrites venus pleurnicher devant mon cercueil. J’ai toujours détesté les enterrements et je n’ai nullement l’intention de me fader le mien.
La seconde relève d’un constat simple, on est des millions à mourir tous les jours. Si certains imaginent la mort comme un instant de solitude, moi je crains l’affluence des grands jours, comme celle des départs en vacances. L’idée de devoir supporter une foule d’individus, même mort, m’horripile au plus haut point.
Isolé dans un endroit perdu, j’ai peut-être la chance de remédier à cette affluence. C’est pour cette raison que j’ai écrit cette lettre à toi qui la lis et qui as dû trouver mon corps. Je te demande avec instance de le laisser en paix, de reprendre ta route, et de faire comme si on ne s’était jamais rencontrés.
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