5.II // Errance souterraine
— Putain, c’est par où ? Pourquoi ça fait que descendre ? Je m’souviens pas d’cet endroit. J’en peux plus ! Ça fait combien d’temps que j’les ai quittés ? Combien de temps que j’ai pas vu la lumière du jour ? J’ai presque plus de vivres, en plus… Bordel, j’vais jamais m’en sortir.
Hugo, les nerfs à vif, essuya d’un revers de manche les larmes qui perlaient aux coins de ses yeux noisette et l’empêchaient de bien voir. Alors il reprit sa descente prudente, dalle après dalle, éclairant ses pieds à l’aide du cristal lumineux qu’il avait conservé en quittant le groupe.
— En plus, je crève de chaud par ici. C’est bien ma veine, après avoir passé mon temps à me cailler avec les autres demeurés… Je me demande s’ils ont trouvé leur… « Berceau », là. Ça m’étonnerait ! Quelle connerie, ce truc. J’parie qu’ça existe même pas. Comment ont-ils pu faire confiance à ce maudit piaf ?
Un bruit régulier capta son attention, et le soldat fronça les sourcils.
— Ouais ouais, « Plic, plic », mais j’ai compris maintenant. Ah c’est sûr, j’vais pas crever de soif, c’est détrempé d’partout dans cette galerie.
Comme pour lui répondre, l’une de ses semelles dérapa soudain contre la roche humide, et le milicien perdit l’équilibre. Sa colonne vertébrale heurta brutalement le sol, et tout son corps commença à glisser dans la pente. Il eut beau tenter de s’agripper aux stalagmites alentour, celles-ci cédaient systématiquement sous ses mains impuissantes et il perdit bien vite le contrôle de sa trajectoire et de sa vitesse. Il rebondit sur la roche, sans parvenir à freiner sa descente, et ne s’arrêta qu’une fois le bas de la pente atteint, non sans fracas.
Le malheureux toussa à plusieurs reprises, encore et encore, à cause de la poussière qu’il avait soulevée et inhalée pendant sa chute. Une fois la toux calmée, il cracha face à lui et observa les alentours.
— Hé merde. C’est pire que je n’pensais… Là, ça sera vraiment un miracle si j’arrive à sortir d’ici. Mais j’ai pas envie d’crever là, moi ! Y’a quelqu’un ? À l’aide, venez m’aider !
La voix d’Hugo résonna plusieurs fois entre les parois minérales. Naturellement, aucune réponse ne se fit entendre. L’infortuné se releva, gratta vigoureusement ses cheveux blonds mi-long et crasseux, puis analysa le tunnel par lequel il venait de chuter. Il ne parviendrait jamais à remonter par là : la pente était trop raide, et cette roche humide n’aidait en rien. Il lui fallait trouver une autre issue.
Alors il se traîna, non sans peine, vers le bout du couloir naturel dans lequel il avait atterri. Il avait l’impression de distinguer un peu de lumière, là-bas. Sans doute rien de plus que ces cristaux phosphorescents, sauf que la lueur, cette fois, n’était pas blanche mais… plutôt verdâtre.
Intrigué, le soldat s’arrêta un instant et essaya de repérer ce qui pouvait bien être à l’origine de cette teinte, mais une épaisse brume – sans doute conséquence de quelque source d’humidité dans la salle en question – l’empêchait d’y voir quoi que ce fût. Résigné, il se décida à avancer, n’ayant nulle part d’autre où aller.
En s’approchant, il vit se dessiner à travers la brume un tronc, sauf que celui-ci avait quelque chose d’anormal. Hugo eut besoin d’un moment pour réaliser qu’il était en fait… à l’envers ! Les feuilles, au lieu de retomber sous l’effet de la gravité comme pour les autres arbres sagittariens, partaient du bas et remontaient. En relevant la tête, il s’aperçut que les racines de la base de l’arbre s’étendaient… au plafond de la cavité ! Incrédule, il cracha une nouvelle fois pour vérifier s’il n’était pas lui-même sens dessus-dessous, mais le flot de salive jaunâtre s’étala comme prévu, juste devant ses pieds. Cet arbre poussait à l’envers : il avait tout simplement décidé de désobéir à la gravité. C’était ainsi, et il fallait se faire une raison !
S’avançant à pas feutrés, il finit par distinguer de nombreux autres troncs à travers l’épais brouillard vert pâle : certains ascendants, d’autres descendants, et parmi lesquels dansaient d’immenses racines, tellement épaisses qu’un être humain aurait pu marcher dessus sans risquer de chuter ! Point intéressant : les sortes de lierres qui poussaient le long des troncs donnaient naissance à de petites baies rouges et oranges. Était-elles au moins comestibles ? Si tel était le cas, l’alimentation ne serait bientôt plus un problème… si tant est qu’Hugo parvînt à les atteindre !
Le couloir dans lequel il avait progressé débouchait sur cette incroyable cavité luxuriante, mais il se trouvait sur les hauteurs de celle-ci et n’en distinguait pas le fond à cause de la brume. Il hésita un moment, se penchant imperceptiblement en avant pour essayer de repérer des prises utilisables, mais ne vit rien de tel. Il grommela : s’il ne pouvait pas descendre ici, sachant qu’il ne pouvait pas non plus revenir en arrière, les choses s’annonçaient très compliquées.
Il se retourna pour confirmer qu’il n’y avait derrière lui aucune bifurcation salvatrice qui aurait pu lui sauver la mise, mais là encore, rien de tel ne lui sauta aux yeux. Faisant de nouveau face à la forêt souterraine, il marqua un temps d’arrêt en distinguant deux lueurs mobiles à travers le brouillard. Ces choses… s’approchaient. Pris de panique, son cœur manqua un battement. Il fallait qu’il se cache ! Mais où ? Non, c’était trop tard de toute façon : les deux étranges formes l’avaient sans doute repéré, puisqu’elles venaient droit sur lui. Mais alors que leur apparence se faisait de plus en plus nette, il crut revoir en elles cette sorte d’oiseau-sorcier qui les avaient guidés, lui et ses camarades, dans les entrailles terrifiantes de cette planète : les deux êtres en train de voler dans sa direction n’étaient autres que des finils !
— Eh bien, eh bien, qu’avons-nous là ? Si ce n’est pas un humain… Comment as-tu pu te retrouver ici ? demanda télépathiquement l’un d’eux.
— Attendez, je… Je suis là par erreur ! Je ne voulais pas vous déranger, bafouilla Hugo, effrayé par les deux esprits. Je voulais rejoindre la surface, et…
— Pour chercher à rejoindre la surface, il faut déjà s’être aventuré sous terre… Quelle raison t’a donc poussé à cela ?
— Hé, c’était pas ma décision ! Moi j’ai juste suivi les autres ! Ils m’ont dit de venir, alors je suis venu, mais j’vous jure que j’en avais rien à cirer de ce qu’ils cherchaient, moi !
— Et que cherchaient « les autres », humain ?
— Une sorte de truc magique à c’que m’ont dit les autres soldats. J’sais pas, ils ont parlé de… « Berceau », ou j’sais pas quoi.
— « Berceau », dis-tu, hein ? Et… où sont ces autres humains ?
— J’en sais rien ! J’me suis séparé d’eux, parce que c’était n’importe quoi ! Moi, tout c’que j’veux, c’est remonter à la surface !
— Mais sais-tu pourquoi ils cherchaient le « Berceau » ?
— L’Empereur cherchait soi-disant la vie éternelle, mais moi, c’que j’en dis, hein… Des conneries, tout ça. Ça n’existe pas.
— Et, une dernière question… Qui a parlé à ton Empereur de ce « Berceau » ?
— Ah ça ! L’espèce d’oiseau d’malheur, là. Du même genre que vous ! Non, pardon, j’dis pas ça pour vous, hein, se corrigea rapidement Hugo. J’voulais pas vous offusquer. Et puis merde, moi, tout c’que je veux, c’est rentrer chez moi. Vous voulez pas m’aider ?
Sans ajouter un mot, les deux finils se tournèrent l’un vers l’autre, et l’un d’eux hocha la tête. Que pouvaient-ils bien se dire ? Étaient-ils en train de décider qui d’entre eux allait raccompagner Hugo à la surface ? Peu importait, tant qu’on le ramenait. À moins qu’ils ne fussent en train de discuter de la sentence à lui infliger ? Il ne méritait pourtant rien de tel !
— L’un d’entre vous veut-il bien me guider à la surface ? hasarda le soldat perturbé par le soudain mutisme des deux esprits.
— Il n’en est pas question, humain. Aucun d’entre nous n’a envie de marcher pendant des jours dans des grottes alors qu’il nous suffit d’une seconde pour nous téléporter à l’air libre. Et nous avons des problèmes bien plus urgents à gérer que ton errance souterraine.
Des jours ? Des jours ? Hugo fut soudain pris de panique : cela faisait déjà deux semaines, il aurait dû être tout près de la surface, maintenant ! Était-il possible qu’il ait fait fausse route à ce point ? Il ne pourrait pas survivre éternellement dans ces tunnels !
Annotations