Chapitre 2

11 minutes de lecture

Suzie

J’appelle désemparée au secours Annie qui répond toujours présente tandis que rassemble mes idées. Annie décroche et je n’arrive pas à sortir le moindre son, des trémolos sont coincés dans le fond de ma gorge.

- Allô Suzie, ça ne va pas ? me questionne-t-elle inquiète. On ne devait pas s’appeler avant ce soir pour prévoir l’organisation de ton arrivée. Il y a une urgence car je vais partir en consultation ?

- Il m’a viré, lui annoncé-je encore choquée.

- Mais de quoi parles tu ? Je ne comprends pas ? Il t’a viré d’où ?

- Il vient de m’annoncer mon licenciement.

- Il a osé faire ça après t’avoir demandé de partir de chez lui hier ? Mais quel enfoiré ce type ? Si j’étais un homme, je viendrais lui casser la gueule ! Oh ma chérie comment l’as-tu pris ?

Annie est folle de rage. Entre elle et Jean, on ne peut pas dire que ce soit l’entente cordiale. Ils ne se sont jamais appréciés mais Annie est tout de même restée à mes côtés. Ce fût la seule à prendre de mes nouvelles.

- Jean m’a convoqué ce matin dans « la petite pièce de la terreur ». Il m’a annoncé sans ménagement que j’étais viré. Je suis encore choquée, Annie. Je n’ai rien vu venir ! Je suis trop stupide ! Stupide ! Je ne peux pas rester chez lui jusqu’au week-end comme on l’avait prévu. Est-ce que je peux venir plus tôt ?

- Évidemment ma Suzie ! Tu ne peux pas rester une minute de plus avec ce dégénéré ! Passe prendre les clés de la maison, je les mets à ta disposition à l’accueil. Il ne faudrait pas qu’il puisse te retourner le cerveau une fois de plus alors que tu as enfin pris la bonne décision.

Je ne contredit pas ma sœur. Jean a su usé de son influence sur moi à bien des égards. Seulement aujourd’hui, je ressens un mélange de colère et de honte. L’endoctrinement de Jean n’aurait aucun effet sur moi à ce moment.

Le déménagement se fait dans l’empressement car au lieu d’une semaine, il ne me reste plus que quelques heures avant que Jean ne rentre et que nous finissions par nous croiser. Je ne pourrais pas supporter de revoir son visage froid et impassible de ce matin. Je ne veux plus me faire manipuler. S’il rentrait maintenant et qu’il me demandait de rester avec son air angélique et son sourire éclatant, je ne suis pas sûre de pouvoir dire non. Argh !!! Je suis folle !!!! Je dois résister même si je suis terrifiée de me lancer dans l’inconnu.

D’habitude il est de retour vers 18h30 du bureau. Mais ce soir il a l’air de vouloir rentrer plus tard, nous ne nous croiserons pas. Jean n’est pas quelqu’un de très courageux, je l’avais déjà remarqué. Il se sert de son éloquence et de sa stature pour intimider car il sait qu’il ne tiendrait devant des poings acérés.

Monsieur est un grand seigneur, il m’a offert ma journée pour faire mes cartons. C’était juste intéressé de sa part. Il ne voulait pas me croiser.

19h30… Je viens de terminer mon dernier carton. Je ne prends que mes affaires personnelles, mes vêtements et mes livres, je lui abandonne tous nos souvenirs. Il n’a pas eu le courage de m’affronter. J’ai ressassé toute la journée ma colère et elle a fini par laisser place à la stupeur. S'il devait franchir le pas de la porte, je crois que je lui sauterais à la gorge. Il ne serait plus possible que je sois la seule à souffrir de cette situation. Je me sens trop idiote.

21h35… Mes cartons sont amassés dans ma nouvelle chambre.

Je vois bien que le compagnon de ma sœur ne déborde pas d’enthousiasme à mon arrivée. On ne peut pas dire que l’on s’apprécie beaucoup. Nous n’avons pas tellement eu de moment où nous aurions pu faire connaissance ces dernières années. Il est pour moi simplement l’homme qui vit avec ma sœur. Je n’ai pas non plus fait beaucoup d'efforts pour m’intéresser à lui. Jean m’interdisait de rester seul et de parler avec des hommes même ceux de notre cercle d'amis sans sa présence. Pour éviter un affrontement, j’obéissais. Lorsqu’il laissait sa jalousie s’abattre sur moi, il me traitait comme si j’étais une nymphomane. Comme s’il m’était impossible de résister à la gente masculine. Comme s' il m’était impossible de réfréner mes pulsions. Alors que je n’osais plus regarder aucun homme et que je fuis la gente masculine comme la peste et le choléra réunis.

Je comprends très bien qu’il ne voit pas d’un bon œil d’avoir une coloc dépressive sous son toit. Oui, je dois bien admettre que moi aussi je verrais d’un mauvais œil l’arrivée d’une étrangère dans ma vie. Avec une tête à faire peur à un fantôme. Des litres de larmes ont été déversés tout au long de cette journée, au fur et à mesure que je prenais conscience de la gravité de ma situation.

Le compagnon de ma sœur voit débarquer une belle-sœur totalement flipper et inconnue. Un malaise naissant entre nous se fait sentir. A quelle sauce va-t-il me manger ? Aigre-doux ou piquant ? Pas les bras grands ouverts en tout cas d’après sa mine L’expression de son visage ne me renvoie pas une image très fière de moi.

***

Un mois s'est écoulé et je rumine toujours autant ma déception. Une rupture amoureuse c'est comme un deuil, il y a plusieurs étapes.

La dévastation est la première phase du deuil amoureux, elle a eu lieu lorsque je me suis retrouvée seule sur le trottoir. Ce jour restera gravé dans ma mémoire tellement j’étais anéanti. Ce sentiment de solitude et d’abandon que je ressens encore me fait terriblement souffrir. J’ai un trou béant à la place du cœur.

La deuxième étape est le sevrage. Je n’ai aucunement l’envie de le revoir mais j’en ressens le besoin. Je suis dépendante affectivement de cet homme. Je me suis fait berner et je suis en colère et malgré tout j’ai encore des sentiments pour lui. Mes sentiments sont contradictoires. Il a encore une emprise sur moi, même si il n’est plus là et ça me met hors de moi.

La colère est la troisième phase, elle intègre le sentiment de culpabilité. Des milliers de questions foisonnent dans ma tête. Pourquoi suis- je resté planté là devant lui sans rien dire ? Pourquoi je n’ai pas réagit ? Pourquoi je ne lui ai pas alors dit ce que j’avais sur le cœur ? Pourquoi ai-je été aussi crédule ? Pourquoi ? Pourquoi ? J’ai de la rancœur aujourd’hui contre lui. Comment j’ai pu me voiler la face à ce point. Je me suis fait manipuler et je n’ai pas su lui résister. Je n'ai jamais réussi à m’opposer à lui.

Je me remémore encore et encore mon dernier jour de travail. Mon Seigneur m’a autorisé à prendre mes congés pendant mon préavis. Cela l’arrangé bien. Moi aussi, je dois bien l’admettre. D’une certaine manière, j’ai protégé mon petit coeur.

Officiellement depuis hier, je ne suis plus salarié de la même société que lui. Je suis libre de toutes attaches, personnelles, ça on le savait déjà mais aussi professionnelles, ça c’est plus dur à encaisser. Durant la période qui a précédé notre rupture, j’avais remarqué qu’il était mal à l’aise. J’ai cru après coup qu’il ne savait pas comment aborder la discussion de notre rupture. Mais après plusieurs semaines de réflexion, j’en ai conclu qu’il le savait. Il y a vu une opportunité et a fait une pierre de coup. Je sens la bile monter et les larmes couler encore et encore. Mes larmes à elles seules pourraient remplir un lac. Elles n’ont pas cessé de s’écouler à torrent comme les chutes Victoria.

Quatrième phase du deuil, l’abattement. Je ne suis plus sortie de ma chambre sauf pour prendre une douche. Annie m’a quasiment supplié d’aller en prendre une. Il parait qu’une désagréable odeur sortirait de sous ma porte. Ma soeur est gentille mais elle exagère toujours un peu les choses. Je n’arrive plus à sortir de mon lit. Je n’arrive plus à réfléchir et quand mon esprit se rattache à mon corps je suis pétrifié par la peur de l’avenir.

Ce matin n’est pas un matin comme les autres. Le soleil brille particulièrement à travers ma fenêtre. Je ressens l’appel de celui-ci. Je me lève avec moins d’effort et tire sur mon rideau et laisse la pièce baignée de ce soleil brillant. Une grande première, depuis mon emménagement, je sors de ma chambre sans qu’Annie m’y contraigne et avec un début de sourire au coin des lèvres. Je me rends dans la cuisine en pyjama pour grignoter. Mes gestes sont automatiques, je me sers un vers de jus de fruits, prépare un café et mange deux biscottes sans réel appétit, plus par habitude que par faim. Mon petit train-train est de retour. Suis-je sur la bonne voie ? Celle de la guérison ?

La cinquième et dernière phase du deuil amoureux est l’acceptation et la reconstruction. Je commence à retrouver l’envie de me lever, de me doucher et de me faire à manger. Mon état dépressif arrive à sa fin, je suis déterminé à remonter la pente. J’ai envie de retrouver ma vie d’avant, celle où j'avais des amis, un travail que j’aimais. Une vie dans laquelle la peur ne régentait pas mes choix. J’ai envie de vouloir prendre des décisions seules. J’ai un regain de force et d’amour-propre. Enfin !

Dring ! Dring ! Le téléphone sonne, c’est Annie. Elle m’appelle tous les jours, certains jours, plusieurs fois par jour depuis mon emménagement chez elle.

- Coucou soeurette, comment vas-tu ce matin ? Bien dormi ? Tu as mangé ? Tu as …

- Je me suis levée et je me suis préparée un pti déj, lui dis-je pour la couper dans le flot de toutes ces questions.

- C’est une merveilleuse nouvelle ! Enfin tu sors de ta chambre ! La guérison est proche ! Se moque t-elle.

- Wouah ! Merci grande soeur de ta compassion à mon égard ! Lui dis-je un peu vexée.

- Je te rappelle que ce soir j’ai un dîner avec des amies. Je pense que je vais rentrer tard, dit-elle comme si elle se sentait coupable. Tu es sure de ne pas vouloir nous accompagner ?

- Ne t'inquiète pas sœurette, je vais bien. Je vais survivre jusqu’à ton retour. Amuse-toi, ce soir avec tes amies. Profites-en pour te détendre un peu, lui dis-je en souriant. Peut-être la prochaine fois.

- Ne serait ce pas l’hôpital qui se moque de la charité ? raille-t-elle.

La journée est passée plutôt rapidement. Il faut dire qu’après ce petit déjeuner, et une douche. Je me suis habillée. Grande première depuis des semaines ou je restais en pyjama en déprimant. J’ai ouvert et traité mon courrier que Jean, mon ex, ce trou du cul, m’a transféré pour ne pas avoir à me revoir. Je le déteste ! Je ne cherche pas à savoir comment mon courrier a pu m’arriver. Je suppose qu’Annie s’est chargé de le récupérer pour moi. Je peux compter sur elle pour tous. Mon pilier.

J’ai ouvert mes valises et rempli l’armoire qui se trouve dans ma chambre. Je réalise que depuis qu’Annie m’a recueilli je n’ai défait aucun bagage. Au bout d’un mois, il était temps ! Je ne me suis pas installée comme si j’étais prête à repartir. Est-ce que j’ai gardé espoir qu’il vienne me chercher comme un chevalier en armure ? Oui. Est-ce que j’en ai envie ? Non. Cette rupture a été bénéfique, j’ai pu faire un point sur notre relation et m’apercevoir qu’elle était néfaste pour moi. Enfin, je commence à digérer la rupture. La digestion se fera lente et douloureuse mais au moins elle m’ouvre des portes sur un avenir différent.

Je n'oublie pas. Je ne pardonne pas. J’avance à pas de souris.

Je vais me mettre à chercher un emploi car si je veux pouvoir trouver un nouveau logement il me faut faire des économies. Je n’ai plus un centime de côté. Jean me demandait souvent de lui faire des cadeaux. J’étais à découvert presque tous les mois. Une manière de plus pour être plus dépendante de lui, après la dépendance amoureuse, la dépendance financière.

Il est presque 1h30 du matin quand j’entends des clés dans la serrure. Alex est en séminaire. Il se prépare avec son club à une prochaine compétition sportive.

- Suzie, je suis rentrée, crie-t-elle toute guillerette.

- J’ai entendu les clés dans la serrure, pas la peine de crier lui répondé-je. Tu m’as l’air de t’être détendu, dis-moi. Tu ne serez pas un peu pompette sœurette !

- Hum ! Columbo sort de ce corps, ironise-t-elle.

Je soupire fortement en guise de réponse et lève les yeux au ciel. Quand Annie boit un peu trop, elle a un humour un peu bizarre. Elle oublie les prénoms et nous nomme par ceux de célébrités qui lui viennent sur le moment. On passe de Rihanna à Scarlet dans le meilleur des cas. On peut finir avec un surnom qui vous restera coller à la peau comme ce pauvre garçon dont on se souvient plus de son prénom mais que ma soeur à nommer Homer.

L’appartement d’Annie et de son compagnon est chaleureux. Ma sœur a beaucoup de goût, la cuisine est plutôt lumineuse avec une verrière qui donne sur la grande pièce de vie. Je rêve de me trouver un appartement aussi beau. Annie me rejoint dans le canapé où la télévision est allumée. Celui-ci est tellement cosy que je m’y sens bien. Le salon est ma pièce préférée de cet appartement. Je suis la meilleure personne et de loin pour en juger. Je ne compte plus les heures passées dans cette pièce. Surement plus qu’Annie depuis son emménagement.

Je fais un effort pour lancer la conversation et montrer un peu de bonne volonté sur mon changement d’humeur. Je lui demande comment s’est passé son dîner avec ses amies. Il faut dire que depuis mon arrivée fracassante, elle ne s’était plus autorisée de sorties. Elle avait préféré rester avec moi, sa sœur dépressive. Histoire d’essayer de me remonter le moral.

Nous n’avions pas besoin de parler, seule sa présence m’était indispensable durant cette période. Mon psychique allant mieux, je l’avais encouragé à aller à ce dîner. Annie l’avait senti également et avait alors accepté de se rendre à la sortie entre copines qu’elles font chaque mois.

Nous n’avons pas eu l’occasion de nous rencontrer avec ses copines. Certainement à cause de Jean qui ne voulait pas que je sorte sans lui. Les sorties entre filles étaient bannies avec ce trou du cul. Oui, c’est le nouveau surnom que je lui ai attribué. J’exprime ma colère et ma frustration comme je peux. Je ne suis pas violente, physiquement j’entends. Ce n’est pas avec mes petits bras que je vais faire peur à quelqu’un. Donc j’utilise un langage moins châtié.

Annie me raconte le déroulé de leur dîner. Elle me fait une description du jeune et beau serveur, d’après elle : grand, brun, un Adonis. Je vais mieux certes mais je ne suis pas encore prête à me relancer à la recherche d’un homme. Je suis trop en colère et j’ai trop peur de la déception que je pourrais lire dans les yeux d’un autre.

Si Jean avait eu raison sur moi ? Pourrais-je plaire à un autre homme ?

Ne voyant aucune réaction à sa description très subjective, Annie enchaîne sur le menu et plus spécialement sur le dessert chocolaté. Un dessert merveilleux ! dit-elle. Sans doute me serais-je damné pour une bouchée car j’adore le chocolat. Je n’ai aucune volonté face à un carré de chocolat. Je dois dire que ces dernières semaines j’ai mangé des tonnes de chocolat. Le chocolat a assurément eu un effet positif sur ma guérison. Le chocolat a le don de me mettre dans des états de béatitude incroyable.

Nous savons tous que le chocolat a quelque chose de magique.

Annotations

Vous aimez lire C. Bédéhache ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0