Cœur de pierre

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Ô toi, pierre en forme de cœur, gisant là, inerte et froide sous mes doigts... Toi qui sembles avoir traversé les âges, les tourments, avec pour seule armure ta silencieuse endurance. Que de secrets enfouis tu dois receler, que de chagrins cristallisés dans tes veines minérales !

Je te ramasse, te soupèse au creux de ma paume. Étrangement lourde et légère à la fois. Lourde de toute la pesanteur des ans, de tout le poids des peines qu'on a dû te confier. Légère pourtant comme l'éther, comme l'absence, comme tous ces mots d'amour jamais prononcés.

Énigmatique vestige d'un monde lacéré de passion, entends-tu les lamentations de mon âme ? Mes plaintes, mes prières, mes psaumes d'écorché, s'échouant sur tes flancs impassibles ?

Vois...

Mes larmes ruissellent sur ton calcaire impavide, y creusant de minuscules sillons, comme autant de stigmates de mon intérieur supplicié. L'eau salée s'insinue dans tes fêlures, tes craquelures, sculptant dans ta chair rocheuse l'empreinte indélébile de ma souffrance.

Sens ...

Je te serre contre mon sein meurtri, t'étreins à m'en faire blanchir les phalanges. Puissé-je, par cette communion pathétique, transmuer ma peine en poème !

Entends ...

Ô pierre-cœur, entends mon chant de douleur ! Mon thrène désarticulé, fragment par fragment ! Que ton mutisme minéral se fasse l'écrin de mes sanglots, le tombeau de mes espérances essorées...

Je titube sous le ciel d'encre, t'emportant, précieuse relique, talisman âpre et rugueux. Seul trésor rescapé du grand naufrage de l'amour. Brûlant et glacé à la fois, tu pulses contre ma chair à vif comme un cœur arraché, sanguinolent...

Entends-tu cette musique lancinante qui s'élève ? Ces stridences, ces stridences qui vrillent la nuit complice ? C'est mon requiem qui se joue, ma pavane désaccordée de paria, d'exilé des tendresses...

Ô dérisoire caillou, seul témoin de mon calvaire ! Toi le lapidaire dépositaire de ce qui fut mon histoire, ma folle et brève apothéose ! Te voilà ma pierre tombale, mon gisant de fortune où je m'échoue, pantelant...

Emmurée dans ta gangue immémoriale, mes peines pétrifiées, mes ivresses cendreuses, qui elles aussi un jour battaient la chamade... N'en subsistent que ces imperceptibles striures, comme un électrocardiogramme fantôme...

Ô cœur minéral, que ne puis-je comme toi congédier les orages, réduire en poussière d'astres mes déchirures ! Que ne puis-je enfouir au tréfonds de mes veines, pareil à un magma refroidi, les laves torrentielles de l'amour !

Mais je ne suis qu'un fétu de paille à la dérive, un pantin désâmé, grotesque... La proie consentante et hagarde de cette grande illusion qu'est la passion...

Toi seule me restes, ma pierre philosophale. Mon Graal de rocaille et de caresse suspendue. Garde-moi en ton sein, ô confidente millénaire ! Que s'exhale à jamais de toi ce parfum poignant de l'amour mort...

Et si d'aventure un cœur éperdu te ramasse sur son chemin, murmure-lui mon histoire, mon effroi, ma gloire d'aimer...

Dis-lui qu'un poète a un jour gravé dans ta chair l'épitaphe flamboyante d'une passion absolue. Qu'il a pleuré sur toi toute les larmes de son corps, à en fendre l'âme et le granit... Qu'il a scellé dans ton éternité minuscule l'alliance sacrilège du Verbe et du Néant.

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