L'antécupidon
L'après-midi touche à sa fin, en bon assassin il se prépare. Il vérifie son fusil longue portée, le graisse un peu, nettoie sa lunette de visée et sort.
Bien qu'on puisse avoir besoin de lui à toute heure, Antécupidon soigne toujours sa préparation de fin d'après-midi, car le crépuscule et ses couchers de soleils sonnent l'apogée des élans amoureux. Il sillonne la ville et tombe sur un premier couple, attablé autour d'un dîner romantique. Il s'installe derrière une poubelle municipale, non pas pour se cacher puisque nul ne le voit, mais pour le souci du détail, le fumet de déchêt ajoute souvent un petit plus à son action.
Antécupidon prend quelques secondes pour analyser les attitudes du couple, regards langoureux, poses suggestives, doigts qui se frôlent… C'est un début de relation, la séduction est en œuvre, encore quelques minutes et les cœurs pourraient conclure vers un après-repas à domicile. Le moment arrive, il vise la gorge de l'homme et tire au moment où leurs lèvres se rapprochent.
Un rot sonnore s'élève et repousse aussitôt la bouche de la femme dans une mimique de dégoût. L'amour qui commençait doucement à s'installer en elle s'envole aussitôt, Antécupidon a réussi son tir et s'en va sans un regard pour la dispute qui éclate.
Il parcourt la ville, décourageant de ci-de là les ardeurs en développement avant de se rapprocher d'immeubles résidentiels. Il tend l'oreille et, oui, des habits sont jetés au sol dans des soupirs de désir. Antécupidon escalade une façade - personne ne le voit, on vous dit - jusqu'à se hisser à la bonne hauteur. Les volets sont fermés, mais qu'importe, sa lunette transperce tous les matériaux.
Les amants sont presque nus, Antécupidon décèle de la timidité, de la découverte. Une première fois, décidement c'est sa soirée de chance ! Ni une, ni deux, il vise les pieds de la femme et les affuble d'épaisses chaussettes avec l'idée saugrenue de les garder.
- C'est mon fantasme, tu comprends ? se met-elle à lui expliquer.
Une petite hésitation fait frémir Antécupidon, serait-il tombé sur un fétichiste des chaussettes épaisses ? Un esprit ouvert à la découverte ? Il soupire de soulagement, en apercevant la perte de vigueur du bonhomme. Le lit restera froid.
Le reste de la soirée poursuit son train train habituel, ébats amoureux coupés dans leurs élans ou vieux couples boursoufflés d'ennui ; le métier de tueur d'amour ne connaît pas le chômage.
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