Chapitre 3

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Le week-end se déroula sans encombres, l’événement du vendredi soir fût oublié et je profitai au maximum de la joie permanente qui régnait chez les Aurinko. Puis vint le mercredi après-midi, jour tant redouté du club de slam.

Elle ne t’a pas demandé la lune, juste d’être présente, c’est pas comme si ma voix allait me revenir et que j’allais devoir lire un de mes poèmes ! Non ! En plus Sydän m’accompagne…

 Pendant que je ruminais sur mes prochaines heures, mon meilleur ami m’observait tournant en rond dans sa chambre. Ayant mon casque audio sur les oreilles, je ne l’entendis pas entrer et encore moins rire de mon petit manège. Il me retira mon casque et me stoppa dans mon élan en m’entourant de ses bras.

 « On dirait un lion en cage ! Qu’est ce qui te stresse à ce point ? Le club de slam ? »

 Je lui lançai un regard noir qu’il prit comme une offense, mais n’étant pas rancunier, il me jeta sur le lit et commença à me chatouiller pour tenter de me soutirer un rire. Ce que je fis sans tarder, il savait où viser ce petit malin ! Ne pouvant lui crier de s’arrêter, je ripostai.

Tu ne croyais tout de même pas m’avoir si facilement ? Attends de voir ce que je vais te faire !

 Joignant le geste à la parole, je lui soulevai le bas du t-shirt pour le chatouiller aux zones les plus sensibles.

« Hahaha, stop arrête ! Tu as gagné, ok, je m’avoue vaincu ! »

 Je pris rapidement mon ardoise et répondit :

« Je préfère ça ! » avec un smiley tirant la langue.

 Sydän regarda sa montre.

« Dépêche-toi, on va être en retard ! Je t’attends dans la voiture, je préviens ma mère !

Une fois arrivé au lieu de rendez-vous, sa mère nous salua de la main en s’éloignant et Sydän me prit la main pour me faire avancer. Notre professeure se tenait dos à nous, debout sur la scène, expliquant aux nouveaux arrivants le déroulement de la séance.

 « Vous êtes là ! Entrez, entrez et asseyez-vous ! Je vais reprendre rapidement pour nos retardataires. Ici, je ne suis plus Mme Renard votre professeure de français mais Cécile, poétesse comme vous. Aucun jugement négatif des autres n’est toléré, nous sommes ici pour exprimer nos plus profondes émotions au travers de poèmes écrit ici même ou pendant votre temps libre. Nous allons respecter les consignes des concours de slam : trois minutes maximum, tout poème doit être une œuvre originale, pas de costumes ni d’accessoires, pas d’assistant sur scène, seulement le poète et enfin, les instruments sont interdits. Deux séances ont déjà eu lieu, certains ont donc déjà pu s’initier au slam. Pour ceux d’entre vous qui assistent à votre première, le déroulement est simple. Vous avez une heure pour écrire un ou plusieurs nouveaux poèmes ou revoir des poèmes déjà écrits. Pendant la seconde heure, pour ceux qui le souhaitent uniquement, je n’oblige personne, vous pouvez slamer votre poème sur notre petite scène du CDI. Nous pourrons vous donnez, les autres élèves et moi-même, des conseils pour vous améliorer aussi bien sur votre écriture que sur votre prestation. Chacun d’entre vous est ici pour une raison différente mai retenez bien qu’un lien vous relie tous : la poésie ! Alors prenez du plaisir, amusez-vous, déclarez-vous, faites comme bon vous semble ! Vous pouvez commencer votre phase d’écriture, je vais passer auprès de vous pour voir ce dont vous êtes capable. »

Après une trentaine de minutes, Cécile s’approcha de moi. Elle n’osa pas lire par-dessus mon épaule, comme il y a quelques jours, de peur de me braquer. Je me retournai, la regardai un sourire confiant aux lèvres et lui fit signe de s’approcher. Une fois arrivé au bout de sa lecture, son commentaire fût sans appel :

 « Je ne regrette pas d’avoir insisté pour te faire venir. Je sais que tu restes pour le moment cloisonnée dans ton silence, mais je suis persuadée que la poésie t’en fera sortir, et plus tôt que tu ne le penses. Que penses-tu du club malgré tes réticences ?

- J’avais beaucoup d’appréhension et je ne dis pas que la parole va me revenir en un claquement de doigts en venant ici, mais cela peut en effet m’être plus que bénéfique alors merci.

 - Il n’y a pas de quoi, j’ai grand plaisir à te voir ici. Tu vas voir, certains ont beaucoup de talent, j’espère que tu prendras plaisir à les écouter et les aider.

- Je vais tout faire pour.

 On se fit un sourire mutuel et je replongeai dans mes vers.

Arriva le moment tant attendu du passage sur scène. Six élèves sur les seize présents se proposèrent, chacun possédant un style bien à lui. Le dernier venait de recevoir ses applaudissements et chacun allait bon en train pour lui prodiguer leurs meilleurs conseils. À ce moment, une vision me submergea.

Ma sœur se tenait quelques mètres devant moi, elle n’avait pas un air angélique comme je le pensais, elle paraissait aussi vivante et humaine que vous et moi.

 « Mykkä ! Quel plaisir de te voir ! Je n’ai que peu de temps alors ne m’interrompt pas. Tu vas monter sur cette scène et tu vas slamer ! »

 Je levai le doigt, m’apprêtant à l’interrompre.

 « Tututututu ! Je ne veux rien savoir ! Je sais que tu es muette mais fais-moi confiance. Déclame ce poème, non pas pour faire plaisir à Cécile ou aux autres élèves, mais pour toi et pour moi. Je veux qu’à travers toi je retrouve ma voix, mes poumons, mes cordes vocales. Montre-leur ta douleur qui se propage en toi à chaque seconde, la tristesse que tu ne peux déverser par tes larmes, mais surtout la fierté Mykkä, la fierté que j’ai pour toi ! Si j’avais su plus tôt que ta poésie avait un tel pouvoir, je te promets que je t’aurais jetée sur la scène de force ! Riait-t-elle. Mykkä, tout ce que je souhaite, c’est que tu sortes du trou béant dans lequel tu t’es jeté à ma mort. Pense à moi, vit moi, respire-moi, slam moi, je t’aime ma sœur ! »

 Elle me lança un baiser invisible et ma vision s’évanouit.

Toutes les personnes présentes dans le CDI étaient postés tout autour de moi, essayant de comprendre ce qu’il m’arrivait. En rouvrant les yeux, je repris mes esprits le temps de quelques secondes, marcha la tête haute vers la scène et un silence total se fit lorsque j’empoignai le micro d’une main ferme. Et mes premiers vers s’envolèrent.

« Le feu qui brûle en moi

Me ronge les entrailles

Avec une lenteur incomparable

Ce feu nourri par la douleur

Par le désespoir, la désolation

Crépite et dissout mon cœur

Chaque étincelle crée par ton souvenir

Alimente l’âtre qui s’embrase en moi

Par les flammes du cancer

Tes poumons ont été dévorés

Tes cordes vocales brisées

Ta voix de cristal a volé en éclats

Lentement tes poumons-brasier

Se nourrissait de la noirceur

De ta démoniaque maladie

Te faisant traverser le Styx

Direction Hadès et ses Enfers

M’emportant avec toi

Ma voix devint muette

Mon cœur noir de jais

Mes poumons se vidèrent

Et je perdis les couleurs de la vie

Lorsque tu poussas

Ton dernier soupire »

 Aucun bruit.

 Tous me regardaient figés sur leurs chaises.

 Ils reprirent tous leur souffle comme si on les en avait privé le temps de ma déclamation.

 La pièce applaudit.

 Et je m’évanouis.

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