Chapitre 7

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Le mois d’octobre pointa le bout de son nez, apportant avec lui froid et grisaille. Le vent soufflait de plus en plus fort, et les feuilles des arbres ne cessaient de tomber. Dans la cour du lycée, l’herbe verte était maintenant parsemée de centaines de feuilles jaunes et orange, formant de magnifiques motifs colorés. Rares étaient les élèves qui continuaient à déjeuner dehors sur les tables de pique-nique. Lisa et Astrid en faisaient pourtant partie, persistant à croire que le beau temps reviendrait, et qu’il fallait profiter de l’air frais tant qu’il ne pleuvait pas. Les premiers temps, Joey et Kevin continuaient à les rejoindre, puis ils finirent par déchanter lorsqu’ils comprirent à quel point ces repas pouvaient se révéler dangereux : plusieurs fois, la gamelle vide d’Astrid fut soulevée par le vent et projetée contre la tête de Joey ; d’autres fois, ce fut Lisa qui faillit se recevoir une bouteille, puis une fourchette en plastique en plein visage ; pour clore le tout – et ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase –, le vent agita un jour si violemment les branches du châtaignier sous lequel les quatre lycéens prenaient leur déjeuner que des bogues de châtaignes se détachèrent de l’arbre et vinrent s’abattre sur la table de pique-nique. « Couvrez-vouuus ! » s’écria Lisa, mais ce fut trop tard. L’une des bogues heurta le crâne de Kevin et le pauvre garçon s’écroula face contre table, assommé sur le coup. Il fallut le conduire à l’infirmerie, et il se réveilla quelques minutes plus tard avec une énorme bosse sur la tête. Dès lors, Lisa et Astrid ne furent plus que toutes les deux à prendre leur déjeuner dans la cour. Elles traitaient les garçons de mauviettes, et éprouvaient une sorte de fierté à retourner en cours l’après-midi avec les cheveux ébouriffés par le vent.

Les mathématiques étaient rapidement devenues la matière préférée de Lisa. Les années précédentes, c’était la physique qui avait occupé cette place, mais désormais, la jeune fille ne jurait plus que par les cours de M. Bates. Tous les matins, de dix heures et demi à onze heures et quart, elle suivait sa leçon avec passion. Sa classe étudiait à présent le chapitre de géométrie analytique : un thème très riche – il allait certainement couvrir plusieurs mois – et relativement complexe, mais c’était justement ce qui motivait Lisa. Avec M. Bates, elle avait l’impression de découvrir les maths pour la première fois. Tout ce qu’elle avait pu assimiler auparavant dans cette matière n’était que poussière, comparé à ce qu’elle apprenait aujourd’hui. Contrairement aux autres profs de maths qu’elle avait pu avoir, M. Bates était passionné par ce qu’il faisait, et il arrivait à communiquer sa passion à ses élèves – pas à tous, certes, mais au moins aux plus réceptifs. Lisa était en totale admiration devant lui. Il maîtrisait son sujet à la perfection, maniait les équations comme un dieu, et impressionnait sans cesse la classe en résolvant des problèmes en moins de cinq lignes, alors que les élèves remplissaient des pages entières avant d’aboutir à la même solution. Bien sûr, il leur donnait toujours autant de devoirs à faire à la maison, mais ces exercices n’étaient plus une corvée pour Lisa. Au contraire, ils étaient devenus un véritable plaisir. Elle avait l’impression de s’amuser en résolvant des équations, et la jouissance intellectuelle qu’elle éprouvait lorsqu’elle en trouvait la solution valait largement le temps qu’elle passait dessus. Il lui arrivait même parfois de sortir son bouquin de maths à table, au déjeuner, pour commencer à lire les exercices qu’elle aurait à faire le soir en rentrant chez elle. Astrid ne comprenait pas comment son amie avait pu en arriver là.

- Mange donc ton donut, avant qu’il ne s’envole ! lui dit-elle un midi, entre deux bourrasques.

Mais Lisa avait les mains bien trop occupées à retenir les pages de son manuel de maths pour éviter qu’elles ne soient arrachées par le vent, et ses yeux étaient rivés sur l’énoncé d’un problème de géométrie. Les mathématiques viraient à l’obsession chez elle…

En cours, Lisa buvait littéralement les paroles de M. Bates. Il fallait dire que sa voix était si agréable à écouter ! Une voix profonde de baryton, qui sonnait comme une musique aux oreilles de la jeune fille... Cerise sur le gâteau : M. Bates la faisait constamment rire. La plupart du temps, les crises de fou rire de Lisa se déclenchaient lorsqu’il envoyait un de ses camarades de classe au tableau : il avait l’art de se moquer gentiment de ses élèves, en lançant des blagues que seuls les happy few pouvaient pleinement savourer. Un matin, cependant, il provoqua l’amusement de Lisa en plein cours théorique, alors qu’il terminait d’écrire au tableau un axiome de dix pieds de long.

- Voilà pour le théorème, dit-il en se frottant les mains pour enlever la craie qu’il avait sur les doigts. Une démonstration ? proposa-t-il.

Hélas, personne ne lui répondit, car cela faisait déjà plusieurs minutes qu’il avait largué ses élèves. Ces derniers s’efforçaient tant bien que mal de recopier les dizaines de lignes qu’il avait inscrites au tableau, mais son écriture n’aidait pas, et ils n’arrivaient jamais à rattraper leur retard. Lisa elle-même était à la traîne.

- Quelqu’un en a-t-il besoin ? reprit-t-il. Oui ? ... Non ? … Personne ?

Lisa, qui commençait à avoir une crampe à la main, reposa son stylo et observa l’enseignant avec un petit sourire amusé. Il avait l’air de se sentir drôlement seul. Il tendit sa main vers la partie droite de la classe et demanda :

- Est-ce inutile ? 

Puis, tendant sa main vers la partie gauche :

- Est-ce nécessaire ?

Lisa se mit à pouffer de rire devant ce monologue digne d’une pièce de théâtre.

- Pas de réponse…, constata tristement M. Bates en baissant les bras.

Arthur finit par avoir pitié de lui, et s’arrêta d’écrire pour lui demander s’il pouvait effectivement faire la démonstration au tableau.

- Ah, je savais bien que ça pouvait en intéresser quelques-uns ! s’exclama M. Bates avec une joie retrouvée.

Comme il n’y avait plus de place sur le tableau, il s’empara de la brosse et commença à effacer la démonstration précédente. Des cris affolés retentirent alors aux quatre coins de la salle et plusieurs élèves s’écrièrent :

- Non, non ! Attendeeez ! On n’a pas fini de tout recopieeer !


Même si Lisa avait cours de maths tous les jours, il lui semblait que ces trois quarts d’heure passés avec M. Bates n’étaient pas suffisants. Aussi cherchait-elle à apercevoir son prof le plus souvent possible. Chaque fois qu’elle passait devant sa salle, que ce soit pour se rendre en cours de physique ou en cours de chimie, elle tournait la tête pour voir s’il se trouvait à l’intérieur. Ce qui au début n’était qu’une simple curiosité – quoi de plus naturel que de tourner la tête en passant à côté d’une porte ouverte ? – s’était rapidement transformé en une habitude. Elle ne cherchait même pas à s’expliquer pourquoi elle agissait ainsi. C’était instinctif. Et puis, elle devait bien se l’avouer : M. Bates n’était vraiment pas désagréable à regarder. Il n’y avait pas que son costume et son nœud papillon qui attiraient le regard de Lisa. Son visage, lui aussi, avait un charme particulier. Avec ses cheveux bruns et courts décoiffés avec style, son regard perçant et sa peau blanche toujours rasée de frais, Lisa pouvait même dire qu’il était plutôt séduisant. En somme, c’était un petit plaisir des yeux qu’elle s’accordait dès qu’elle passait près de la classe de M. Bates. Naturellement, tout ceci ne restait qu’une simple distraction, rien de plus. Il y avait des limites à ne pas franchir. Même si Lisa ressentait toujours une certaine déception lorsqu’elle regardait par la porte de sa salle de maths et que son prof n’était pas à son bureau...

Lisa ne ratait jamais une occasion de parler de M. Bates autour d’elle. Au début, elle se contentait d’en discuter avec Joey, qui l’avait lui aussi comme prof de maths. Puis, elle découvrit que sa nouvelle voisine de casier, Ashley Westbrook, assistait également à ses cours l’après-midi. Cependant, elle ne semblait pas apprécier M. Bates autant que Lisa.

- J’ai beaucoup de mal à suivre ses cours, avoua Ashley alors que les deux jeunes filles se retrouvèrent devant leur casier lors d’un interclasse. Dans mon ancien lycée, les cours de maths n’étaient pas aussi compliqués et n’allaient pas aussi vite... Je me suis pris un C au dernier contrôle ! Jamais je n’ai eu une note aussi mauvaise en maths...

- Ses devoirs sont assez durs, en effet, confirma Lisa. Mais je pense que les suivants seront moins difficiles : comme c’est un nouveau prof, il lui faut un certain temps pour s’adapter au niveau des élèves du lycée… 

- M. Bates n’a pas l’air d’un prof qui souhaite s’adapter au niveau de ses élèves…, répliqua Ashley d’un air dubitatif. En fait, il n’a tout simplement pas l’air de vouloir s’adapter au monde qui l’entoure ! Sérieusement, tu as vu ses nœuds papillons ? Il se croit au bal de promo ou quoi ?


Ce jour-là, le temps était particulièrement orageux. L’air était lourd, et le ciel rempli de nuages sombres et menaçants. Pourquoi diable Lisa avait-elle choisi ce jour pour aller se promener en pleine nature ? Elle se retrouvait perdue au beau milieu d’un champ, avec des collines à perte de vue...

Elle n’était pas seule. A côté d’elle, un homme marchait d’un pas paisible. Elle se tourna vers lui. C’était M. Bates. Il portait un pantalon marron, une veste noire, un gilet jaune pale par-dessus une chemise blanche, et… un nœud papillon à carreaux bleus et blancs.

Lisa n’avait aucune idée de la raison pour laquelle il avait accepté de l’accompagner, mais il était bel et bien là, et sa présence la réconfortait. Tous les deux avançaient dans une prairie abandonnée. Il n’y avait rien d’autre autour d’eux qu’une vaste étendue d’herbe verte, tapissée de feuilles mortes jaunes et orange. Ils étaient seuls au milieu de nulle part. Seuls dans l’immensité.

Le vent commença à se lever, faisant défiler les nuages au-dessus de leur tête et soulevant les feuilles à leurs pieds. Celles-ci se mirent à tournoyer autour des deux individus, entraînées par les bourrasques dans une sorte de danse inquiétante. Lisa et M. Bates se rapprochèrent instinctivement l’un de l’autre. Les feuilles étaient toujours plus nombreuses à décoller du sol et à tourbillonner dans les airs. Au bout de quelques secondes, il semblait y en avoir des milliers. Apeurée, Lisa chercha la main de M. Bates. Ce dernier remarqua son geste et fit de même. La jeune fille sentit sa main à la fois puissante et douce se refermer sur la sienne, et exercer une légère pression pour la rassurer.

Les rafales de vent se transformaient peu à peu en tempête. A l’horizon, d’étranges tourbillons se profilaient. Lisa n’arrivait pas à les distinguer clairement à cause des feuilles qui virevoltaient dans tous les sens, mais elle comprit qu’ils avançaient dans sa direction. Lorsqu’ils ne furent plus qu’à une certaine distance de l’homme et de la jeune fille, celle-ci réalisa alors qu’il s’agissait de tornades. Une dizaine de tornades fonçaient droit sur eux.

Lisa comprit alors qu’ils allaient mourir. Elle leva la tête pour regarder M. Bates dans les yeux, et lut dans son triste regard qu’il était arrivé à la même conclusion. Il n’y avait plus rien à faire. S’enfuir était inutile : les tornades finiraient par les rattraper. Il ne leur restait plus qu’à attendre leur sort. Pour rendre cette attente moins pénible, l’homme et la jeune fille se serrèrent l’un contre l’autre. C’était aussi une manière pour eux de se protéger mutuellement. Après tout, ils n’en avaient plus rien à faire des convenances. Pourquoi se soucier de leur différence d’âge, ou du fait qu’il était un professeur et qu’elle était son élève ? Ils allaient mourir tous les deux.

La fin était proche. La tête blottie contre la poitrine de M. Bates, Lisa entendait le vacarme des tornades s’intensifier. Autour d’eux, les éléments se déchaînaient. Au cœur de l’apocalypse, ils n’avaient pas d’autre issue que la mort.

Mais Lisa voulut profiter de la vie une dernière fois.

Relevant la tête, elle plongea ses yeux dans ceux de M. Bates. Son regard était si intense… Elle se hissa alors sur la pointe des pieds, ferma les paupières et pressa ses lèvres contre les siennes. L’homme lui rendit son baiser en posant sa main gauche contre sa joue. Lisa sentit un incroyable bien-être se propager dans tout son corps. Une sensation mêlée d’extase et de paix se mit à rayonner en elle, et à travers elle. Un halo doré resplendissait autour des deux êtres humains, et cette aura mystérieuse semblait les abriter de la tourmente. Les tornades déviaient de leur trajectoire, passant à côté d’eux sans les toucher. C’était comme si le bonheur que les deux individus ressentaient à présent les protégeait de la mort. Bientôt, les tornades disparurent au loin, les feuilles mortes retombèrent dans l’herbe, et le calme se réinstalla. L’homme et la jeune fille rompirent doucement leur baiser. Ils écoutèrent le silence autour d’eux...

Ils étaient indemnes.

Se regardant alors dans les yeux, ils comprirent l’importance de ce qu’ils venaient de faire, et ce qui les avait poussés à le faire. Un doux sourire éclaira leur visage.

Ils ne regrettaient rien.


Comme tous les matins à six heures, Lisa fut réveillée en sursaut par le chant du coq, qui retentit à trente centimètres de sa tête.

- Cocoricoooo ! Cocoricooo ! Cocoricooo !

La jeune fille se retourna en bougonnant vers sa table de chevet pour éteindre le réveil de son téléphone portable.

- Cocoricoooo ! Cocoricooo ! Cocori… 

- Tais-toi ! grommela Lisa en appuyant sur le bouton off.

Elle sortit à contre-cœur de sous sa couette et s’assit sur le rebord du lit pour enfiler ses chaussons... A cet instant, un étrange sentiment de bien-être se répandit en elle. Jamais ses chaussons ne lui avaient semblé aussi moelleux ! Avec un sourire béat sur le visage, Lisa descendit l’escalier pour aller à la cuisine. En se déplaçant, elle avait l’impression de flotter sur un nuage. Tous ses mouvements lui paraissaient lents et posés. Tout ce qu’elle touchait lui semblait étonnamment doux. Même la fourrure blanche de Léo, qui dormait sur une chaise dans l’entrée, n’avait jamais été aussi soyeuse.

- Bonjour maman, dit-elle en entrant dans la cuisine. Tu as brossé le chat, ce matin ?

- Non, pourquoi ? s’étonna Amanda qui se versait du café dans un mug.

- Oh, pour rien… J’avais juste l’impression que son poil était plus lisse que d’habitude… 

Lisa s’assit à sa place habituelle et sa mère la rejoignit en prenant la chaise d’à côté. Elle avait déjà posé sur la table tout le nécessaire pour le petit déjeuner : une bouteille de lait, une bouteille de jus d’oranges, des céréales, des toasts, des pancakes, du sirop d’érable, de la confiture de fraise… Il y en avait toujours trop, et Lisa n’avait jamais assez de temps pour manger tout ce qu’elle voulait. Elle remplit la moitié de son bol de Froot Loops et versa du lait par-dessus. Elle adorait ces céréales en forme de bagues multicolores. Elle était consciente qu’elle mangeait des céréales pour gamins, mais elle s’en moquait royalement. C’était tellement bon... et tellement beau à regarder !

Savourant ses céréales et s’émerveillant devant leurs couleurs, Lisa fut à nouveau envahie par ce sentiment de plénitude qui la berçait depuis la sortie du lit. Il n’y avait pas de doute : c’était une bonne journée qui commençait.


Lisa Thompson arriva au lycée avec le sourire aux lèvres. Il était sept heures et demi du matin, le soleil resplendissait en ce jeudi 13 octobre, la journée s’annonçait magnifique. La jeune fille flottait toujours dans un état second de profonde sérénité et d’infinie douceur. Dans les couloirs, les élèves se retournaient sur son passage, surpris de lui voir un air aussi épanoui sur le visage, et se demandant comment une personne a priori saine d’esprit pouvait être aussi contente d’aller en cours.

Même Astrid, assise à côté d’elle en cours d’histoire, se demanda ce qu’avait son amie. Elle semblait vraiment bizarre, ce matin, et la blonde finit par la soupçonner d’avoir fumé de l’herbe.... Après tout, vu la musique qu’écoutait Lisa, ça n’aurait pas été étonnant…

Lisa ne vit pas passer ses trois premiers cours de la matinée. C’était comme si elle avait perdu la notion du temps et qu’elle ne profitait plus que de l’instant présent. Elle avait conscience d’être éveillée, mais tout se déroulait autour d’elle comme dans un rêve. Pourquoi se sentait-elle aussi bien ?

Son cours maths de dix heures et demi lui apporta la réponse. Lorsqu’elle entra dans la salle de M. Bates et qu’elle le vit assis à son bureau, tout lui revint en mémoire d’un seul coup. Dans un flash, elle revit la prairie, les feuilles mortes qui se soulevaient dans les airs, les tornades à l’horizon, et… M. Bates qui la serrait contre lui… M. Bates qui l’embrassait sur les lèvres...

Lisa écarquilla les yeux de stupeur. Comment avait-elle pu rêver ça ?

La jeune fille chancela jusqu’à sa table et se laissa tomber sur sa chaise, effarée. Le regard perdu dans le vide, elle essaya de se rappeler d’autres détails de son rêve. Elle revit la main de M. Bates tenir la sienne pour la réconforter, elle revit le halo doré autour d’eux, qui agissait comme une barrière magique contre les tornades... Ce n’était pas possible ! Pourquoi avait-elle fait ce rêve absurde ? Etait-elle sûre qu’il s’agissait bien de M. Bates ?

Lisa regarda subrepticement l’enseignant, assis en face d’elle. Son cœur se figea alors. Il n’y avait pas de doute, c’était bien lui : il portait exactement les mêmes vêtements que dans son rêve !

Elle reconnut tout de suite son nœud papillon à carreaux bleus et blancs. Le reste de ses habits était lui aussi identique à ce qu’elle avait imaginé dans son subconscient : veste noire, pantalon marron, gilet jaune pale, chemise blanche… Comment était-ce possible ? Comment avait-elle fait pour entrevoir dans son rêve la façon dont M. Bates allait s’habiller aujourd’hui ? Avait-elle le don de clairvoyance ? Lisa entrouvrit la bouche d’hébétude.

- Tout va bien, Lisa ? s’inquiéta M. Bates devant l’air hagard de son élève.

- Euh… Oui, oui… Ça… Ça va…, bégaya la jeune fille, encore sous le choc.

Le souvenir du baiser échangé entre elle et son prof refit soudainement surface, et elle se sentit rougir jusqu’à la racine des cheveux. Elle se pencha aussitôt au-dessus de son sac en faisant mine de chercher ses affaires pour cacher son trouble. Son cœur tambourinait violemment dans sa poitrine. Il fallait à tout prix qu’elle chasse de son esprit cette image de M. Bates en train de l’embrasser ! Comment allait-elle pouvoir suivre son cours de maths, sinon ?

Lorsqu’elle se remit peu à peu de ses émotions et que sa température corporelle redescendit à peu près à sa valeur normale, Lisa essaya de se concentrer sur la leçon d’aujourd’hui. Les ellipses… Elle recopiait consciencieusement ce que son prof marquait au tableau, tâchant de ne penser à rien d’autre qu’à ce qu’elle écrivait. Le calme qu’elle parvint à retrouver fit renaître en elle cet étrange bien-être… Elle comprit alors d’où lui venait cette sensation : c’était son rêve qui l’avait provoquée. Elle se souvenait avoir ressenti cette même douceur dans son rêve, au moment où M. Bates l’avait prise dans ses bras… Elle se laissa aller à revivre cet instant imaginaire, éprouvant à nouveau ce profond sentiment d’apaisement… Finalement, pourquoi devrait-elle chercher à oublier ce rêve ? Il lui avait procuré des sensations si agréables… Et puis, il n’avait rien de honteux. Certes, ce n’était peut-être pas très catholique de rêver d’embrasser sur la bouche son prof de maths, mais après tout, ce n’était qu’un baiser…

D’un air songeur, Lisa reposa son stylo et observa M. Bates qui continuait d’écrire au tableau en tournant le dos à la classe. Ce qu’elle n’arrivait toujours pas à comprendre, c’était pourquoi elle avait rêvé de lui en particulier... Pourquoi s’était-il retrouvé là, avec elle, au milieu des collines et au milieu de la tempête ? Une autre question se forma alors dans sa tête : se pouvait-il qu’il ait fait le même rêve ?

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