Chapitre 9

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Au petit matin de ce mardi 25 octobre, lorsque le coq se mit à chanter dans la chambre de Lisa, celle-ci ouvrit péniblement les yeux et essaya de se resituer dans le temps et l’espace. Le souvenir de la révélation qu’elle avait eue la veille au soir lui revint subitement à l’esprit, et elle eut l’impression d’entrer dans un rêve. Quoi de plus paradoxal ? L’éveil tirait habituellement les gens de leurs songes... Lisa, elle, se réveillait pour replonger dans un rêve !

Elle était amoureuse…

Tout ceci paraissait tellement invraisemblable ! Elle qui n’était jamais tombée amoureuse de sa vie... Etait-elle bien sûre de ce qu’elle éprouvait ? Etait-elle certaine qu’il s’agissait bien de l’Amour, avec un grand A (comme sa note au dernier contrôle de maths) ?

Mais comment appeler autrement cette obsession qui la faisait penser à M. Bates à toute heure de la journée ? Dès son réveil, elle se disait qu’elle allait le voir dans quelques heures, et c’était ce qui la motivait à se lever, à s’habiller et à prendre le bus pour aller au lycée. Elle pensait à lui, même au petit déjeuner, comme ce matin, devant son bol de céréales Alpha-Bits – les fameuses céréales en forme de lettres de l’alphabet. Sélectionnant dans son bol les lettres dont elle avait besoin, elle s’amusa à composer sur la table le mot H-A-R-O-L-D, et sourit de contentement.

Harold Bates… A force de ne l’appeler que par son nom de famille, Lisa n’avait jamais réalisé à quel point son prénom sonnait aussi bien. Harold… Un prénom à la fois chic et peu commun... Tout comme l’homme qui le portait.

- Qu’est-ce que tu écris ? s’enquit la mère de Lisa, qui se tenait debout derrière elle, un mug de café à la main.

Poussée par la curiosité, elle essaya de regarder par-dessus l’épaule de sa fille pour voir ce qu’elle fabriquait.

- Rien, rien ! répondit aussitôt Lisa en balayant les lettres d’un revers de la main, mais d’un geste si brusque qu’elle les fit voltiger jusqu’à l’autre bout de la table.

L’une d’elle tomba par terre et Léo, tiré de son sommeil par ce bruit, bondit de sa chaise et se précipita sur la lettre pour la manger. Un véritable aspirateur...


Si les observations de Lisa l’avaient relativement convaincue de l’hétérosexualité de son prof de maths, il lui restait désormais une chose à vérifier : M. Bates était-il marié ?

Elle se demandait d’ailleurs pourquoi elle n’avait pas pensé plus tôt à regarder s’il portait une alliance à son annulaire gauche. C’était pourtant facile à voir, puisqu’il était gaucher !

Ce mardi matin, en entrant dans la salle de maths à dix heures et demi, Lisa Thompson était bien décidée à mettre fin à ses doutes. Elle aperçut l’enseignant au fond de la classe, lui dit un timide bonjour, puis s’installa rapidement à sa place de prédilection, au premier rang.

Comme à chaque fois, le cours commença par la traditionnelle correction des exercices. Mark Collins se porta volontaire pour aller au tableau. C’était un garçon qui ambitionnait de devenir le major de sa promo, même s’il n’avait toujours occupé que la troisième place du podium en mathématiques, derrière Arthur et Lisa. Pendant qu’il traçait une ellipse au tableau, le prof passa entre les rangs pour vérifier si ses élèves avaient fait leurs devoirs. Il s’attarda un moment à la table de Scott Davis, et Lisa l’entendit s’exclamer :

- Non, non ! Une ellipse ne ressemble en rien à cette boufiole ! Redessine-moi ça !

La jeune fille réprima un gloussement. Elle attendait avec impatience que M. Bates arrive à sa table. Son ellipse à elle était dessinée à la perfection, et elle avait résolu ce problème de géométrie en moins de deux, s’inspirant même du style de rédaction de son prof pour écrire son raisonnement. Il ne trouverait franchement rien à redire.

Hélas, lorsque M. Bates rejoignit sa table, il n’y resta pas plus de quinze secondes – car il ne trouva effectivement rien à redire – et il s’éloigna en gardant ses mains croisées dans le dos, empêchant Lisa de voir son annulaire gauche. Ce n’était vraiment pas de chance.

Il conserva cette posture jusqu’à la fin de la correction de l’exercice, et renvoya Mark à sa place en le remerciant pour cette démonstration sans faute. Lisa bouillonnait de frustration. Il était onze heures moins le quart et elle n’avait toujours pas obtenu de réponse à sa question : M. Bates portait-il une alliance, oui ou non ? Lorsque M. Bates demanda si quelqu’un d’autre voulait bien corriger le deuxième exercice, elle décida alors de jouer le tout pour le tout et leva le doigt en l’air. Si c’était pour elle le moyen le plus rapide de s’assurer que son prof n’était pas marié, elle ne devait pas hésiter. Après tout, elle était sûre d’avoir trouvé la bonne solution au deuxième exercice.

- Lisa ? dit l’enseignant, agréablement surpris de voir son élève se porter volontaire.

Ces deux syllabes, prononcées par la voix chaude et profonde de M. Bates, sonnèrent comme une douce mélodie aux oreilles de la jeune fille. Elle se leva de sa chaise, prit son cahier d’exercices et rejoignit l’enseignant au tableau. Le plaisir de se tenir à ses côtés compensait largement la gêne de devoir prendre la parole en public.

- Je peux effacer une partie du tableau ? demanda-t-elle, constatant qu’il ne lui restait plus aucune place pour écrire.

- Bien sûr. 

Lisa fit un mouvement pour se saisir de la brosse, posée sur le rebord métallique du tableau, mais elle fit malencontreusement tomber l’objet par terre et il atterrit aux pieds de M. Bates. Quelle quiche ! Elle aurait voulu le faire exprès qu’elle n’aurait pas réussi.

- Ah… La gravité…, commenta M. Bates en se penchant pour ramasser la brosse de sa main gauche.

Lisa comprit alors que c’était le moment ou jamais. Lorsque l’enseignant lui tendit la brosse, elle jeta un regard coupable à son annulaire gauche. Aucune bague. Elle jubila intérieurement.

- Merci ! dit-elle avec un grand sourire en récupérant la brosse.

La joie qu’elle éprouvait dès à présent lui fit effacer le tableau avec une énergie étonnante. « M. Bates n’est pas marié ! M. Bates n’est pas marié ! » répétait-elle dans sa tête, comme le refrain d’une chanson. D’accord, il y avait des hommes mariés qui ne portaient pas leur alliance, mais ils étaient très rares. Et puis, M. Bates semblait tellement soucieux de son apparence qu’il aurait forcément porté son alliance s’il avait été marié.

Une autre bonne surprise attendait Lisa durant sa correction de l’exercice. A mesure qu’elle déroulait ses équations au tableau, elle se rapprochait progressivement – et involontairement – de l’enseignant. Lorsqu’elle parvint au bout d’une formule de dix pieds de long, elle se rendit compte que M. Bates ne se tenait plus qu’à quelques centimètres d’elle. Il l’aida alors à simplifier quelques termes dans son égalité, sans doute pour aller plus vite, et tous les deux se mirent à travailler ensemble, en bonne intelligence. C’était comme si une complicité s’installait entre l’élève et son professeur. Ils se comprenaient parfaitement. Lisa finit par oublier complètement la présence de ses camarades derrière elle, et elle ne prêta plus attention qu’à M. Bates.

Leur travail en étroite collaboration permit à la jeune fille de sentir à nouveau cette subtile odeur suave et boisée. Se concentrant sur cette fragrance, elle tourna discrètement la tête vers M. Bates et s’aperçut qu’elle pouvait la sentir plus distinctement. C’était donc bien son parfum ! Celui qu’elle avait respiré avec tant de bonheur la veille au soir, en collant contre son nez la feuille contenant la correction du dernier devoir. C’était son parfum, et pas celui d’une femme – parfum qui, après tout, aurait très bien s’égarer sur cette feuille si M. Bates avait vécu en couple avec quelqu’un.

Ce qui pouvait donc signifier… que M. Bates était célibataire ?

A cette pensée, les yeux de Lisa s’élargirent, et un poison commença à se répandre dans son cœur… Un doux poison nommé espoir.


A onze heures et quart, en sortant de son cours de maths, Lisa se dit qu’elle devait mettre fin à ses divagations, et tout de suite. Cela ne lui apporterait rien de bon. Elle n’en avait pas seulement le pressentiment, elle en avait la certitude.

Elle rejoignit Astrid, Joey et Kevin à la cafétéria, s’assit à leur table et déballa son déjeuner. Astrid semblait proie à une excitation anormale. Elle ne cessait de tourner la tête dans tous les sens, comme une girouette, faisant danser ses boucles d’oreilles en forme d’arêtes de poisson.

- Tu cherches qui ? demanda Lisa avec un sourire amusé. Tom ?

A ces mots, Kevin releva la tête de sa pizza aux trois fromages et dévisagea Astrid d’un air anxieux.

- Non, sûrement pas ! rétorqua la blonde. Quoi ? Tu ne le savais pas ? Tom est gay !

- Aaah ! fit Lisa d’une voix faussement surprise.

Ainsi donc, son amie avait fini par le découvrir. Elle en avait mis, du temps.

- Non, je cherche William. Comme il y a toujours un max de monde à la cafétéria à cette heure-ci, je me suis dit que William devait sûrement s’y trouver.

- William ? répéta Lisa. William Flynn ?

Du coin de l’œil, elle vit Kevin baisser la tête et mordre dans sa part de pizza pour cacher sa frustration.

- Tu n’as aucune chance de le trouver ici, répondit Lisa. Will rentre manger chez lui tous les midis.

- Dommage…, fit Astrid d’une voix déçue. Tu sais où il habite ?

Lisa fronça les sourcils. Décidément, son amie lui en demandait un peu trop.

- Quelque part, en ville… Je n’en sais rien, je ne lui ai jamais posé la question.

Un bref instant, Lisa se demanda s’il était possible que M. Bates prenne lui aussi ses repas à la cafétéria. Elle le chercha furtivement des yeux dans la salle, mais ne le vit nulle part. Ce n’était pas très étonnant. Lisa n’avait toujours vu que des élèves et des surveillants déjeuner ici. Les enseignants avaient sûrement une salle à part. Et puis, elle avait du mal à imaginer M. Bates en train de manger un sandwich au milieu des élèves. Ce n’était clairement pas son style.

A table, la conversation tourna rapidement autour d’Halloween. La fête se rapprochait à grands pas – il ne restait plus que six jours – et les quatre amis se demandaient quel déguisement ils allaient porter pour le 31. Chaque année, le lycée Lincoln organisait un concours de costumes le jour d’Halloween. La plupart des élèves venaient en cours déguisés et, l’après-midi, un grand rassemblement était organisé dans le gymnase pour élire le meilleur costume. L’heureux gagnant se voyait alors remettre la somme de deux cents dollars. Une somme non négligeable, qui expliquait sans doute pourquoi autant d’élèves participaient à ce concours.

- Je pense que je remettrai mon déguisement de Gandalf, comme l’année dernière, dit Joey. Mon père a fini de forger l’épée Glamdring cet été, donc je pourrai enfin l’ajouter à mon costume et avoir des chances de gagner le concours.

- Je doute qu’on te laisse entrer au lycée avec une épée de quatre pieds de long…, lança Kevin d’un air dubitatif.

- T’inquiète, j’essaierai de la planquer dans mon sac de sport. Il faut bien qu’il me serve à quelque chose !

Astrid, elle, prévoyait de se déguiser en Jack Skellington, le héros du film L’étrange Noël de M. Jack, de Tim Burton.

- J’ai vu qu’ils vendaient des masques de Jack, au Walmart, dit la blonde. Il ne me reste plus qu’à trouver un costume à queue de pie rayé noir et blanc.

- Demande à M. Bates, il a peut-être ça dans sa garde-robe pour les grandes occasions ! lança Joey en pouffant de rire.

Lisa lui jeta un regard venimeux. Elle appréciait de moins en moins qu’on se moque de son prof de maths.

- Et toi, Lisa, comment comptes-tu t’habiller ? demanda Astrid.

Lisa avait toujours participé à ce concours, même si elle ne l’avait jamais remporté. Ce qu’elle préférait, c’était se ramener au lycée avec un déguisement totalement absurde, comme celui de Marge Simpson ou de Patrick l’étoile de mer. Cela donnait à ses cours un côté festif, tout en les faisant paraître complètement surréalistes. Cette année, cependant, elle avait comme une légère appréhension... Etait-ce la perspective d’aller en cours de maths vêtue d’un costume ridicule qui la faisait hésiter ?

- Euh… Je ne sais pas trop encore…, répondit-elle évasivement.

A vrai dire, elle était de moins en moins sûre de vouloir laisser M. Bates la voir déguisée en quoi que ce soit.

- Tu avais trouvé un costume de Piggy la cochonne, l’année dernière. Tu pourrais peut-être en chercher un de Kermit la grenouille, pour cette année ? suggéra Astrid.

Non, décidément, jamais elle ne laisserait M. Bates la voir en Kermit la grenouille !

- Euuuh… Je crois que je vais la jouer sobre, cette année… Pas de déguisement. De toute façon, je ne gagne jamais.

- Le plus important, ce n’est pas de gagner, c’est de s’amuser ! répliqua Astrid. Tu viendras quand même déguisée pour ma fête, j’espère ?

Tous les ans, le soir du 31 octobre, Astrid invitait ses amis chez elle pour célébrer Halloween. C’était une fête bon enfant, en petit comité, et qui commençait toujours par une chasse aux bonbons dans le quartier. A seize ans passés, Lisa et Astrid continuaient de s’amuser comme des gamines en allant frapper aux portes des maisons pour réclamer des friandises. Elles préféraient encore ce genre de distractions enfantines, plutôt que les fêtes géantes organisées par les jeunes de leur âge et où l’alcool coulait à flots. La soirée d’Astrid se terminait en général dans son salon, à s’empiffrer de sucreries devant de vieux films d’horreur en noir et blanc.

- Oui, ne t’inquiète pas, la rassura Lisa. Je mettrai mon costume pour aller à ta fête.

- On peut venir, nous aussi ? demanda alors Kevin à Astrid avec un petit sourire malicieux.

- Eh ! s’interposa Joey. Tu oublies qu’on avait prévu une soirée World of Warcraft spéciale Halloween !

- Finalement, je crois que je préfère aller à la soirée d’Astrid…, insista Kevin. Si elle veut bien m’inviter..., ajouta-t-il avec un clin d’œil.

- Je n’accepte que les personnes déguisées !

- Très bien, je trouverai quelque chose, assura le garçon en souriant.


Lisa retrouva Josh Randall à la bibliothèque du lycée à trois heures de l’après-midi. Le garçon aux cheveux blond platine l’attendait déjà, assis seul à une table, à côté du rayon « Science-Fiction ». Tout en marchant vers lui, Lisa jeta un regard autour d’elle : la salle d’études n’était pas trop fréquentée à cette heure-ci ; seuls une douzaine d’élèves s’y trouvaient, et… Seigneur. Le cœur de Lisa fit un bond dans sa poitrine et elle faillit se prendre les pieds dans une chaise. Elle venait d’apercevoir M. Bates, occupant une table au fond de la salle.

- Ça va ? s’inquiéta Josh, qui avait vu Lisa trébucher et avait bien cru qu’elle allait se rétamer par terre devant lui.

- Oui, oui, tout va bien…, répondit la jeune fille en s’asseyant en face de Josh et en s’efforçant de sourire d’un air gêné. Je suis juste un peu fatiguée…

Comme par hasard, la chaise sur laquelle elle venait de s’installer était tournée vers M. Bates. Comment allait-elle réussir à se concentrer, si elle l’avait tout le temps dans son champ de vision ? En plus, elle devait faire du soutien en maths à un élève qui avait lui aussi M. Bates comme professeur… Cette situation était quelque peu embarrassante.

- Alors voyons, commença Lisa en essayant de garder son sang froid. Quel chapitre êtes-vous en train d’étudier, en ce moment ?

Josh ouvrit son manuel de maths à la page des polynômes du second degré. Pour démarrer sa première séance de soutien scolaire, Lisa eut une idée géniale :

- Et si tu commençais par me marquer sur une feuille tout ce que tu as retenu de ton cours sur les polynômes ?

Comme cela, elle s’octroyait un peu de temps pour préparer les exercices qu’elle donnerait ensuite à son élève, et surtout… pour observer M. Bates à la dérobée.

L’enseignant semblait absorbé dans son travail et n’avait en rien remarqué la présence de Lisa. A en juger par la pile de feuilles posée sur sa table, il était de toute évidence en train de corriger des copies. Ses sourcils froncés et son air mécontent laissaient deviner qu’elles n’étaient pas très bonnes. Lisa le voyait parfois gribouiller furieusement avec son stylo rouge, et elle l’entendit plusieurs fois marmonner : « Non, non, non ! ». Elle aurait pu continuer à l’espionner ainsi pendant des heures, mais hélas, au bout de cinq minutes à peine, Josh avait déjà terminé la restitution de ses maigres connaissances. Sa feuille ne contenait pas plus de cinq lignes, et il n’y avait pas l’ombre d’une figure pour illustrer ses formules.

« C’est tout ? » aurait voulu s’exclamer Lisa, mais elle se dit que c’était peut-être un peu trop brutal.

- OK…, fit-elle, assez effrayée devant l’ampleur du travail qu’il lui restait à accomplir pour remettre Josh à niveau. Bon. Qu’est-ce que tu peux me dire sur le discriminant d’un polynôme ?

Pendant que Josh se grattait la tête pour réfléchir, Lisa jeta à nouveau un coup d’œil à M. Bates. Il n’y avait pas à dire, il était vraiment séduisant avec sa veste bleu marine, son gilet jaune pale et son nœud papillon bleu à motifs écossais. Ses lunettes rondes à monture épaisse et ses yeux légèrement plissés lui donnaient un air tellement sérieux… Lisa le contempla d’un air rêveur, sa joue appuyée contre la paume de sa main. La réponse sans conviction de Josh la ramena malheureusement à la réalité.

- Euh… Le discriminant est toujours positif ?

Le visage de Lisa se crispa de douleur. Aïe. Il y avait du pain sur la planche.

- Non, répondit la jeune fille, le discriminant est tantôt négatif, tantôt positif, tantôt nul. Est-ce que tu peux me rappeler sa formule ?

Josh se tint le menton comme si cela allait l’aider à se concentrer. Il griffonna une formule sur son brouillon, raya certains termes, en ajouta d’autres, puis releva finalement la tête et avoua :

- Je ne m’en souviens plus… Il faut vraiment la connaître par cœur ?

- Ça fait partie des formules les plus importantes du cours sur les polynômes ! Sans elle, tu ne pourras pas faire grand-chose.

Lisa comprenait maintenant pourquoi M. Bates s’énervait parfois en cours. Face à des élèves qui n’apprenaient pas leur leçon et qui s’étonnaient de ne pas réussir leurs exercices, il y avait de quoi être consterné. Le métier d’enseignant demandait beaucoup de patience.

- Très bien, voilà la formule, dit Lisa en s’emparant de la feuille de Josh et en écrivant l’équation dessus. Maintenant, que se passe-t-il quand le discriminant est nul ?

Lisa rendit son brouillon au garçon et le laissa réfléchir. Elle s’apprêtait à se replonger dans une séance de contemplation de M. Bates, mais Josh remarqua qu’elle regardait par-dessus son épaule, et il finit par se retourner. Le cœur de Lisa se glaça. Elle venait de se trahir. Lorsque Josh se tourna à nouveau vers elle, il avait l’air très perturbé.

- OK, dit-il, maintenant, ça devient vraiment bizarre. Je ne savais pas que M. Bates était juste derrière... 

- Je… Je viens seulement de m’en apercevoir, mentit Lisa.

- Je crois que je n’arriverai pas à travailler en sachant que mon prof de maths me surveille dans mon dos…, déclara le garçon, de plus en plus mal à l’aise. Tu sais quoi ? Laisse tomber ! lança-t-il en refermant subitement son bouquin d’exercices et en commençant à ranger ses affaires. Cette histoire de soutien en maths était une mauvaise idée. C’est Joey qui m’a forcé à venir te demander de l’aide. Je crois que je n’aurais jamais dû l’écouter.

- Quoi ? s’exclama Lisa, estomaquée.

Après seulement dix minutes de séance, son élève pliait déjà les gaules ? Elle n’en revenait pas. Qu’avait-elle fait de mal ? Josh se leva de sa chaise et passa son sac à dos sur l’épaule.

- Merci quand même, dit-il avant de partir et de laisser Lisa en plan.

La jeune fille venait de se faire larguer en moins de deux secondes, et elle se retrouvait maintenant assise toute seule, abandonnée sur une table pour quatre personnes, avec M. Bates pile en face d’elle. L’enseignant finit naturellement par remarquer sa présence, et il leva les yeux de la copie qu’il corrigeait pour regarder son élève. Celle-ci sentit ses joues s’enflammer. Le visage de l’enseignant, jusque-là posé, s’éclaira alors d’un sourire. Un sourire tendre et bienveillant, qui rendait son regard encore plus vif. Un sourire adorable, qui resta gravé dans la mémoire de Lisa pour le restant de la journée. Le sourire de l’homme qu’elle aimait.

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