Chapitre 35
Le week-end, même si Lisa n’avait pas le plaisir de pouvoir se dire dès son réveil qu’elle allait voir M. Bates dans quelques heures, elle appréciait tout de même le fait d’être tirée de son sommeil par le chant des oiseaux et les rayons du soleil qui pénétraient dans sa chambre à travers ses volets. Le matin du samedi 13 mai, la jeune fille s’éveilla de cette agréable façon, et la première chose qu’elle fit en sortant de son lit fut d’ouvrir en grand sa fenêtre pour découvrir le temps qu’il faisait dehors. Elle ne fut pas déçue. Le soleil brillait déjà de mille feux dans un ciel bleu limpide, et tout portait à croire que la météo ne s’était pas trompée en annonçant que ce jour serait le plus chaud et le plus ensoleillé de la semaine. Saluée par le roucoulement des tourterelles, Lisa étira ses bras en l’air et respira à pleins poumons l’air pur de la campagne, en pensant avec joie que ce soir, pour la première fois de sa vie, elle donnerait un concert public avec les Screaming Donuts. Elle était loin de se douter que la fin de cette belle journée de printemps signerait son arrêt de mort au sein du groupe.
Lisa passa son après-midi entier à jouer de la basse dans le jardin, répétant méticuleusement chacun des morceaux de la setlist que les Screaming Donuts avaient choisie pour leur prestation au Cocoon. Celle-ci devait commencer à huit heures du soir, mais James avait invité ses camarades à le retrouver chez lui à six heures, pour qu’ils partent tous ensemble à bord de sa Chevrolet rouge décapotable et fassent une arrivée fracassante devant le bar.
Toujours pour en mettre plein la vue, James avait choisi de s’habiller d’une façon étonnamment élégante pour un guitariste de punk rock : il avait revêtu une veste et un jean d’un blanc immaculé, qui s’accordaient avec la couleur de sa guitare et contrastaient à la perfection avec sa chemise noire au col largement déboutonné. Aussi Lisa se sentit-elle un peu gênée d’avoir opté pour son ancien look de rebelle, en enfilant son large t-shirt noir sur lequel étaient imprimés en blanc les mots « Punks Not Dead », avec, à la place du O de « Not », le A cerclé du symbole anarchiste. Elle avait l’impression de faire tache, à côté de James, et regrettait de ne pas avoir gardé ses vêtements de tous les jours, qui la rendaient au final bien plus féminine. Heureusement que ce soir-là, la tenue vestimentaire de Will se rapprochait légèrement de la sienne : le batteur portait lui aussi un large t-shirt noir dont le motif principal était une tête de mort blanche coiffée d’une crête iroquoise jaune orangée qui ressemblait à des flammes. Steve, quant à lui, était venu en jean-baskets, et avait passé une chemise kaki à manches courtes, ouverte sur un t-shirt à camouflage militaire.
Les quatre musiciens prirent place dans la Chevrolet Camaro de James : Steve s’assit à côté du guitariste sur le siège passager avant, tandis que Will et Lisa s’installèrent sur la banquette arrière. Tout excitée à l’idée de voyager pour la première fois à bord d’un coupé cabriolet, Lisa souriait d’un air rêveur en se disant que si jamais elle parvenait à entrer au MIT et à devenir une riche ingénieure, elle s’achèterait exactement la même voiture que James. A l’exception près qu’au lieu de la choisir rouge, elle la choisirait noire. Elle préférait de loin avoir l’air classe, plutôt qu’avoir l’air tapageur.
L’un des inconvénients d’une voiture de sport était l’absence totale de coffre : impossible pour Lisa de poser sa basse autrement que debout, contre ses genoux. De même, Will avait calé contre les siens la guitare de James. Par chance, c’étaient les deux seuls instruments que les Screaming Donuts avaient besoin d’apporter pour leur concert. Le reste du matériel – batterie, micro, amplis – était généreusement prêté par les Kickass Brothers.
- J’ai hâte de passer mon permis et de pouvoir m’acheter un van, dit Will en attachant sa ceinture. Avec ça, on pourra transporter tout notre matos pour nos prochains concerts. On pourra même partir en tournée !
- Peut-être, admit James, mais on ne roulera jamais aussi vite qu’avec mon petit bolide !
Sur ce, il appuya sur l’accélérateur et la voiture partit à fond de train, plaquant violemment les passagers contre le dossier de leur siège. Lisa s’en voulut de ne pas avoir pris un élastique pour s’attacher les cheveux : ceux-ci furent décoiffés par la vitesse en moins de deux. La conduite sportive de James faillit même la rendre malade, en particulier la façon abrupte dont il avait de prendre les tournants sans relâcher la pédale d’accélération. Elle poussa finalement un soupir de soulagement lorsqu’ils arrivèrent à destination et s’arrêtèrent en face du Cocoon. Tout compte fait, elle commencerait peut-être par s’acheter une voiture un peu moins puissante, pour ses débuts à la conduite…
Comme James l’avait espéré, l’arrivée des Screaming Donuts en coupé cabriolet ne passa pas inaperçue. Les clients assis en terrasse regardèrent le groupe descendre de cette décapotable flambant neuve avec des yeux brillant à la fois d’admiration et d’envie. Pour un peu, Lisa se serait crue célèbre. Marchant vers l’entrée du bar avec sa basse dans le dos et flanquée de ses trois acolytes, elle sentait tous les regards braqués sur elle et ses camarades, et n’était pas sans éprouver une certaine dose de fierté. Elle avait l’impression de faire partie d’un groupe de punk rock ultra connu, et elle avait hâte de montrer au public ce dont elle était capable.
A l’intérieur du bar, les Screaming Donuts furent accueillis par le gérant, Ted Murray, un colosse de deux mètres de haut, aux bras musclés et couverts de tatouages, et par Greg Robson, l’ami de Will qui travaillait ici comme barman et grâce auquel le groupe jouait ce soir en première partie des Kickass Brothers. Ces derniers étaient déjà arrivés et commençaient à installer leur matériel dans l’arrière-salle du bar, spécialement aménagée pour servir de salle de concert.
James, Steve, Will et Lisa allèrent à leur rencontre pour faire connaissance et leur filer un coup de main. Le groupe dont ils s’apprêtaient à assurer la première partie était composé des quatre frères Doherty : Nick à la batterie, Brian à la basse, Simon à la guitare solo, et Tim à la guitare rythmique et au chant. Ils avaient tous passé la vingtaine et semblaient s’orienter vers une carrière de musiciens professionnels. Il était clair que, contrairement aux Screaming Donuts, ils n’en étaient pas à leur premier concert : la façon dont ils branchaient leur sono et procédaient aux réglages montrait qu’ils avaient déjà de longues années d’expérience de la scène derrière eux. Brian fit voir à Lisa comment se servir correctement de son ampli Behringer, et James brancha sa guitare à l’ampli Peavey de Tim pour en tester la sonorité. Will, de son côté, paraissait satisfait de la batterie que lui proposait Nick. Il était soulagé de constater qu’elle était pourvue d’une double pédale, même s’il aurait préféré qu’elle soit un peu plus fournie en cymbales.
Lorsque le montage fut terminé, les Kickass Brothers décidèrent d’aller manger un morceau dans la pizzeria d’à côté et invitèrent les Screaming Donuts à se joindre à eux. Ces derniers, cependant, n’avaient pas très faim : le stress de savoir qu’ils allaient jouer pour la première fois devant un public dans une petite heure semblait leur avoir coupé l’appétit, et James commençait même à se plaindre de maux de ventre. Ils préférèrent finalement rester au Cocoon et aller se poser en terrasse, pour profiter de l’air agréable de cette belle soirée et essayer de se changer les idées autour d’un verre. Ils trouvèrent une petite table carrée à l’ombre de deux tilleuls et s’y installèrent confortablement, avant de passer leur commande à Greg, qui les avait rejoints avec la carte des boissons.
- Je vais prendre une pinte de Budweiser, déclara Steve d’un air faussement innocent.
- Désolé, nous ne servons pas d’alcool aux mineurs, répondit Greg d’un ton presque navré.
- Même aux mineurs qui viennent donner un concert ?
- Ça reste des mineurs…
- J’aurais au moins essayé, fit Steve en haussant les épaules devant le regard goguenard de ses trois camarades. Dans ce cas, je prendrai un Coca.
- Un Coca pour moi aussi, lança James. Il paraît que ça aide, quand on a mal au bide…
- Et pour moi aussi, ajouta Will.
Seule Lisa fit dans l’originalité en choisissant un thé glacé au citron. Celui-ci lui fut servi dans un verre allongé, rempli de glaçons et décoré avec une rondelle de citron jaune. Il était délicieux. Parfait pour se rafraîchir en ce soir printanier où la température dépassait toujours les vingt-cinq degrés, même à l’ombre des tilleuls. Savourant cette atmosphère paisible et conviviale, Lisa se détendit peu à peu, et finit par ne penser qu’avec confiance et sérénité au concert qui l’attendait. Elle regardait ses compagnons d’un air épanoui, réalisant à quel point elle était heureuse d’appartenir à un groupe qui avait aussi fière allure : Steve paraissait si décontracté avec sa chemise kaki à manches courtes, grande ouverte sur son t-shirt camouflage ; James était éblouissant avec sa veste et son pantalon blancs ; Will, lui, était toujours aussi classe avec ses vêtements noirs, ses rangers à lacets et ses lunettes de soleil – qui le protégeaient sans doute de l’éclat blanc de la veste de James, assis juste en face de lui.
Après avoir jeté quelques regards méfiants autour de lui, le guitariste s’empressa de sortir une flasque argentée de la poche intérieure de sa veste. Lisa reconnut la même flasque que celle qu’il avait illégalement introduite au bal d’hiver de l’année dernière. Choquée, la jeune fille entrouvrit la bouche pour protester, mais James lui fit signe de se taire en posant son index devant sa bouche.
- Chut ! Tu ne voudrais pas nous faire jeter du bar, tout de même ? chuchota le garçon. Attends d’abord qu’on ait terminé notre concert !
- Justement ! rétorqua Lisa, sans prendre la peine de baisser le ton. Je te rappelle qu’on doit jouer dans moins d’une heure. Tu ne voudrais quand même pas monter sur scène en étant bourré et faire fuir notre public en jouant n’importe quoi !
- Qui a dit que je jouais n’importe quoi quand j’étais bourré ? Et puis, ce n’est pas avec deux gouttes de Jack Daniel’s dans mon verre que je vais être torché !
- Je ne pense pas non plus que ce soit ça qui calme ton mal de ventre…
- Au contraire ! Tu vois, rien qu’à l’idée que je vais pouvoir relever mon soda, mon ventre se sent déjà beaucoup mieux ! Sur ce, qui est motivé pour un whisky-Coca ?
Comme il fallait s’y attendre, Will et Steve tendirent leur verre de Coca en même temps, pour que leur camarade puisse y ajouter les quelques gouttes qui allaient rendre leur soirée bien plus festive. Lisa se contenta de hausser les épaules en poussant un soupir de dédain. Si c’était ce qu’il leur fallait pour trouver le courage de monter sur scène, soit… Elle espérait simplement que cela ne gâcherait pas leur performance.
Greg reparut bientôt à leur table pour y déposer l’addition. James avait juste eu le temps de ranger sa flasque à moitié vide à l’intérieur de sa veste, et le serveur ne se douta pas un seul instant que les verres de Coca de ses trois clients contenaient déjà une bonne dose de whisky. Will paya sa tournée, en parfait gentleman qu’il était, mais Steve se montra un peu moins complaisant et attendit que Greg soit reparti avant de s’exclamer :
- Et en plus, ils nous font payer nos boissons ! A défaut de pouvoir nous servir de l’alcool, ils pourraient au moins nous les offrir !
- Ça c’est bien vrai ! s’exclama James en cognant son verre contre celui du chanteur pour trinquer.
L’ambiance si calme et bon enfant que Lisa avait pu apprécier au début de leur pause en terrasse se gâta progressivement, à mesure que l’heure du concert se rapprochait. A sept heures et demi, peu après que James eut vidé sa flasque dans ce qui lui restait de Coca, les premiers invités des Screaming Donuts firent leur apparition : Kyle arriva en compagnie d’un de ses potes de lycée, un grand blond prénommé Ross, et fut suivi de près par Jennifer et Emily, les petites amies respectives de James et Steve. Lisa, pour sa part, n’avait réussi à attirer personne à son concert : Astrid et Kevin avaient choisi ce week-end pour s’offrir une virée en amoureux à Santa Cruz, et Joey devait accompagner ses parents à un marché médiéval dans l’Oregon, pour les aider à vendre les épées et bijoux qu’ils fabriquaient tout au long de l’année. Will ne paraissait pas avoir eu beaucoup plus de chance de son côté, car il ne vit rappliquer aucune de ses connaissances. Pas même Andrew, qui semblait avoir entièrement disparu de la surface de la terre, depuis que Lisa lui avait mis un râteau.
Kyle et Ross prirent place à côté de James, et Emily s’installa près de Steve. Jennifer, elle, décida qu’elle n’avait pas besoin de chaise, et préféra s’asseoir sur les genoux de James, pour le plus grand plaisir du guitariste. Non content d’être arrivé devant le Cocoon au volant d’un coupé cabriolet et de frimer avec sa veste blanche comme neige, il pouvait maintenant se targuer d’avoir sur ses cuisses la plus belle fille du lycée Lincoln. Une fille aux formes si parfaites, et si bien mises en valeur par son mini-short en jean bleu délavé et son débardeur rose échancré, qu’elle ressemblait à s’y méprendre à une top-modèle. Will, qui avait le décolleté de Jennifer en plein dans sa ligne de mire, ne se gêna pas pour se rincer l’œil, d’autant moins que ses lunettes de soleil masquaient aux autres la direction précise où se portait son regard. James ne semblait absolument rien remarquer, et s’intéressait plutôt au contenu du sac à dos qu’avait apporté Kyle.
- Tu as pris ton caméscope avec toi ? s’enquit le guitariste.
- Bien sûr ! Tiens, le voilà ! répondit Kyle en sortant l’appareil numérique de son sac.
- Parfait ! Avec ça et ma GoPro que j’irai fixer tout à l’heure sur la tête de ma guitare, on aura de sacrées belles vidéos !
A ces mots, qui prouvaient encore une fois le côté superficiel de James, Lisa ne put s’empêcher de rouler des yeux. Selon elle, ce qui devait compter le plus pour les Screaming Donuts, ce n’était pas leur image, mais leur musique.
Le grand moment arriva enfin. A huit heures moins cinq, les Screaming Donuts montèrent sur scène et s’équipèrent de leurs instruments. Lisa était placée à gauche, à côté d’un mur en briques rouges recouvert de posters de groupes de punk rock célèbres : les Smashing Pumpkins, les Ramones, les Sex Pistols, The Clash… Au milieu se tenait Steve, les deux mains dans les poches, regardant d’un air réjoui la salle se remplir peu à peu de spectateurs. A sa droite, James terminait de fixer sa GoPro sur la tête reverse de sa guitare Ibanez blanche. Au fond, Will était assis derrière sa batterie et observait sereinement ses camarades à travers les carreaux noirs de ses lunettes de soleil. Lui qui n’en était pas à son premier concert devait certainement être le plus confiant de la bande.
Lisa, au contraire, sentait à nouveau le stress monter en elle. Le public, de plus en plus nombreux – il devait maintenant y avoir une bonne vingtaine de personnes devant elle – commençait à l’intimider. Hormis Jennifer, Emily et Kyle, elle ne reconnaissait personne. Un visage familier et amical lui aurait sans doute permis de se mettre en confiance. Un visage comme celui de M. Bates... Mais bien sûr, elle pouvait toujours rêver. Le Cocoon semblait être le dernier endroit où son prof de maths aurait l’idée de mettre les pieds.
James et Steve paraissaient ravis d’avoir autant de monde pour leur premier concert, mais Lisa devinait que cette foule d’inconnus n’était pas venue spécialement pour les Screaming Donuts. La majorité était probablement composée de fans des Kickass Brothers, arrivés en masse pour supporter la tête d’affiche de la soirée. Après tout, peu lui importait. Du moment qu’ils écoutaient également la première partie. Cela élargirait l’audience des Screaming Donuts et augmenterait leurs chances de gagner en popularité.
- OK, bonsoir à tous, merci d’être venus aussi nombreux ! s’exclama Steve au micro. Ce soir, nous sommes heureux de jouer au Cocoon pour notre tout premier concert. Certains d’entre vous nous connaissent déjà. Pour les autres, retenez bien notre nom : nous sommes les Screamiiiiiing Donuuuuuuts !
Le cri que poussa Steve dans le micro pour prononcer ces deux derniers mots faillit exploser les tympans de Lisa. Elle regretta un bref instant de ne pas avoir pensé à prendre des bouchons d’oreilles, mais elle n’eut pas vraiment le temps de s’attarder sur cet oubli, car déjà les trois premiers coups de cymbales qui annonçaient l’intro de Out Of Line retentirent. Lisa resserra sa main gauche sur le manche de sa basse et se mit à jouer au quatrième coup de percussion. Ce morceau, qui était sans doute le plus simple du répertoire des Screaming Donuts, devait permettre au groupe de s’échauffer avant de s’attaquer à des chansons un peu plus complexes, comme Let Me In, Buns And Guns, ou encore le fameux Nothing Wrong With Me.
Cependant, mêmes les riffs de guitare les plus élémentaires semblèrent poser problème à James, car Lisa l’entendit deux fois de suite faire des fausses notes. Se demandant si cela venait du stress ou du fait qu’il était déjà ivre, la jeune fille essaya de se concentrer sur sa partie et de gratter ses cordes le plus fort possible pour tenter de couvrir les dissonances du guitariste. Ce dernier semblait perdu. Au moment d’attaquer le refrain, il continua sur sa lancée en reprenant le couplet, et Steve le regarda d’un air surpris, sans pour autant se laisser déconcerter. James, s’apercevant de son erreur, finit par s’arrêter de jouer. Il s’efforça à plusieurs reprises de se raccrocher au refrain en cours de route, mais sans succès, et il attendit finalement le couplet suivant pour se remettre à jouer.
Pour Lisa, c’était la catastrophe. Elle n’arrivait pas à comprendre comment James avait pu se planter dès le premier morceau. A vrai dire, si, elle en avait une petite idée, mais elle refusait de penser que ce crétin allait compromettre l’intégralité de la prestation des Screaming Donuts à cause de son état d’ébriété. Ce concert commençait vraiment mal… Ce fut avec un soupir de soulagement que Lisa fit résonner la dernière note de Out Of Line, heureuse de mettre fin à ce supplice.
Comme il fallait s’y attendre, cette première chanson ne récolta que très peu d’applaudissements. Les seules acclamations auxquelles eurent droit les Screaming Donuts ne vinrent que de leurs connaissances : Jennifer, Emily, Ross et Kyle, qui braquait son caméscope sur le groupe pour ne pas perdre une miette de leur performance. Au fond de la salle, les Kickass Brothers – qui venaient de rentrer de leur repas à la pizzeria – s’échangèrent quelques mots en rigolant. Lisa était sûre qu’ils se moquaient d’eux. Elle se tourna vers James pour lui lancer un regard noir, mais elle vit que ce dernier était occupé à réajuster les boutons de l’ampli Peavey sur lequel il était branché, et notamment à monter le volume… Lisa écarquilla les yeux d’effroi. Il voulait donc que le public entende encore mieux ses fausses notes ?
- Lisa, est-ce que tu pourrais baisser un peu le son de ta basse ? demanda le guitariste. Je n’entends rien de ce que je joue... Ta basse est beaucoup trop forte.
« Et pour cause ! » songea Lisa d’un air outré. « Si au moins tu jouais juste, je n’aurais pas à jouer aussi fort pour masquer tes fausses notes ! »
La jeune fille obéit malgré elle et tourna le bouton de volume de son ampli Behringer vers le bas. Au même moment, un effet Larsen assourdissant sortit de l’ampli de James, et celui-ci s’éloigna en sursaut du haut-parleur. Lisa leva les yeux au ciel, exaspérée par un tel amateurisme. Grâce à James, les Screaming Donuts allaient vraiment passer pour des guignols…
- OK, les gars, ça ce n’était que le début ! lança Steve à l’adresse des spectateurs, comme pour expliquer les petits couacs de James. Ce qu’on a en réserve va vous décoiffer ! Accrochez-vous ! C’est parti pour Guns And Buuuuuuuuuuuuuuns !
« Buns And Guns » rectifia Lisa dans sa tête. « Enfin, c’est pas grave… »
Cette fois, ce fut à son tour de ne rien entendre de son instrument. La guitare de James recouvrait absolument toutes ses notes, et elle avait l’impression de gratter ses cordes dans le vide. Comme ce morceau ne contenait aucune pause pour la basse, il lui était impossible de s’arrêter de jouer pour augmenter le volume sur son ampli. Elle était condamnée à continuer comme si de rien n’était, tout en se demandant si le public avait remarqué que la basse ne faisait plus aucun bruit… Probablement pas, à en juger par les regards des spectateurs du premier rang, tous braqués sur Steve et James. Ceux-ci bougeaient sur scène dans tous les sens, sautaient sur place et secouaient frénétiquement la tête au rythme de la musique. L’alcool les aidait certainement à se relâcher, mais au moins ils se démenaient et apportaient de l’énergie au concert.
De son côté, Lisa restait pétrifiée. Elle préférait se focaliser sur sa ligne de basse pour éviter de faire des fausses notes, même si, en réalité, celles-ci seraient passées totalement inaperçues. Trop mal à l’aise pour oser regarder le public en face durant plus de deux secondes, elle gardait ses yeux rivés sur le manche de sa basse, pour s’assurer qu’elle appuyait bien sur les bonnes cordes et les bonnes cases. De temps en temps, elle se laissait distraire par les posters collés sur le mur en briques à sa gauche, ce qui était aussi pour elle le moyen d’échapper au regard intimidant de la foule.
Lorsque le morceau prit fin, Lisa s’empressa de remonter le niveau sonore de son ampli, tandis que James retirait sa veste pour l’envoyer dans la foule en direction de Jennifer. La pom-pom girl attrapa le vêtement en poussant un gloussement de joie, comme s’il avait été lancé par une rockstar.
- OK, les gars, vous êtes prêts ? s’écria Steve avant de tendre le micro vers le public.
Quelques cris d’enthousiasme se firent entendre au fond de la salle, mais ils étaient un peu faiblards et semblaient presque forcés.
- Je n’entends rien, vous êtes prêts ? répéta Steve.
- OUAAAAIIIIIIS ! beugla un barbu au premier rang en brandissant une pinte remplie de bière.
- Vous êtes prêts pour Nothing Wrong With Meeeee ?
« Quoi ? » se récria Lisa, désemparée. « Mais je croyais qu’on enchaînait avec Let Me In ? »
Prise de court par ce brusque changement de programme – ou par cette stupide erreur de la part de Steve –, Lisa manqua le début du morceau, et dut faire des efforts surhumains pour réussir à le reprendre en chemin. Elle qui avait naïvement espéré faire un sans-faute... Elle avait l’impression que chaque chanson était pire que la précédente. Ce concert se transformait en véritable enfer.
Hélas, elle n’était pas au bout de ses peines.
Pour le quatrième morceau – qui cette fois était bien Let Me In –, James proposa à ses camarades d’échanger leurs instruments de musique, pour soi-disant mettre un peu de piment à leur concert. Cette idée, qui se voulait novatrice, parut complètement saugrenue à Lisa. Jamais les Screaming Donuts n’avaient interverti leurs rôles durant une répétition. Pourquoi donc décideraient-ils de prendre ce risque ce soir, lors de leur tout premier concert en public ? Et depuis quand James savait-il jouer autre chose que de la guitare ? Lisa, pour sa part, savait très bien qu’elle était incapable d’utiliser correctement un autre instrument que le sien. Aussi refusa-t-elle catégoriquement de prêter sa basse à qui que ce soit. L’échange n’eut lieu qu’entre Will et James. Ce dernier confia sa guitare électrique à son camarade, avant de venir s’installer derrière la batterie d’un air enjoué. Autant Lisa ne se faisait pas de soucis quant à la performance de Will à la guitare – après tout, le garçon était multi-instrumentiste –, autant elle s’inquiétait de ce qu’allait donner la prestation de James à la batterie… A vrai dire, elle redoutait le pire.
Elle ne fut pas déçue. A eux deux, Steve et James massacrèrent le morceau qui figurait pourtant parmi les préférés de Lisa. Steve hurlait les paroles qu’il était censé chanter d’une voix mélodieuse et intelligible, et James tapait comme un forcené sur toutes les percussions qui lui passaient sous la main, sans même chercher à garder un rythme régulier. C’était à celui qui ferait le plus de bruit.
Décontenancée, Lisa s’efforçait tant bien que mal de donner une base solide au morceau, mais elle n’arrivait même plus à se caler sur la batterie, tant les coups de cymbales, de toms et de grosse caisse lui paraissaient erratiques. Heureusement que Will était là pour donner un semblant d’harmonie à cette chanson. Hélas, ses talents ne suffisaient pas, pas plus que les efforts désespérés de Lisa. Elle avait l’impression de se retrouver au beau milieu d’un carnage, et regardait le mur de briques à côté d’elle en se demandant ce qu’elle faisait là. Ce concert devenait du grand n’importe quoi.
Paradoxalement, ce quatrième morceau se termina sous un tonnerre d’applaudissements.
Lisa entrouvrit la bouche d’étonnement. Pourquoi un tel engouement pour ce morceau sans queue ni tête, et pas pour les trois précédents qui, sans être parfaits, avaient au moins eu le mérite de ressembler à quelque chose ? Elle n’y comprenait plus rien…
Enchanté de voir le public aussi enthousiaste, James voulut enchaîner sur la chanson suivante en restant derrière les percussions, mais Will lui fit signe qu’il souhaitait récupérer sa place tout de suite. Comme Lisa, il n’avait pas supporté d’entendre la batterie se faire autant malmener, et il préférait ne pas prolonger davantage cette torture auditive. Un peu déçu, James ne se laissa pas abattre pour autant, et proposa à Steve d’échanger avec lui. Le chanteur, qui accepta avec joie, rougit de plaisir en se voyant confier cette magnifique guitare électrique dont il ne savait même pas se servir. James, quant à lui, s’empara du micro et s’empressa de hurler dedans :
- COMMENT ÇA VA, CE SOIR ?
Des cris de liesse lui répondirent un peu partout dans la salle.
- VOUS EN VOULEZ ENCORE ?
- OUAAAAIIIIIIS ! gueula le barbu du premier rang, dont la pinte de bière était déjà presque vide.
« Non, pitié, est-ce qu’on pourrait s’arrêter là ? » implora Lisa intérieurement.
- J’ai rien entendu ! EST-CE QUE VOUS EN VOULEZ ENCORE ?
- OUAAAAIIIIIIS ! s’écria le public à l’unisson.
« Noooooonnnn ! » gémit Lisa dans sa tête.
Sur ce, James saisit son micro à deux mains et plissa les yeux en braillant comme un hystérique :
- C’EST PARTIIIIIIIII !
Cette fois, Lisa crut vraiment que ses tympans allaient exploser. Par miracle, il lui resta encore suffisamment d’audition pour reconnaître l’intro à la batterie de Lose Control et elle se mit à accompagner Will au bon moment. Hélas, l’incompétence de Steve à la guitare électrique vint tout gâcher. Il ne savait même pas faire le moindre accord, et se contentait d’appuyer au hasard sur les cases du manche, tout en frottant les six cordes à la fois, ce qui produisait une sorte de bouillie sonore sursaturée. James, de son côté, ne connaissait même pas les paroles de la chanson. Cela ne semblait pas le préoccuper pour autant, car il prenait manifestement son pied à pousser des cris gutturaux et des hurlements stridents dans le micro, comme pour tester les limites de ses capacités vocales. Lisa, de son côté, faisait tout son possible pour rester concentrée sur sa partie et celle de Will, ce qui était la seule façon pour elle de distinguer les couplets des refrains.
Lorsque cette cacophonie se termina enfin, James, qui commençait à avoir chaud, déboutonna intégralement sa chemise noire, la laissant grande ouverte sur son torse imberbe.
- A poil ! cria une blonde au premier rang.
- Un peu plus tard, peut-être, répondit le guitariste en lui faisant un clin d’œil. Avant ça, qui est chaud pour un dernier morceau ?
« Un dernier ? » répéta Lisa dans sa tête, alors que le public acclamait James à pleins poumons. « Il n’était pas censé en rester deux ? Oh, et puis après tout, tant mieux. Qu’on en finisse au plus vite ! »
Ce concert était pour elle un désastre, et il lui tardait d’y mettre fin.
Steve se mit à gratter frénétiquement la première corde de sa guitare, répétant sans relâche la note la plus grave, puis pressa la corde contre la plus haute case du manche, en continuant de faire sonner la corde à un rythme effréné. Tout en accomplissant cette prouesse digne d’un enfant de cinq ans, il secouait la tête de haut en bas, comme s’il interprétait un morceau de génie. Lisa, elle, ne reconnaissait le début d’aucune chanson du répertoire des Screaming Donuts. Elle finit par en conclure qu’il s’agissait d’une improvisation, et elle sentit la panique s’emparer d’elle. S’il y avait bien une chose dont elle avait horreur et dont elle était incapable, c’était d’improviser en public. Pour elle, il fallait qu’un morceau soit parfaitement structuré et longuement préparé, afin qu’elle puisse le jouer en concert.
Désemparée, elle jeta un regard plein d’inquiétude en direction de Will, comme pour lui demander ce que fabriquait Steve, mais le batteur lui répondit par un simple haussement d’épaules, avant de commencer à taper sur sa grosse caisse pour ajouter du rythme à la guitare. James se joignit lui aussi à cette improvisation en l’agrémentant de cris caverneux qui semblaient tout droit sortis d’outre-tombe. De plus en plus mal à l’aise, Lisa fixait le manche de sa basse d’un air perdu, ne sachant par quelle note commencer. Elle était la seule du groupe à ne pas être en train de jouer, et se sentait totalement ridicule. Elle avait l’impression que tous les spectateurs du premier rang avaient les yeux braqués sur elle et se demandaient à quel moment cette pauvre cruche allait enfin se décider à sortir une note de son instrument.
Tentant le tout pour le tout, elle se mit à frotter la plus grosse corde de sa basse en essayant de suivre la mélodie de Steve, ce qui, tout compte fait, ne se révéla pas si compliqué, étant donnée la pauvreté musicale de la composition du garçon. Lisa finit même par s’ennuyer, et se permit quelques écarts en variant les notes et leur enchaînement. Elle aurait presque réussi à faire une improvisation potable, si seulement elle n’avait pas été perturbée par les cris suraigus de James, qui ressemblaient maintenant à ceux d’un cochon en train de se faire égorger.
Comme si ses propres hurlements ne suffisaient pas, le garçon tendit son micro à Steve pour que ce dernier se mette lui aussi à brailler dedans, sans lâcher sa guitare. A eux deux, ils se lancèrent alors dans le concours de celui qui gueulerait le plus fort, ce qui acheva de déstabiliser Lisa et lui fit définitivement perdre le fil de ce qu’elle jouait. Jetant l’éponge, la jeune fille ne chercha même plus à se raccrocher à cette improvisation chaotique, et attendit simplement que le guitariste et le chanteur finissent par s’épuiser tous seuls à force de trop crier.
Will, estimant qu’il était temps de mettre un terme à ce tintamarre, donna un grand coup de cymbale pour marquer la fin du morceau. Hélas, James et Steve beuglaient si fort qu’ils ne s’aperçurent même pas que le batteur venait de s’arrêter de jouer. Ils continuèrent à vociférer à tour de rôle dans le micro, et Lisa se rendit compte qu’ils étaient désormais en train de hurler des gros mots, le tout sous les encouragements du public. Cela dépassait l’entendement... Comment les spectateurs pouvaient-ils apprécier une telle horreur ? Etaient-ils tous bourrés ? En ce qui concernait James et Steve, cela ne faisait plus aucun doute.
- FAITES DU BRUIIIIIIIT ! hurla le guitariste, qui s’était improvisé chanteur, avant de brandir son micro vers la foule.
La clameur du public répondit à son injonction. Lisa n’avait qu’une peur, c’était que les spectateurs demandent un rappel...
Par chance, il n’en fut rien.
Le gérant de l’établissement, debout au fond de la salle, jeta un coup d’œil à l’horloge accrochée au-dessus du comptoir. Celle-ci n’affichait que neuf heures moins vingt, mais il dut estimer qu’il était temps de laisser la place aux Kickass Brothers, car il fit signe aux Screaming Donuts d’abréger. James fut le seul à ne pas voir les gestes répétés du patron qui essayait de se faire comprendre. Serrant le micro entre ses deux mains comme s’il voulait le briser, fermant les yeux et fronçant les sourcils comme s’il souffrait d’une affreuse migraine, il se pencha en avant vers le public et poussa un rugissement si terrible qu’il finit par s’étrangler lui-même et termina sa performance par une quinte de toux. Steve dut lui arracher le micro des mains pour mettre fin à cette démonstration ridicule, et s’adressa au public avec le peu de voix qui lui restait :
- OK, merci à tous ! C’est l’heure pour nous d’aller boire un coup, parce que, mine de rien, ça donne soif de chanter !
« Chanter ? » s’offusqua Lisa. « Il appelle ça chanter ? »
- On vous invite à nous rejoindre au bar après le concert des Kickass Brothers, si vous voulez prolonger la soirée avec nous autour d’un verre !
« Ne compte pas sur moi. »
Lisa était bien décidée à s’échapper de cet endroit le plus tôt possible. Son calvaire avait assez duré et elle refusait de se faire souffrir davantage. Surtout pas en restant en compagnie de ces deux crétins, James et Steve, qui avaient absolument tout gâché.
Hélas, à peine eut-elle rangé sa basse dans sa housse de protection qu’elle se fit entraîner malgré elle par ses camarades jusqu’au comptoir, pour célébrer avec eux leur tout premier concert. Pour la jeune fille, leur performance avait été un tel désastre qu’elle ne voyait vraiment pas ce qu’il y avait à fêter.
Elle se fit malgré tout servir un verre de limonade et trinqua avec ses acolytes, en s’efforçant de ne pas trop laisser paraître sa frustration. Le groupe fut bientôt rejoint par Kyle, Ross, Jennifer et Emily, qui s’empressèrent de féliciter leurs amis musiciens, puis par le gérant du bar en personne, qui fut pour sa part un peu plus avare en compliments.
- Je n’aime pas du tout votre style de musique, déclara-t-il sans ambages, mais au moins ça fait plaisir de voir que vous vous amusez autant !
Ce commentaire un peu rude, mais qui se voulait au final bienveillant, ne fit qu’aggraver l’exaspération de Lisa. D’une part, ce que Ted Murray avait pu entendre ce soir de la performance des Screaming Donuts ne correspondait en rien à leur style musical – cette infâme cacophonie était restée bien éloignée du punk rock. D’autre part, si James et Steve avaient visiblement pris leur pied à beugler et à jouer n’importe quoi, Lisa, elle, ne s’était pas du tout amusée. Cela devait d’ailleurs se voir sur son visage, car Will lui demanda en aparté :
- Quelque chose ne va pas ?
Lisa haussa les épaules d’un air contrarié, avant de lui répondre à voix basse :
- Ce concert était catastrophique…
Le garçon baissa la tête comme s’il se sentait coupable.
- Je sais…, admit-il. Ne t’inquiète pas, on fera mieux la prochaine fois…
- A supposer qu’il y ait une prochaine fois…
Et par ces mots pleins de pessimisme, Lisa faisait preuve d’une clairvoyance dont elle ne se doutait pas encore.
Lisa finit par prendre congé de ses camarades et sortit sur la terrasse du Cocoon pour y attendre sa mère. Celle-ci devait venir la chercher à neuf heures, pile pour le début du concert des Kickass Brothers, mais Lisa n’avait que faire de louper la tête d’affiche. Tout ce qu’elle voulait, c’était rentrer chez elle au plus vite. Exactement comme à la sortie de son épreuve de physique du SAT. Sauf que, cette fois-ci, elle était sûre d’avoir bien plus raté son concert que son examen.
S’installant toute seule à l’une des tables de la terrasse, elle surprit une conversation entre deux jeunes filles qui fumaient leur cigarette à la table voisine, et qui partageaient leurs impressions sur la première partie qu’elles venaient d’écouter. Leur verdict était sans appel :
- C’était vraiment nul.
Scandalisée, Lisa entrouvrit la bouche comme pour protester, mais aucun son n’en sortit, tant elle était sciée. Elle n’en revenait pas du culot de ces filles, qui prenaient un malin plaisir à médire des Screaming Donuts juste à côté de la bassiste du groupe, sans se soucier de ce qu’elle pouvait entendre. N’avaient-elles pas remarqué sa présence ? Ne l’avaient-elles pas reconnue ? Elles l’avaient pourtant vue jouer sur scène pendant près d’une demi-heure ! Peut-être faisaient-elles exprès de tenir de tels propos à côté d’elle, dans le seul but de la provoquer et de voir comment elle allait réagir ? Si tel était le cas, Lisa dut les décevoir, car elle ne broncha pas d’un millimètre, et fit mine de n’avoir rien entendu. Après tout, pourquoi s’énerver ? Elle savait très bien que cette critique était méritée…
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