Récapitulatif des événements ayant mené à leur terme, irrévocable et définitif, les débats concernant la succession de feue Mme Anne-Sophie Géniès de Lagarde
Cher confrère,
Comme je vous l'avais promis tantôt – dans l'antichambre des sœurs Yolande et Sidonie Martin-Jacquard de la Jarretière – voici un bref compte-rendu des événements ayant mené à leur terme les négociations concernant le testament de notre amie commune, Mme Anne-Sophie Géniès de Lagarde, détentrice des entreprises Géniès, Smith et Géniès depuis la mort de son mari, feu Luc-Antoine Géniès de la Saucebéchamolle, et également propriétaire de divers immeubles en banlieue parisienne, de trois appartements au Touquet, d'un loft à Nice et d'un hôtel particulier dans le neuvième arrondissement. L'enjeu était de taille, reconnaissons-le, et je me dois donc, en tant que votre ami et confrère, de vous affranchir au mieux, contribuant ainsi à développer les diverses méthodes existantes dans le domaine du droit de succession.
Monsieur Jacques-Henri, le fils aîné de Madame, portait beau, comme à son habitude, très élégant dans sa redingote Vincent Auriol, et souriait avec l'insolence de ceux qui connaissent le contenu du testament. Inutile de vous dire que je riais sous cape, puisque, en ma qualité de notaire, j'avais eu l'occasion de corriger divers codicilles ajoutés sur le tard par celle que j'appelais alors, avec affection, Madame Anne-S (prononcé « ânesse »). Accompagné de sa femme et de leur quatre enfants, M. Jacques-Henri prit place dans le petit boudoir.
Nous devisâmes benoîtement en attendant les invités suivants.
Le deuxième ayant-droit, Arnold-Antoine, le fils cadet, survint avec un léger retard, l'air quelque peu emprunté dans ses habits du dimanche dont émanait un parfum de naphtaline qui me fit gentiment sourire. Il provoqua, de fait, maints éternuements chez ses neveux, ce qui eut le don d'irriter M. Jacques-Henri.
« Tu le fais exprès ! » dit-il, sec et revêche.
« Que nenni ! » répliqua le cadet.
Je n'eus pas à intervenir mais je peux vous assurer que je n'en menais pas large : la tension était palpable et je craignais d'éventuels débordements.
On sonna à la porte. Les derniers héritiers arrivaient enfin : Mlle Natalia Vibroska, l'amante secrète de feue Anne-S, et M. Paul Jizzfort, trésorier de Libertins Erotomanes Sans Frontières, une association que vous connaissez probablement aussi bien que moi.
Après les présentations formelles, les clarifications requises et la lecture du testament, je posai sur mon bureau les armes d'usage, me glissai dans un costume en kevlar, chaussai un casque à visière, puis me retranchai dans le petit placard en acier trempé. Ce fut rapide et serein : Jacques-Henri se précipita sur son frère avec une baïonnette, tandis que Madame succombait aux coups de rasoir de ses plus jeunes enfants, et que l'aîné, le sexe tendu comme un discours politique, se jetait sauvagement sur Mlle Natalia, dans l'espoir, sans doute, d'allier la perte de son pucelage au détournement de l'héritage. Mlle Natalia esquiva le mandrin pour atterrir sur la lame effilée du hachoir de M. Paul, qui, hélas pour lui, subit à la place de la jeune Russe, les assauts répétés du lombric endurci. Horrifié, je détournai les yeux.
Mais j'entendis les cris et les coups de butoir, les couteaux qui tranchaient, les veines qui coulaient, les promesses des uns et des autres, vaines promesses s'il en est, puisque nous savons d'expérience que tout ayant-droit qui se respecte préfère mourir de mille morts plutôt que d'abandonner à un tiers une part supérieure à la sienne.
Lorsque j'osai enfin rouvrir les yeux, il ne restait, en tout et pour tout, que Jacques-Henri et les parties les plus notables de l'anatomie de Mlle Natalia. Je partageai alors équitablement entre l'un et la moitié de l'autre.
Amicalement, etc.
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