Le retour des schtroumpfs sous acide

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Ce matin, j’ai trouvé un schtroumpf dans ma boîte de céréales. Grand comme la paume de la main. Une culotte blanche assortie à un bonnet ridicule, le torse nu. Sa physionomie rondelette, de ce fameux bleu turquoise clinquant, m’a tellement ému que j’ai senti comme un nœud se former dans ma poitrine. Je vais avoir l'air nunuche, mais au point ou j'en suis... C'était le bain de jouvence. Je me suis revu, gamin, le cul posé sur le canapé de mes parents, toute l’école belge à portée de main : des histoires simples et rythmées, des héros sans défaut, des couleurs vives, aucune ombre au tableau, aucune ombre tout court.

Je me suis aperçu qu’il respirait. Je n'en reviens toujours pas. Mon cœur s'est soudain gonflé d'une infinie tendresse, à ce point que des larmes sont venues me lécher le bord des paupières. Je l’ai saisi délicatement, puis je l’ai installé en douceur sur le coussin que je réserve aux invités de marque. Je l'ai regardé cinq minutes, à la fois stupidement heureux et complètement désorienté, puis je suis retourné finir mon bol de corn-flakes.

J’en étais encore à racler ce dernier lorsqu’un mouvement furtif a attiré mon attention. Je zieute. Rien sur le formica. Je me lève. L’évier étale sa nudité crasseuse. Je profite du voyage pour y déposer bol et cuillère lorsque claque dans mon dos une porte de placard. Je sursaute et me rassure illico. Le petit bonhomme s’est réveillé et il a faim. Il cherche de la nourriture, voilà tout.

J’entrouvre le placard et, glissant un maximum de miel dans ma voix mal réveillée, je murmure :

« Petit schtroumpf, je ne te veux aucun mal. Dis-moi simplement ce que tu as envie de manger. »

Pendant un moment qui me semble bien long, il ne se passe rien. Je m’apprête à reprendre la parole et voilà que la porte m’écrase violemment le nez. Je sens distinctement l’os craquer et le sang jaillir de mes narines.

« Ah ! Aïe… aïe… »

Je hurle, je gémis, je vocifère. La douleur et le ridicule de la situation me précipitent dans un tourbillon confus. L’impression de tomber dans un gouffre, de glisser dans le néant… Le schtroumpf profite de mon étourdissement pour me vider le placard sur la tête et, si je résiste vaillamment aux assauts répétés des paquets de spaghetti ou des sacs de riz, il faut avouer que les boîtes de conserve ont vite fait d’ébranler mon sens de l’équilibre. Je me retrouve à terre, au milieu des victuailles éparpillées, encore dans le seau lorsque me parvient le cri redouté :

« Gnap ! »

Gnap ? Oh, putain de diantre, mais qu’est-ce que…

« Gnap ! Gnap ! Gnap ! »

Les cris se répètent à présent selon un rythme de cauchemar. Dans la mélasse de mon cerveau, j’ai subitement la certitude qu’il y a plus d’un schtroumpf dans mon placard et que ces petits cons ont dû manger quelque chose ne convenant guère à leur métabolisme. Ma réserve de pilules du bonheur, par exemple.

Je tente de me relever, glisse sur une boîte de raviolis, m’étale à nouveau sur le lino, reçoit une cafetière sur le crâne. J’ai à peine le temps d’apercevoir une dizaine de petites formes humanoïdes, noires comme la nuit sur la face cachée de la lune, avant de sombrer péniblement dans un trou sans fond.

Ça, c’était ce matin. Et là, c’est maintenant. Et je suis mal barré. C’est le feu qui m’a réveillé. Ou plutôt la brûlure. Parce que, vois-tu, quand on te flanque les orteils dans une fournaise, ça brûle. Pire que ça. Ça grésille. La chaleur te mord, te déchire la peau, et les nerfs te démolissent jusqu’à la cervelle. Impossible de crier. Les schtroumpfs m’ont enrubanné de chatterton et je ne peux effectuer que des mouvements limités.

Autour de moi, une centaine de créatures sauvages et distordues sautillent en poussant des « Gnap ! » haineux, quand elles ne me maintiennent pas fermement face à la cheminée. Au prix d’un suprême effort, je parviens à me tordre et à rouler sur moi-même, m’éloignant ainsi suffisamment du foyer pour éprouver l’illusion d’une victoire. Mais je sens déjà leurs petites dents acérées s'enfoncer dans le gras juteux de mes orteils cramoisis. Ça grignote, ça déchire, ça déglutit entre deux rots. D’autres schtroumpfs entreprennent d’escalader mon corps immobilisé. Certains tiennent des torches minuscules dont ils embrasent mes vêtements et mes cheveux. D’autres brandissent des fourchettes dix fois trop grandes, des couteaux, des aiguilles. D’autres encore n’ont que leurs mâchoires, dont l'étincelante blancheur reflète les flammes affamées. On m’entaille sauvagement de tous côtés. On me dépèce les cuisses, le ventre, les joues…

La dernière image à s’imprimer sur l'envers de ma rétine est celle d’une paire de ciseaux effilés se dirigeant lentement vers mes yeux exorbités. Combien de temps les entendrai-je mastiquer avant de crever enfin ? Je repense à mes pastilles d'ecstasy. Dans une prochaine vie, je n'oublierai pas de les cadenasser. Je repense aux corn-flakes. Je mangerai bien un steak. Tartare.

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