Chapitre 1
Il avait si longtemps guetté la sortie qu'il faillit la manquer lorsqu'elle se présenta.
Un coup de frein appuyé et la voiture se déporta vers la bretelle qui remontait pour quitter l'autoroute. Jon jeta un coup d'œil sur sa droite puis à l'arrière ; malgré l'embardée tout le monde continuait de dormir. C'était un de ces dimanche soir où le retour de week-end, trop longtemps repoussé, se faisait dans l'obscurité de la nuit déjà tombée et dans la solitude du conducteur à charge de passagers épuisés.
Jon étouffa un bâillement, l'incident avait au moins eu le bénéfice de le sortir de sa méditation pour le ramener à la rugueuse réalité de la route. La maison n'était plus très loin mais il n'était pas sûr d'être pressé d'arriver. Une fois les enfants dans leurs lits, ce serait à son tour d'aller se coucher, et le week-end serait terminé.
Les deux jours passés en famille avaient eu leur lot de petites joies et de micro disputes, comme tous les week-ends de toutes les familles du monde. Les enfants avaient profité de tous les bienfaits offerts par la maison (et la piscine) de leurs grands parents avec une ingratitude qui n'avait d'égal que la bienveillance que ces derniers leur rendaient. Hector en particulier se comportait comme si tout lui était dû.
Jon pressa de nouveau les freins, les contours d'une Peugeot blanche se dessinaient à l'extrémité du halo de ses phares. L'allure de la voiture était très en dessous de la limite autorisée et la voie de gauche était libre. Il pouvait accélérer pour doubler mais la manoeuvre impliquait de rompre le rythme du trajet auquel il s'était habitué. A quelques minutes de l'arrivée rien ne l'obligeait à se presser, surtout en pleine nuit, et avec tout le monde dans la voiture il préférait ne pas prendre de risque. Il adapta sa vitesse et se cala dans le hayon du trainard.
Il connaissait cette route par coeur. Ces quelques kilomètres avant d'arriver à la maison il les parcourait chaque jour sans y prêter attention. Matin et soir, glissières et bas-côtés étaient les témoins de sa routine, son trajet quotidien, le seul moment de la journée où il était véritablement seul. De son désespoir du matin et sa mélancolie du soir, le paysage qui encadrait la route était le seul confident. Et Jon le haïssait pour cela.
En prenant l'angle de la rue, les phares de la voiture balayèrent rapidement la rangée de garages qui bordait le trottoir de droite. Tous identiques, d'un blanc sale et à la peinture écaillée, seulement différenciés par le modèle de la poignée d'ouverture.
Comme souvent un des vantaux était ouvert. Deux hommes à l'intérieur étaient penchés sur une table, à la lueur d'une lampe électrique. Autour d'eux le box était encombré de caisses, de cartons et de pièces mécaniques entreposés en vrac. Jon se dit qu'un jour il irait demander à ce voisin où étaient passés ses enjoliveurs disparus l'année précédente. Le sourire esquissé à cette idée fit place à une moue résignée, la rangée de garage retomba dans l'ombre et Jon rangea la voiture sur le trottoir devant la maison.
Quelques minutes plus tard il déposait sa fille dans son lit et, après avoir souhaité une bonne nuit à Chloé, il s'installait dans le canapé face à la console de jeu. Il n'avait pas vraiment envie de jouer, il lui fallait juste un moyen de repousser la fin du week-end sans y penser. De s'occuper l'esprit jusqu'à ce que l'épuisement lui permette de s'endormir sans ruminer sa haine du dimanche soir.
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