Chapitre 8
Qu'est-ce qui avait bien pu passer par la tête de ce gosse pour qu'il s'aventure dans des fougères plus hautes que lui ?
Hector n'avait jamais été le téméraire de la famille. A cinq ans il avait encore le temps de faire de son prénom un aptonyme, mais il ne semblait pas en prendre la voie. Timide et effacé, il s'effrayait facilement de ce qu'il ne connaissait pas et n'aimait pas se salir, on ne l'imaginait pas tenter la moindre escapade solitaire. Il se prenait de passion pour les jeux calmes et les trucs à collectionner et seule l'appréhension d'être déconsidéré par rapport à sa soeur l'avait convaincu de participer à la construction de la cabane.
Chloé et Jon ne reconnurent donc pas leur fils lorsque, ayant accouru à l'appel de sa soeur jumelle, ils le virent sortir de sous les frondes. Couvert de terre sèche qui adhérait à sa peau par l'intermédiaire d'une substance noire et graisseuse; l'enfant sentit, au regard de ses parents, qu'il avait fait quelque chose d'inconvenant.
Lucille encouragea son frère.
- Montre ce que tu as trouvé !
Hésitant, il regarda ses parents puis désigna la coulée qu'il avait esquissée en se faufilant sous les fougères.
- C'est là-bas.
- T'es tout sale Hector, c'est dégoûtant.
Jon se pencha vers lui pour essuyer de la main les traces noires.
- Comment t'as fait ça ?
Accroupie à côté d'eux, Chloé scrutait sous les fougères dans la direction d'où le petit garçon était arrivé. Elle distinguait un amas de pièces métalliques et de branches en train de pourrir.
- C'est un dépotoir, faut pas jouer là-bas.
- Si ! Il y a des fusées, et un bras de robot ...
- Hector, c'est sale, et tu peux te faire mal.
- ... Et aussi une moto !
Lucille s'impatientait.
- On retourne à la cabane ?
Portant son attention vers sa fille pour approuver son idée, Jon relâcha le bras de Hector. L'enfant en profita pour se faufiler entre ses parents et repartir sous les fougères.
- Hector, reviens ici !
L'injonction était vaine et les deux adultes le savaient, pour récupérer le garnement il faudrait aller le chercher. A quatre pattes, Jon s'engouffra dans le taillis. Il n'avait qu'une dizaine de mètres à parcourir mais il avait perdu l'habitude de ramper dans les sous-bois. Gêné par les épines qui lui entraient dans les paumes, et l'humidité qui remontait déjà dans son jean au niveau du genou, il avançait avec précautions. Devant lui Hector, avait atteint la décharge et s'était écarté sur le côté. Il attendait son père. Le petit garçon n'avait eu aucune intention de s'enfuir ni de faire une bêtise, il voulait simplement que quelqu'un partage sa découverte.
Jon sortit du couvert des frondes et se redressa en frottant machinalement ses genoux et ses mains.
Face à lui se trouvait un monticule de pièces métalliques rouillées, des épaves de mobylettes, des portières de voitures, et du petit électro-ménager. Le tas de carcasses devait se trouver là depuis un moment car il était recouvert de feuilles de fougères fannées et de branchages tombés des arbres. A travers les squelettes métalliques, des pousses de fougères plus jeunes tentaient d'atteindre la lumière.
Hector s'était accroupi près d'un cylindre métallique à moitié enterré et trépignait pour attirer l'attention de son père.
- Regarde Papa, c'est une fusée !
Jon se pencha vers lui et crut dans un premier temps que son fils avait raison. L'objet que le petit garçon avait entrepris de déterrer avait la forme d'un réacteur de fusée miniature. Il était relié à un bloc plus massif qui était imbriqué dans la base du tas de ferrailles. Une bretelle de sac à dos y était fixée.
Intrigué Jon attrapa la lanière et tira pour dégager l'étrange appareil. Il ne parvint qu'à se faire mal aux mains et sa curiosité en fut décuplée. Il allait réitérer sa tentative quand Lucille puis Chloé émergèrent à leur tour de sous les frondaisons.
- Hé bah c'est charmant ici !
- Viens voir ce truc, on dirait ...
- Une fusée Maman, c'est une fusée !
Chloé s'approcha de la trouvaille de son fils, cherchant une explication plus plausible sur la nature de l'appareil.
- Ça sert à quoi ?
- J'en ai aucune idée ... On dirait un jetpack.
Jon avait marqué un temps de réflexion, pour se persuader de la réalité de ce qu'il allait dire.
Chloé se baissa et, passant sa main dans une concavité de l'objet, elle tenta à son tour de le dégager. En vain.
Elle se releva en se retournant d'un bond et fit mine d'attraper son fils d'une main recouverte de cambouis.
- Bouuuaaah !
Le petit garçon sursauta avant d'éclater de rire et de reculer précipitamment. Il s'étala de tout son long dans les fougères en continuant de rire. Sa soeur ne voulut pas être en reste et attira l'attention.
- Moi tu m'attraperas pas Maman !
La famille Cobol se lança à corps perdus dans une grande bataille de poursuites simulées, de plaquages affectueux et d'allègres calins. Ça n'était pas très réfléchi de se courir après et de se rouler par terre dans une décharge de pièces métalliques mais parfois, chez tout parent, le bon sens et la vigilance s'effacent devant un instant de complicité spontanée avec sa progéniture.
Tandis qu'ils reprenaient leur souffle, allongés, regardant les frondes des fougères se découper sur le ciel nuageux, Lucille finit par se lasser. Elle retourna inspecter le tas de ferailles.
- Et ça c'est quoi ?
Elle tendait la main vers le haut du monticule, on y distinguait une main mécanique qui se détachait sur le vert des feuilles d'arbre en arrière plan. Le corps, s'il y en avait un, était enfoui au milieu des carcasses de scooters.
- C'est un robot ça Maman ?
Les deux adultes prirent conscience que les scooters avaient de drôles de formes profilées, que de l'autre côté du dépôtoir des chassis de machines à laver étaient soudés en une structure complexe et que des lames de tondeuses constituaient les pales d'une turbine couchée sur le sol, entre autres assemblages étranges.
Ils s'interrogèrent mutuellement du regard, puis Jon brisa le silence.
- Allez on retourne à la cabane.
- Non Papa je veux emmener la fusée !
- On ne peut pas Hector, c'est sale, et ce n'est pas à nous.
- C'est à qui ?
La question du petit garçon resta sans réponse tandis que son père lui prenait la main pour l'éloigner.
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