3. Une région composée de 95% de gens toxiques 1
Je suis perdue. J'ignorai qu'il y avait autant d'examens quand on était enceinte. mon conjoint ne m'accompagne à aucun de mes rendez-vous, même sur son temps libre. Heureusement, je suis restée en capacité de conduire jusqu'au bout de ma grossesse.
Je fatigue très vite. Mon bassin me fait un mal atroce, comme s'il se brisait en plusieurs morceaux. J'ai envie de hurler d'agonie chaque jour tellement le moindre micro mouvement me paralyse de douleur. Il suffit qsue je songe à bouger pour avoir envie de hurler. Les nausées sont violentes aussi.
J'imaginais déjà qu'être enceinte était une sacrée épreuve de la vie, mais je le confirme, il s'agit d'une véritable épreuve de volonté et de force. À ce moment-là, je ne le savais pas encore, mais aujourd'hui, je sais pourquoi j'ai été aussi malade : le stress extrême que me faisait subir mon conjoint absolument tous les jours y était pour quelque chose. Lui et tout l'environnement.
J'étais frustrée. J'avais quitté famille, amies et région pour lui, juste pour me faire dire :
"Ah non, tu ne l'as pas fait pour moi, tu l'as fait parce que tu le voulais !"
Au vu de mon état, j'ai dû arrêter de travailler. Chaque fois que je travaillais, j'étais allitée pendant deux semaines toutes les deux semaines.
Chaque soir, quand il rentre, je le redoute. Il ne me salue plus, il va directement sur son fichu ordinateur, faisant passer Youtube et Facebook avant moi.
— Tu as choisi un film pour ce soir ? me demande-t-il.
— Euh, non.
En même temps, je n'en ai pas envie. J'ai envie de continuer mon livre ce soir, et pas de me retrouver devant la télé comme tous les soirs, avec un film devant lequel je m'endormirai parce que je n'ai plus l'énergie. Je manque de sommeil avec mon bébé dans le ventre. Ce petit être me réveille déjà toutes les nuits à la même heure depuis mon ventre : Entre 3h et 4h du matin, avec les grosses nausées en prime. Je veux juste dormir.
Son expression se fait agacée.
— C'est toujours moi qui choisis !
Dit celui qui me demande tous les jours de choisir... Je n'ai plus d'inspiration, à force, d'autant plus qu'il refuse de voir certaines choses que j'aimerai voir, et m'impose ce que lui, veut voir même si je n'apprécie pas le genre.
— On ne fait jamais rien avec toi, tu es toujours fatiguée !
Des reproches. Encore des reproches. Éternellement des reproches, à partir du moment où il franchit la porte de la maison.
Comme chaque fois, il finit par choisir et moi, je regarde sans regarder, telle un fantôme. Le film ne m'intéresse pas.
Au fond de moi, la rancoeur me tient encore de cet avortement forcé. Mais je me dis encore que c'est un coup d'angoisse, une dérive qui n'a aucune raison de refaire surface. Alors j'essaie de le pardonner, car évidemment, c'est moi qui suis déraisonnable. Il me l'a dit, je suis trop rancunnière, il faut que j'apprenne à passer à autre chose. Mais tout de même, est-ce si égoïste de désirer des excuses, une preuve d'amour de sa part ?
Il m'entoure d'un bras, mais à cause de cette rancoeur en moi dont je ne parviens pas à me débarrasser, je ne ressens plus le bien-être que cela me procurait. Heureusement, je finis par m'effondrer de fatigue et d'épuisement, calmant mes pensées ruminantes qui m'épuisent encore davantage.
***
Examen des 6 mois. Je stresse, j'angoisse à mort. Il s'agit apparemment de toute une après-midi où on subit des prises de sang. Je crains les prises de sang. Elles m'ont toujours été très douloureuses et à chacune, je fais un malaise vagal assez conséquent.
Et bien sûr, mon conjoint est aux abonnés absents pour me conduire au laboratoire, alors que je le sais, je vais avoir la tête en vrac comme si j'étais bourrée. Même si ça fait étrange de dire ça pour quelqu'un qui ne boit aucune goutte d'alcool.
Alors j'y vais, avec une autre appréhension par-dessus celles que j'accumule déjà depuis des mois : les gens. Ici, ils conduisent dangereusement. Chaque fois que je prends la route, je risque ma vie. Un jour, sur la route du travail, sur 25 minutes de route, j'ai failli avoir 4 accidents. Statistiquement, je trouve ça énorme pour le quotidien. Un jour, alors que je prenais la sortie d'une voie rapide, une dame m'a doublée en passant au-dessus du zébra, à 1 mètre du poteau triangulaire vert et à 10 centimètres de ma voiture. Je ne compte pas le doublage par la droite qui est monnaie courante, les gens vous collent, et surtout vous agressent quand vous êtes une femme si jamais vous osez respecter le code des priorités. Ils cherchent même à vous accidenter dans certain cas. Un jour, il y en a même eu un qui m'a coursée jusqu'à l'entrée de ma maison (et bien sûr, mon conjoint ne s'est absolument pas demandé si j'avais un soucis ce jour-là alors que je me faisais agresser, prisonnière de ma voiture avec l'impossibilité de me garer sur ma place de parking attitrée).
J'ai cependant remarqué que, depuis que j'ai apposé l'autocollant : "Femme enceinte à bord", j'ai compté : désormais, 7 voitures sur 10 gardent plus ou moins les distances de sécurité, contre 2/10 sans cet autocollant.
Allez. 10 minutes de route. Avec l'autocollant qui me procure une sécurité, ça devrait bien se passer. J'y vais. La route se passe à peu près bien, cette fois-ci. Ouf, il y a même un parking privé au laboratoire, je vais pouvoir marcher sans avoir trop mal. Car oui, plus les mois passent, et plus j'ai du mal à marcher. Mon bébé est positionné plus bas que la normale, mon bassin me donne toujours la sensation d'être en mille morceaux à ce niveau, et je m'essouffle très vite. J'ai pris énormément de poids.
J'arrive enfin au laboratoire, essoufflée. On m'installe, on me fait boire un liquide atroce, au goût chimique et horriblement sucré. Pourtant, moi qui quis capable de me manger 100g de tablette de chocolat sans problème, je me disais que j'avais une tolérance plutôt élevée au sucre. Je me sens aussitôt mal, prise de vertiges. Mon corps s'engourdit, je ne sais pas déterminer si j'ai chaud ou froid avec cette horreur ingérée. Plus tard, j'ai su que je me sentais en fait comme un diabétique en crise.
On m'installe sur un siège, première prise de sang. Je m'évanouis. Le monde tourne, mon coeur palpite, je manque d'air, la voix de l'infirmière se fait lointaine. Elle essaie de me garder consciente et m'indique d'attendre ici, le temps d'avoir les résultats ou je ne sais quoi.
Alors j'attends, seule dans cette grande pièce immaculée. Seule, effrayée, perdue, essayant de rassembler de la volonté pour endurer cette torture. J'en ai encore deux à faire. J'ai juste envie de pleurer.
Une autre infirmière me transfert dans une autre salle et me fait la seconde prise de sang. Cette fois, je pars. Ma conscience s'évapore, mes oreilles bourdonnent, mon coeur palpite, je manque d'air, les ténèbres me prennent.
Mais je lutte. Parce que tout ce que vois, c'est mon gros ventre de 6 mois sur le point de heurter le sol, parce que mon corps est en train de chuter du fauteuil.
J'essaie d'appeler à l'aide, je ne peux pas. Ma voix n'est plus qu'un faible souffle, ma volonté vacillante concentrée dans une main qui s'accroche désespérément sur l'accoudoir pour ne pas heurter le sol qui me menace et se rapproche de plus en plus. Mon bébé. Je ne veux pas perdre mon bébé.
Mon esprit hurle, implore de l'aide, je n'ai même plus la force d'émettre un son de voix.
L'infirmière revient et me jette un regard noir et agacé :
— Bon, ça y est, vous avez fini votre malaise ? Parce que j'ai d'autres patients à piquer !
Ses paroles me heurtent, mais je n'ai même plus la force de pleurer. Pourtant, je suis profondément blessée, alors que je lutte contre le malaise. Je bats tous les records, jamais je n'ai fait autant de malaises vagal en moins de quelques heures.
Je pleure. Cet après-midi ne finira-t-elle jamais ?
***
Quand je sors du laboratoire, hébétée, choquée, blessée, épuisée, je me traîne jusqu'à ma voiture. Je démarre, fébrile, me demandant si je vais y arriver. Je ne suis pas en état de conduire. Mais je suis toute seule. Je n'ai pas le choix.
Quand je reviens à la maison, le soir, pas un seul bonjour à nouveau. Tout ce que mon conjoint voit, c'est le verre d'eau qui traîne sur la table, à côté du canapé dans lequel je tente de récupérer.
— Pff, c'est le bordel, ici ! critique-t-il.
Comme toujours. Pourtant, je me suis encore épuisée à ranger, pour qu'il ne voit rien.
J'ai laissé, par malheur, un seul verre sur la table. Et cela suffit à qualifier la maison de bordélique.
— Sérieux, ça te coûte quoi, de te lever et de le ranger ?
Parce que toi, tu es mieux ? Tu es le pire. Notamment avec ta fichue tasse à café de merde que je ne peux plus voir.
Je vous le donne en mille : toujours dans l'évier, à peine après que j'ai rangé. Je ne bois pas de café, alors pourquoi devrais-je m'en occuper ?
— C'est toujours moi qui fait la vaisselle, rappelais-je.
— Non, ce n'est pas vrai, arrête de dire n'importe quoi !
— Tu pourrais au moins laver ton verre chaque fois que tu l'utilises.
— Ça va ! Je la fais plus tard, j'te dis ! Mais tu la fais chaque fois avant !
— Parce que tu dis que c'est le bordel, sinon.
— Mais n'importe quoi, arrête de dire des conneries !
Et un jour, j'en ai eu assez, j'ai refusé de laver sa tasse, j'ai décidé de faire grève.
— Ce n'est pas sympa de ta part, tu pourrais le faire quand même, ça te coûte quoi ?
— Les deux minutes supplémentaires que tu pourrais prendre pour la laver toi-même quand tu l'utilises, surtout après que j'ai tout nettoyé. Ce n'est vraiment pas sympa de profiter que je la fasse pour me l'ajouter à chaque fois ! Alors que je ne bois jamais de café, en plus !
—Tss, mais n'importe quoi, tu es vraiment rise de tête, tout ça pour une tasse ! Grandis un peu !
Voilà.
Il me sermonne. Encore. Alors que je suis sur-épuisée. Et me voilà en train de culpabiliser de me remettre de cet après-midi épouvantable.
J'ai à peine l'énergie de lui répliquer. Je le laisse déverser ses mots durs sur moi, j'ai mal au ventre. Car le néfaste émotionnel, enceinte, on se le prend de plein fouet. On en souffre physiquement. En tout cas, l'hypersensible que je suis souffrait déjà physiquement de ce genre de chose, mais là, c'est décuplé à un niveau où je pense, sincèrement, que très peu de gens auraient la force de supporter, comme moi je subis.
***
Un rendez-vous à l'hôpital.
Une anesthésite me regarde de haut alors que j'explique que la péridurale n'est pas indiquée pour moi. Du peu que j'en ai appris, cela me terrifie. Une alarme se déclenche en moi, me disant que ça risque d'être très dangereux et non adapté pour moi.
La dame me regarde et m'envoie sèchement :
— Vous êtes folle, Madame B*****. Sans péridurale, vous allez souffrir comme jamais ! Il la faut !
Non. Je suis sûre que l'on peut faire autrement. Pourtant, une part de moi doute. C'est la première fois que je suis enceinte, je n'y connais rien à rien à tout ça, on me dit tout et son contraire depuis des mois et des mois. Peut-être que j'exagère, que c'est mon angoisse, ma non-confiance qui m'influence ?
Retour à la maison, ni bonjour, encore sommée de choisir un film sous peine de reproches, reproches auxquels j'ai de toute façon droit quand même pour n'importe quelle raison, pour le moindre mot que je prononce. J'ai l'impression que rien que le fait d'être là l'énerve. Il me traite de feignasse. Que c'est lui qui fait tout à la maison. Que je devrais me forcer à sortir pour ne pas prendre trop de poids.
J'ai envie de pleurer. Au fond de moi, je suis brisée. J'avoue que j'espérais un peu de réconfort après cet après-midi épouvantable.
Est-ce-que j'exagère vraiment ? Pourtant, je me sens réellement harassée, à bout de force. Si je ne me repose pas, je vais m'effondrer.
J'ai d'ailleurs fini à la clinique à peine quelques jours plus tard (bien sûr, j'ai dû m'y rendre toute seule) à cause des douleurs atroces au ventre que je ressentais. Heureusement, tout allait bien pour le bébé, après un moment interminable à être branchée, dans l'angoisse de savoir si j'allais accoucher dans l'instant.
Après tout, c'est ce que le gynéco m'a dit.
J'ai du mal avec lui aussi. Il me regarde toujours d'un air blasé, comme si j'exagérais de me sentir aussi gênée et mal à l'aise qu'il me touche. J'abhorre chaque rendez-vous avec lui autant que je les redoute.
Mon bébé est positionné plus bas que la normale. Sur ces derniers mois, j'ai des risques d'accoucher prématurément.
Durant cette grossesse, je subis au moins 4 fausses alertes dans ces conditions.
Pourquoi n'ai-je pas le droit au même bonheur que les autres ? Qu'ai-je fait au monde pour subir tout ça ? En quoi mon souhait de fonder une famille est-il anormal, alors que d'autres personnes l'ont également ?
Il faut que je me repose. Entre mes nuits coupées, mon agonie à cause de mon bassin, ma culpabilité, l'angoisse extrême qui s'amplifie à chaque jour qui se rapproche de l'accouchement, je suis à bout.
Il faut que je trouve une solution. Ou ne ne tiendrait jamais ce dernier trimestre.
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