Mily (Chapitre 3)
Cela va faire trois jours. Trois jours que je ne suis pas sortie. Je suis en convalescence après tout... Trois jours où je n’ai eu aucune nouvelle. Est-ce moi qui doit faire le premier pas ? Non. Je n’ai personne dans ma vie moi.
Bip bip.
Un message. Ça y est. C’est lui. Mes mains tremblent. Je me sens tellement stupide.
Bonjour…
Je ne peux m’empêcher d’éclater de rire. Sérieusement ? Bonjour ? La tension que j’ai accumulée inutilement s’évapore comme par magie. Je m’attendais à quoi exactement ? Ce n’était qu’un baiser après tout. Rien de plus.
Si ?
- Mdr bonjour ? Bonjour ??? lol
- Je peux savoir ce qu’il y a de drôle ?
- Toi. Tout simplement.
Je n’ai pas réfléchi à ce que j’ai écrit. Ce n’est qu’après l’avoir envoyé que je réalise qu’il peut mal le prendre.
- >< méchante.
- Toujours :p
- Comment vas-tu ?
- Je guéris, doucement, doucement. Et toi ?
La réponse met du temps à venir.
- Pas très bien à vrai dire… Je n’ai pas arrêté de ressasser ce qui s’est passé dans ton appartement...
Oups… pourquoi j’ai posé la question moi ? Qu’est-ce que je dois répondre ?
- Je vais être honnête avec toi. Il se passe quelque chose entre nous. Quelque chose de fort. Tu m’attires énormément et ce depuis le premier jour. J’ai essayé de résister mais je n’y arrive plus. Je sais aussi que tu as des principes donc... je te laisse le choix.
Oh. Mon. Dieu.
- Je ne suis pas officiellement séparé mais je ne suis pas en couple non plus… En somme je ne suis pas totalement libre… Si tu souhaites comme moi tenter une aventure ensemble… retrouve moi ce soir à cette adresse.
18 chemin des Badamiers, Petite Ile.
C’est chez moi. La porte restera ouverte. Toute la nuit s’il le faut.
Je ne réfléchis pas. Je prends mon sac, mon téléphone et saute dans ma voiture. Je sais ce que je veux. Je le veux lui. Je veux Giovanni. Maintenant.
Le trajet dure une trentaine de minutes. Trente minutes pendant lesquelles l’adrénaline est redescendue. Il est presque 21h00. Je stationne la voiture devant le 18 chemin des Badamiers. J’éteins les phares.
Qu’est-ce que je fais là ?
La maison est belle : une petite villa style créole avec ses volets en bois et ses lambrequins blancs sur un toit rouge. Il y a une petite véranda où trône fièrement un rocking chair en osier et où… la porte d’entrée est ouverte. Comme promis. J’hésite.
Je sors de la voiture et ouvre le portillon. Devant moi s’étend une allée tout en scories bordées de buissons fleuris. C’est magnifique. Je m’avance doucement.
Oserai-je ? Vraiment ?
Soudain, je me stoppe. J’ai… le trac. Le trac ! Je me trouve tellement stupide… Giovanni sort sous la véranda… Il me regarde. Je me sens pousser des ailes… Son sourire abat toutes mes réticences. Je ne m’avance pas vers lui, non, je cours. Il ouvre ses bras et je m’y blottis volontiers. Son odeur. Son odeur m’a tellement manqué.
- J’ai bien cru que tu ne viendrais jamais… Mily…
- Nanni… Nanni… embrasse-moi, embrasse-moi avant que…
Il ne me laisse pas le temps de finir ma phrase : il pose ses lèvres sur les miennes. Je sens le sel de ses larmes glisser dans ma bouche. Nos mains découvrent nos corps respectifs : nous ne sommes plus que membres mélangés, baisers enflammés, caresses torrides. Nous finissons sur le tapis du salon. Allongés à même le sol, nous nous assouvissons de nous, de nos corps.
Le moment est sauvage, passionné. L’envie est plus forte que tout. Je n’ai jamais ressenti ça. Avec personne. Il a besoin de moi autant que moi de lui. Lorsqu’il me pénètre enfin, je crie d’extase. Je m’abandonne à toutes ces sensations, à ces vibrations. A ce moment-là, il fait naître dans mon corps des sensations jusqu’alors inconnues.
Nous finissons épuisés, en sueur, toujours sur le tapis du salon qui en a pris un coup… Allongée contre la poitrine de Giovanni, je me sens bien. J’ai peur de dire heureuse. Donc je suis bien. C’est tout. Il embrasse mon front tout en resserrant son étreinte.
- Tu es venue…
- J’en suis la première étonnée, crois-moi. Je ne me serais jamais cru capable…
- Je suis tellement heureux que tu sois venue… Tu n'imagines même pas.
- Nanni…
- Je sais oui… On peut en parler plus tard ? S’il te plaît… Je veux juste savourer cette nuit avec toi…
Je ferme les yeux pour apprécier ses paroles.
- Oui… Nanni… Oui…
- Mily…
Nous avons fini dans son lit où il m’a tendrement fait l’amour. Après la sauvagerie et l’urgence du salon, il a été d’une extrême douceur et d’une infinie tendresse avec moi. Épuisée, je finis par m’endormir au creux de son épaule.
Le plus tard n’est jamais arrivé. J’ai comme l’impression que si nous prenions le temps de discuter de nous, ce nous disparaitrait. Et je n’en ai pas envie. Je vis pleinement cette aventure avec Giovanni, sachant très bien qu’elle sera sans lendemain. Peu m’importe pour le moment.
Le plus difficile a été de le cacher aux cadets. Bien que Joyce ne soit pas stupide. Je crois bien qu’il a de suite compris lorsque nous nous sommes revus. Je sais que je peux compter sur sa discrétion et puis il ne sait rien de concret de toute façon.
Cela va faire bientôt deux mois que ça dure. Je sais au fond de moi que je ne devrais pas mais je sens naître quelque chose de plus dans mon cœur. J’ai beau me répéter qu’il est pris, qu’il est censé se marier mais c’est plus fort que moi.
Encore quelques semaines et le projet RSMA va se terminer. Cette année a été riche ! Certains de mes jeunes, dont Joyce, vont s’engager au sein de l’institution, d’autres se projettent dans l’armée de terre, d’autres encore dans la Marine. Enfin, nous avons finalement réussi à raccrocher certains au système scolaire : ils veulent poursuivre leurs études afin de décrocher leur diplôme.
Tout n’est pas rose : nous avons perdu des jeunes en cours de route, peur du changement, peur du système militaire et j’en passe… Mais globalement, le test est réussi : 70 % des cadets ont trouvé leur voix.
Le moment est venu de les féliciter et de leur donner leur attestation de réussite. Une cérémonie a été organisée pour cela où parents, cadets, proviseurs, référents et gradés du RSMA se retrouvent autour d’un buffet. Les conversations vont bon train et les acclamations pour nos jeunes aussi. La journée se passe sans accrocs. Joyce m’annonce qu’il s’est engagé : il a reçu une petite bonification. Je suis heureuse pour lui, il intégrera la caserne dès le mois de septembre.
Cela signifie aussi que la mission de Giovanni est terminée. Je ne sais même pas s’il va rester à la Réunion. Le simple fait de penser qu’il pourrait partir et mon estomac se retourne. Nous devons nous retrouver le soir même, chez lui.
Lorsque je stationne la voiture cette nuit-là, je sais que c’est pour la dernière fois. J’en suis même persuadée. Triste, je rejoins l’homme que je commence sincèrement à aimer. Je scotche un sourire sur mon visage et entre. La soirée se passe sans encombre, nous discutons et rions mais ce n’est pas comme d’habitude. Il y a comme une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes.
- Nanni… Ça y est hein ? me surpris-je à lui demander. Il a un petit hoquet de surprise.
- Oui… Ça y est… Je dois partir pour le Kenya demain après-midi. Une mission de sept mois… Je l’ai appris ce matin.
- Oh…
- Je reviendrai. Je te le jure.
- Nanni… Ne fais pas de promesse que tu n’es pas sûr de tenir… Après tout nous étions d’accord non ? Une aventure…
Je ne peux empêcher mes larmes de couler. Giovanni me serre dans ses bras comme si le monde dépendait de cette étreinte. Il me conduit dans sa chambre où nous faisons une dernière fois l’amour.
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