2

3 minutes de lecture

 — Ça devient trop dangereux, j’veux pas finir comme le vieux Raül ! J’fais même plus confiance à ma femme !

 Amaury émergea. L’homme braillait dans la chambre mitoyenne à la sienne. Le soleil filtrait à travers le volet branlant.

 — Et tu veux aller où ? Les grandes villes sont pleines de traqueurs, c’est même pas la peine d’y penser ! Sauf si tu préfères tenter ta chance seul dans ce foutu désert ?

 — J’en sais rien, moi ! On m’avait dit que Benavre était tranquille !

 — Ils doivent avoir installé un agent dans le coin, c’est la seule explication, alors tu ferais mieux de la fermer !

 — Excuse-moi, Raph...

 Amaury s’habilla et descendit les escaliers aussi discrètement que possible. Comme aimait le rappeler sa mère, ce que pouvaient se dire les clients ne le regardait pas.

 Le service du matin était toujours le plus calme, il suffisait de s’assurer que la corbeille à pain reste pleine, sans oublier bien sûr la tenue du registre des clients. Il passa dans la cuisine et mangea quelques tartines avant de se mettre au travail.

 — Il est vraiment sec, se plaignit-il à son père.

 — Je sais, souffla celui-ci. Et les clients ont le même. Le colporteur a encore du retard.

 — Pourquoi est-ce que l’ancien ne livre plus ?

 — C’est qu’il se faisait vieux. Tu te verrais traverser le désert toutes les semaines avec le camion plein, à son âge ?

 — Je me vois déjà mal avoir son âge, admit Amaury.

 — Il va falloir qu’on investisse dans un four, pour le faire nous même.

 — Ça te rajoutera du travail.

 — Tant pis, de toute façon j’ai que ça à faire. Allez, au boulot !

 Il sortit le carnet sur lequel il écrivait les plats prévus et prépara ses ingrédients.

 Seule une table du réfectoire était occupée. Amaury jeta un coup d’œil à la corbeille à pain, presque pleine, puis s’installa sur une chaise inconfortable, dans un coin. Trois hommes entrèrent peu de temps après. Le premier, dans son long manteau rendu ocre par le sable, se dirigea vers la plus grande table. La cicatrice qui séparait sa barbe en deux le rendait facilement reconnaissable. Amaury prit le registre et traça trois traits derrière son nom : « Nicolas Rosier ». Un homme plus petit d’une tête le suivait de près ; il tentait en vain de cacher sa méfiance envers les personnes attablées. Le troisième, d’une pâleur cadavérique, était connu dans la ville comme « le muet ». Il tira sa chaise et s’assit avec des mouvements mécaniques, à tel point que le jeune homme fut surpris de ne pas entendre d’engrenages. Il posa ses mains tremblantes sur la table et ne bougea plus. Ses yeux se perdirent dans une scène invisible aux autres.

 — Raph, il a noté un truc ! entendit Amaury.

 — C’est pour s’assurer qu’on ne mange pas à l’œil. Maintenant, ferme-la, idiot ! grogna Nicolas.

 Le jeune homme ne réagit pas. Une autre règle de sa mère stipulait que les clients étaient libres de donner des faux noms tant que leurs billets étaient réels. Le muet sortit de ses songeries pour avaler un morceau de pain qui, à en juger par son visage décharné, lui tiendrait la journée. Les autres chuchotaient en mangeant. Le brailleur parvenait à se contenir, ce qui semblait tenir de l’exploit. Ils partirent une demi-heure plus tard, alors que la salle commençait à se remplir.

 Amaury passa les deux heures suivantes à noter les clients qu’il voyait dans le registre et enchaîner quelques allers-retours pour remplir la corbeille. Il dû expliquer à un type aussi petit que désagréable pourquoi le pain était sec et, enfin, finit son service. Il nettoya les tables et revint dans la cuisine. De grandes casseroles chauffaient le prochain repas.

 Le jeune homme quitta l’hôtel. Sur la place, des enfants couraient après un ballon. Leurs cris se mêlait au brouhaha habituel. Des adultes râlaient lorsqu’ils passaient trop près d’eux. Amaury se posa sur un large rebord de fenêtre et les regarda s’amuser, jusqu’à ce qu’une femme vienne les chercher. Ils grimpèrent à sa suite dans un autobus qui ne tarda pas à démarrer. Le jeune homme souffla et jeta un coup d'œil à sa montre. Il lui restait encore une petite heure. Il se leva, s’étira, puis marcha un peu avant de retourner dans sa chambre. L’odeur de poussière le poussa à ouvrir sa fenêtre, bien qu’il sache qu’elle ne partirait jamais. Il prit un livre au hasard, l’ouvrit vers le milieu et lut jusqu’à ce que sa montre indique l’heure de se remettre au travail.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire PM ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0