Le faune du loin

11 minutes de lecture

A la découverte

Jazon traînait dans la banlieue du Tonneau, le territoire de la tribu des Maronnets. Il chassait près des eaux envasées de Lamarne, juste sous la grande ligne de béton qui filait dare-dare dans la brume au-delà du pays de Valmar. Il aurait bien aimé filer lui aussi, partir pour trouver la liberté, ce trésor du Lointain. Suivre la ligne malgré les éboulis et voir où elle va. Mais elle allait vers deux ailleurs différents et il était difficile de choisir quand on ne savait rien. Son frère Tibot l'avait précédé, deux ans plus tôt. Il était parti sans même saluer les anciens. Ils n'avaient pas apprécié, les vieux. Rol "le chef" en avait parlé au cours de la mange du soir. Il l'avait même soupçonné d'être de mèche avec Tibot.

– Je croyais qu'il montait un bourrichon ! s'était défendu Jazon.

Mais Rol l'avait regardé longtemps de son air d'ombrage qui voit jusque dans la tête. Le chef l'aimait pas depuis cette nuit et Jazon se retournait souvent de crainte qu'il lui "rende l'appareil". Pour dire vrai, ce qui gênait Jazon, ça n'était pas la colère du chef ou même que Tibot se soit bouge de là. Ce qui l'emmournait le plus dans cette histoire c'est que son petit frère se soit tiré avant lui. Il aurait voulu être le brave, traître à la tribu mais héros dans son fort ! Il faut être fort se répétait-il, mais rien n'y faisait, il avait la frousse de faire la Venture.

Pour l'heure, il pataugeait dans les eaux saumâtres de Lamarne, son pantalon déchiré était maculé de boue et trempé jusqu’aux hanches. Le soir venait et il n'avait encore attrapé que trois rats. Son istpac ne pesait pas lourd. "Si tu ramènes pas ce que tu manges, t'es pas un homme" rappelait souvent le chef. Il allait renoncer quand il en vit un gras lever le museau en montrant ses dents tordues.

– Il m'a flairé, mais moi aussi !

Jazon se précipita. Comme la bête s'enfuyait, traversant à la nage une flaque remplie d'algues et de branchages. Il entendait dans sa tête, la colère du rat.

Le géant, je le saignerai ! Pas le temps. Il a sa longue griffe tranchante qu'il jette devant lui. Danger, fuyons.

Jazon n'avait jamais dit à personne ce qu'il entendait dans sa tête. Il ne faut pas dire. Jamais. ça aide ton ennemi et ton enemi c'est tout le monde. Il envoya sa lance à pointe de fer sur le rat.

– Manqué ! Et pas qu'un peu ! Bougre de Jazon !

Le rat fanfaronna avant que sa voix se taise dans la tête de Jason.

Brute, faible guerrier. La prochaine fois, je te mangerais les yeux !

La lance s'était fichée dans un vieux tronc. Il s'approcha pour la récupérer et vit un sac accroché à une branche coupée. En bon état, il pendait, sorti de nulle part.

– C'est un beau plastoc !

Jazon souriait. Le sac noir était à lui, il n'en revenait pas. Le plastoc c'est ce qui tenait le mieux des choses d'avant la chute. Il allait faire le coq-au-village avec un tel trophée ! Peut-être qu'il le donnerait à sa femme quand il en aurait trouvé une ! Les femmes de la tribu n'étaient pas pour lui. Vieilles et toujours fâchées. Il se demanda s’il était possible d’en attraper une qui se serait égarée;

Il se demanda à qui était le sac. Il devait être d'ailleurs, personne n'en avait un comme ça au tonneau. Jazon le regardait comme un sac très ancien, avec des bords tout droits mais en même temps il voyait bien qu'il venait du temps de maintenant. Il le décrocha aussi rapidement que possible et s’enfuit avec lui. A l’abri d’un bâtiment en ruines, il commença à l'ouvrir. Le zip avait résisté ! Il fît glisser le petit train sur son rail. Là, dedans, au milieu de trucs qu'il ne connaissait pas, trônait le-best ! un faune comme sur le panneau de la pub du Tonneau dans la ville ! Les vieux racontaient qu'avant la chute, les gens se parlaient de loin, même sans se voir et ils s'entendaient en mettant le faune contre l'oreille.

Il admira l'objet. Un rectangle froid et lisse qui luisait tout seul un peu comme un sortilège de bonne femme. Jazon ne croyait pas à toutes ces sonnettes-de-serpent mais il savait que ceux de l'âge d'Avant connaissaient plus la lumière que l'ombre et qu'ils avaient eu la force qu'on avait perdue. Le faune ne pesait rien et pourtant il était là, dans le creux de sa main.

– C'est l'artéfak ! se répétait-il. Un faune de l'Avant ! Et il est à moi !

Il n'en revenait pas. Finalement il était un héros, lui aussi ! Et pas un traître en plus !

Le retour parmi nous

Comme le soleil menaçait de s’éteindre, il se débarbouilla dans un filet d'eau vive et rentra au Tonneau. Un grand feu éclairait la place non loin du panneau publicitaire. La tribu préparait la mange du soir. Il déposa ses attrapes devant le cuistot et pris le temps de regarder le paneau.

Les visages heureux d'une famille dessinés dessus. Ils se devinaient encore à travers le plastique défraîchi. Les personnages détenaient chacun un faune orné d'une image colorée.

– Quel trésor ! pensa t-il.

Il pensa que son faune à lui, n'avait pas d'image. Il rêvait qu'Il s'éveille et lui montre des images du loin temps ou de l'ailleurs et ça lui faisait un peu mal et en même temps il était heureux. Il était un peu "pas pareil" avec une petite pointe de métal qui sortait d'un des coins. Il se dit qu'il était encore mieux.

Il allait filer dans son coin à lui, un bout de sol bien sec, en hauteur. Quand Rol l'appela.

– Ah te v'là petit ! Fais voir ce que tu ramènes !

Rol avait sa figure de tous les jours, c'est-à dire mauvaise. Et Jazon qui espérait passer en douce !

– J'ramène trois gras !

Jazon avait parlé fort mais son assurance sonnait faux. Rol, impatient, lui fît signe d'approcher.

– Qu'est-ce que tu caches ? On la fait pas au vieux Rol !

Mince, il avait vu le sac. Il aurait dû le planquer au lieu de revenir, l'air de rien.

– Je l'ai dégoté, le plastoc, il est à moi ! Jazon se tenait sur ses gardes. Il recula, imperceptiblement. Le visage déjà empourpré de colère, Rol ramena son imposante carcasse.

– Dis-donc, le petiot ! Qui t'a abrité ton frère et toi ? Tout ce temps que t'avais pas de père ?! Je vais t'le dire ! Ah ça fait le franc-faron maintenant que c'est un homme mais que serais-tu sans la tribu des Maronnets ? C'est pas les Lefort qui auraient fait la mange avec toi ! Parce que les Lefort, il sont pas trop regardant sur la viande !

Les voisins maronnets les regardaient tous. Le brahouha

Jazon eut un frisson rétrospectif. Tout jeune, ils avaient failli être capturés par ces dégénérés de LeFort de la grande maison de mairie. Ils en auraient fait une mangeaille de lui et de son frère ! Le chef des Maronnets profita de son hésitation pour s'emparer du sac.

– Et ! Le chef ! T'as pas l'droit. J'ai mon endroit secret aussi !

Rol répondit par une grimace de mépris vite remplacée par un grand sourire amusé dès qu'il vît le contenu du sac.

– C'est bien Jazon ! Tu fais un cadeau au vieux Rol qui t'a élevé ! Tu es un bon garçon ! Il siffla de contentement. Il allait prendre le faune et ça Jazon ne le supporta pas.

– C'est mon mien !

Il se rua tête baissée, comme un taureau enragé sur son conquistador ! Rol esquiva la charge sans effort. Un croc en jambe envoya Jazon au tapis. Vexé, il se releva près à en découdre, le poings levé, le regard défiant.

– Tu peux le garder ton trésor de rien ! dit Rol en lui jetant le faune à la figure, mais garda le sac. Et je veux cinq gras demain soir ! ajouta-t-il.

– Tu veux rien du tout ! répondit Jazon, au bord de la crise de nerfs.

Des clameurs de surprise s'élevèrent dans le camp. Ça allait puer pour Jazon !

Etonné par cette résistance inhabituelle, Rol leva la main. Il s’approcha de Jazon.

– Arrête de chanter gamin et vas ronfler, c’est pas une heure pour les mômes !

Tout se passa très vite, Jazon en avait trop gros sur sa patate. Une main dans le dos, il fît un pas et lança de toutes ses forces, le bloc de bois qu’il cachait, Frappé au nez, le vieux Rol tomba au sol en gémissant. Surpris par le sacré lèse, la foule hésita. Jazon fila, à la mode.

La carapate

Jazon courait comme si sa vie en dépendait et peut-être c’était le cas. Il avait frappé le chef des Maronnets et la tribu ne transpirait pas avec la discipline. Le problème c’est qu’il faisait maintenant nuit toute noire. Il descendit d’une traite la pente vers laMarne.

– Faune ! Faune ! Réveille-toi ! criait-il,

mais le faune restait obstinément muet.

– Tu ne me sers à rien Faune ! Je vais me faire couper en morceaux à cause de toi !

En touchant le faune, il sentit qu’un bout s’enfonçait. L'objet se mit à sursauter et il changea de couleur. Des petits dessins apparurent et l’appareil eut comme une plainte aiguë. Machinalement il essaya d’appuyer sur un point vert au milieu du bazar. Une voix de la famille sortit du faune.

– Sarah ? Dir Marc veut que je te cause ! Qu'est que tu veux ?

– Hein ? C'est qui qui est là ? répondit Jazon. Le sang faisait un drôle de bruit dans sa tête.

Un craquement, puis :

– Jazon ? C'est toi Jazon ? C'est pas deux possible que c'est toi !

De surprise, Jazon laissa tomber le faune.Il s’agenouilla auprès de l’appareil qui allumait faiblement la nuit. La voix appelait toujours « Jazon»

– Tibot ? … Tibot, c’est toi dans le faune ? demanda Jazon.

Jazon pleurait. Ça l’avait pris sans avertir. Entre deux reniflements, il appelait Tibot, sans croire tout à fait que la voix dans le faune était celle de son frère.

– Petit frère ? appelait-il penché sur l'appareil.

Jazon n’osait pas reprendre son faune.

– Jaz ?! C’est toi ?

C'était bien la voix de Tibot qui sortait du faune ! Des cris retentissaient, plus haut, entre ici et le Tonneau. Jazon ramassa le faune et disparut dans la nuit.

– Tais-toi Tibot, le chef veut m'attraper ! Tais-toi…

– La femme, Sarah. Fais … (un craquement) la voix de Tibot était partie ailleurs.

– Je ne comprends pas Tibot ! Tibot !

Le faune s'endormit. Jazon était seul et son cœur tapait fort dans sa poitrine.

Trouver Sarah

– Il veut que je trouve Sara, c’est ça qu’a dit Tibot !

Il ramassa le faune et s’enfuit vers les rues défoncées. Son but était de suivre le fleuve de loin pour le traverser dés qu’il le pourrait. Mais il ne fît pas trois pas avant d’être rattrapé par des guerriers du Tonneau. Il le rouèrent de coups et il tomba à terre. Un coup de tonnerre assourdissant retentit alors, surprenant tout le monde. Une femme apparue, brune, jeune, vêtue d’une combinaison avec des dessins de feuilles d’automne dessus. Elle tenait un objet métallique dans une main levée au-dessus de la tête. Une flamme parut en sortir quand elle appuya dessus. Le même bruit assourdissant résonna. Alain, le gaillard le plus fort du loin-quai se jeta sur elle. La chose aboya à nouveau et Alain tomba et ne se releva pas. Les autres se carapatèrent.

– Sara ? Tu es Sarah ?

– Oui, viens avec moi, je vais te conduire à Thibault.

Le son de sa voix, ne lui plaisait pas sans qu’il ne sût pourquoi mais son visage lui fît oublier cette première impression. Elle était si belle avec ses cheveux comme de la mousse ! Elle était presque propre ! Rassuré, il la suivit. Elle sortit un nouveau faune de sa poche. Pas tout pareil que l’autre, il ne s’allumait pas beaucoup et une longue tige métallique s’allongea au moment où elle tira dessus.

– DRH pour UL2, tu m’entends ?

L’engin crachota des sons qui ne contenaient aucun mot. Puis une voix d’homme en sortit.

– Affirmatif, UL2 à DRH, la cible est logée ?

– Affirmatif, rappliquez-vous vite, ça pue ici !

Deux lumières, comme de petits soleils, percèrent la nuit. Jazon se protégea en plaçant la main devant ses yeux. Deux machines à deux roues, chevauchés chacun par un homme, arrivèrent sans bruit et s’arrêtèrent à leur hauteur. Ils étaient casqués et habillés de noir. Sarah le fît monter en croupe, derrière l’un des "cavaliers", tandis qu’elle s’installait derrière le second.

Les engins repartirent en silence, prenant très vite de la vitesse. Les machines roulantes effectuaient des écarts fréquents pour éviter des branches au sol, des trous dans les routes défoncées et même des barrages improvisés. Sarah tira avec son arme, à plusieurs reprises. Enivré par des sensations nouvelles, Jazon vivait ce trajet comme un rêve. La vitesse, la perfection des mouvements des engins, l’absence de bruit lui donnaient l’impression de voler.

Sortis des ruines de la zone urbaine, le quatuor se mit à suivre des chemins de campagne. Au bout d’un temps qu’il trouva trop court, des bâtiments apparurent coiffant la crête d’un colline pierreuse et les engins ralentirent. La construction, intacte, présentait des courbes épaisses et il lui sembla qu’elle avait été faite pour résister à tout.

Un lourd portail métallique s’ouvrit dans l’enceinte éclairée de l’intérieur et avala les deux machines, qui vinrent se parquer, le long d’un mur contre des support métalliques prévus à cet effet. Sarah fît signe à Jazon de descendre et s’approcha de lui.Le jeune homme parut se réveiller. Son visage tendu trahissait son angoisse.

– Où est Tibot ? demanda-t-il d’une voix blanche.

La femme pointa son arme sur lui.

– Tu vas le rejoindre. Ici on met les singes ensemble !

Jason tenta de s’échapper mais les deux hommes le ceinturèrent. Il sentit qu’une pointe fine le piquait au bras. Il perdit connaissance.

Les retrouvailles

Jazon se réveilla. Au travers de sa vision vacillante, il reconnut le visage de son frère.

– Tibot, Tibot, enfin !

Thibault était pâle, ses traits creusés montraient fatigue et souffrance. Il pleurait.

– Jazon, il fallait pas venir…

– Mais tu m’as dit de trouver la femme Sara !

– J’ai essayé de te dire de partir loin de Sarah, mais ils ont coupé la communication.

– Coupé la commu-ni-ca-tion ?

– Ils m’ont empêché de parler Thibault !

Jazon se redressa et prit son frère dans les bras.

– C’est pas ta faute… On va partir !

Il tourna la tête pour examiner les lieux et réalisa qu’ils se trouvaient enfermés dans une pièce grillagée. Il agrippa les croisillons du grillage et le secoua. Thibault d’une main, l’arrêta.

– Ne t’énerves pas, ils vont cogner…

Tibot pris le bras de son petit frère. Celui-ci était rempli de marques de piqures.

– C’est pour le sang. Notre sang a quelque chose de spécial qui les intéresse. Ils pensent que tu es spécial comme moi.

Jazon se releva d’un bon et hurla en secouant le grillage.

– Laissez-moi sortir ! Salauds, salauds !

Et tout en s'époumonant, il comprit qu’il allait devoir être patient, très patient, s’il voulait s’en sortir. Quelque chose se durcit dans son cœur, un mélange d’espoir et de haine. Il se tût et se retourna vers son frère.

– Maintenant que je suis là, ils vont te laisser tranquille !

A cet instant, il sentit qu’il était enfin devenu un grand frère.La lumière disparut et ils se serrèrent l’un contre l’autre dans le noir.


Annotations

Versions

Ce chapitre compte 9 versions.

Vous aimez lire Philippe Meyer ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0