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Nerveux, je jette un coup d’œil à la flopée d’officiels, là juste sur ma gauche, avec leur sourire de façade, leur costume bien coupé, cravate dressée sur chemise impeccable. Les femmes ne sont pas mieux que les hommes, les peintures de guerre en plus... Et voilà, je fulmine. Fichu le programme du samedi soir, devant ma télé, à regarder mon match de foot accompagné d’une bonne bière et de quelques petites choses croustillantes ou dégoulinantes de fromage… Quelle frustration ! La vie est trop injuste. Et me revoilà à ronchonner :

 

— Non mais quelle bande de faux culs ! Venir me chercher pour accueillir nos « vaillants amis de l’espace » qui après un si long voyage…. bla, bla, bla…Et puis qui leur a demandé de venir d’abord ?

 

Oui ! J’avoue, rejet viscéral et inexplicable sentiment d’antipathie et de méfiance : je n’aime pas ces étrangers venus « d’on ne sait où, de l’autre côté de la galaxie… ». Et d’ailleurs, qui sait à  quoi ressemble ce coin ? En plus ils sont parfaits, trop propre sur eux ! Trop louches ! Et ce déballage de technologie, ces vaisseaux flamboyants. Tout cela à l’allure d’une invasion, le goût et l’odeur ! Une pensée sinistre s’insinue. Que faire d’autre que de les accueillir à bras ouverts, se faire atomiser peut-être…

 

Bien entendu, les gens du gouvernement Terrien, du ministère de la communication extraterrestre (nouveauté inaugurée avant-hier) m’ont briefé sur la façon de me comporter avec les arrivants. Me surveiller à chaque seconde provoque des remontées gastriques insupportables. Comme se présenter en rang désorganisé devant les nouveaux venus n’est pas concevable alors, de je ne sais quelle grande instance internationale, est sorti un tout nouveau gouvernement planétaire.

 

 C’est « t’y » pas beau ce nouveau sentiment d’union ! Bande d’hypocrites ! Entente de façade faite de compromis, de bric et de broc ! Intenable sur le long terme et la porte ouverte à toutes les chamailleries dont l’humanité est si friande ! Bref, me voilà devant le pupitre, auguste assemblée qui s’étale à perte de vue… et j’examine nos nouveaux amis, assis au premier rang juste en face de moi. Je déglutis avec peine…

 

Mâle ou femelle ? Bonne question : ils sont beaux, je suis bien obligé de le reconnaître. Grands, tous vêtus de longues tuniques fluides, scintillantes, claires mais pas blanches. Question style : peut-être tendance, il y a deux mille ans… Les yeux étirés sur les tempes, des traits fins plutôt bien dessinés, cheveux du blond au brun, lisses, courts ou longs, ce qui n’est pas un indicateur de sexe chez nos visiteurs. Dommage. Difficile de ne pouvoir se repérer sur les bases habituelles.

 

De toute manière leur dégaine ne m’inspire pas ! Aucune émotion ! Inexpressifs ces gens. Du genre qui vous met bien à l’aise surtout si vous avez en prime des caméras braquées sur vous et des milliards de paires d’yeux qui assistent à ce moment « historique ». Aisé d’imaginer les commentaires sur votre physique avec toute la verve acide réservée à ce genre d’occasion. Historique, cela le sera ! Je peux l’assurer, je le sens au plus profond de mes tripes lesquelles se mêlent en nœuds angoissés.

 

Petite satisfaction, je n’ai pas eu à leur serrer la main. Encore heureux qu’ils en possèdent d’ailleurs. Fortement déconseillé m’a expliqué une petite scientifique binoclarde, asthmatique et hyper stressée. Les arrivants ne pratiquent pas les contacts physiques. Voilà qui doit être commode pour se faire des câlins, enfin s’ils usent de la chose. Allez savoir…

 

Pourquoi moi ? Une idée saugrenue me vient : j’ai encore dû perdre au tirage au sort.  Mais quel tirage au sort ? La dernière fois… J’éprouve des difficultés à me souvenir mais cela commence à me revenir, en douceur, par vagues. Et au discours froissé glissé dans la poche de ma veste, se substitue une autre déclaration, quelque chose d’ancien, quelque chose d’enfoui au plus profond de ma mémoire. Je me suis déjà trouvé là, dans cette même situation, à plusieurs reprises au cours des âges.

 

Ma frustration et ma colère se sont dissipées. Il est évident que je sois là. Cette mission échoue toujours à quelqu’un comme moi. Je souris, tranquille. Je fixe les voyageurs puis j’assène à l'oral dans leur propre langue mais aussi d’esprit à esprit :

 

— Votre présence sur cette planète est une violation inqualifiable de la Loi Galactique. Vous n’avez pas été autorisés à pénétrer dans l’espace de ce Système Solaire par la Haute Hiérarchie Galactique !

 

La stupéfaction de nos visiteurs est totale, plus d’impassibilité maintenant et je m’amuse à percevoir leur affolement :

 

— Tenter de profiter de l’actuel alignement avec le centre de la Galaxie pour passer inaperçu était infantile ! Vous n’avez pas encore atteint le niveau requis pour séjourner ici-bas ! Les gars, faudrait voir à bosser plutôt que de tenter de tricher ! Pour venir ici, il faut le mériter ! Non mais vous croyez quoi,  que venir expérimenter l’existence terrestre c’est pour n’importe quelle conscience ! C’est déjà assez le foutoir  sur Terre, avec toutes les différences de niveau, sans en plus se farcir des arriérés malhonnêtes pas fichus de respecter les règles ! Vous avez franchement cru qu’il n’y avait pas de gardiens célestes ici ?

 

J’ai l’impression qu’ils ont verdi mes resquilleurs de l’espace. Ils se lèvent un à un, présentent leurs plus profondes et humbles excuses. Honteux, ils filent vers la sortie. Sur ma gauche, une voix flutée commente :

 

— Eh bien ! Tu les as expédiés en moins de deux minutes, un nouveau record. Pas facile de faire aussi bien la prochaine fois… Bien sûr, les caméras ne tournaient pas Et le service des communications célestes s'occupe déjà d'effacer l'incident des mémoires.

 

Une dame d’un certain âge, au regard pétillant derrière une hideuse monture en écaille me regarde en souriant. Impossible de ne pas reconnaître cette vibration chaleureuse.

 

— J’étais pressé, j’ai un match à regarder ce soir. J’ai repéré un pub sympa pas loin,  on pourrait fêter nos « retrouvailles »…

 

— D’accord, mais tu payes la bière en arrivant, parce que la dernière fois, avant la fin des courses de char, tu ne savais déjà plus qui j’étais. J’ai dû régler la note au tavernier de la Via Apia, alors que c’est toi qui avais le plus picolé !


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NA : Dans le passage "Intenable sur le long terme et la porte ouverte" : il s'agit bien de la conjonction de coordination "et" et pas  le verbe être "est" au  présent et à la troisième personne du singulier comme cela me l'a été suggéré. 

D'un autre côté je suis une étourdie pathologique, alors n'hésitez pas à me signaler des fautes .




 

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