Un lapin au Pôle Nord
Il pleuvait.
La jeune fille courait entre les flaques sombres. Elle tentait vainement de protéger ses épais cheveux bouclés, mais elle savait que c’était perdu d’avance. Elle devait trouver un abri si elle ne voulait pas ruiner le costume qu’elle portait.
Il va tellement me trucider si je l’abime encore.
Elle avisa soudain un porche abrité. Elle pourrait rester là, juste le temps que l’averse se calme.
Mais elle le savait, l’averse ne se calmerait pas de sitôt. Elle était là, transie, recroquevillée contre un lourd battant de bois. Ses jambes repliées sous elle, elle essayait de protéger ses cuisses avec les pans de sa jupe trop courte.
Foutue tenue. Foutu boulot. Foutue vie.
Contre toute attente, elle senti brusquement le bois bouger dans son dos. Elle bondit comme un ressort et se dressa face à cette énorme porte qui venait de s’ouvrir. Trop occupée à penser à autre chose, elle n’avait pas remarqué qu’elle s’était réfugiée sous la porte de la cathédrale.
Qu’aurait-elle bien pu en faire, elle s’en fichait de la cathédrale. C’était un truc de vieux croûtons et de vielles filles.
Pourtant, la porte venait de s’ouvrir sur un homme d’un âge tout à fait convenable. Malgré sa barbe presque blanche, ses yeux clairs témoignaient qu’il était encore jeune. Il lui souriait gentiment.
Elle crut un instant qu’il allait la chasser parce qu’elle dérangeait, mais non. Au contraire. Le prêtre lui demanda si elle voulait se réchauffer à l’intérieur.
-Vous êtes trempée et il va surement pleuvoir toute la nuit.
Elle ne savait que répondre. Elle n’avait jamais mis les pieds dans une église, elle ne s’était jamais approchée d’un homme de foi. Il ne fallait pas être sans pécher où un truc comme ça ? Parce que clairement elle ne rentrait pas dans la case.
Mais il insista. Un frisson glacé la parcouru. Oui, elle avait froid, un peu de chaleur ne serait tout compte fait pas de refus.
La cathédrale était immense. Ça aurait fait une boîte du tonnerre ! Avec un DJ sur la table en plein milieu là, des gros spots lumineux à la place des statues étranges en haut.
Elle réprima un sourire. Elle imagina le prête danser. Avec sa robe noire et sa barbe blanche, il ferait un carton.
Cependant, il faisait presque plus froid dans la cathédrale que dehors. Même si elle était protégée de la pluie, elle commençait à regretter d’avoir suivit cet inconnu.
Pourtant il ne s’arrêta pas là et l’emmena dans une pièce à côté. Elle n’était pas spécialement grande (surtout en comparaison de la nef), mais au moins elle était chauffée et sentait bon la cire, le bois vernis et une odeur très particulière qui chatouillait le fond de la gorge.
Un gros livre était posé sur une table. La chaise était tirée comme si le lecteur venait de se lever pour chercher quelque chose et n’allait pas tarder à reprendre sa lecture.
Le prêtre ne s’y assit pourtant pas tout de suite. Il prit une bouilloire dans un coin de la pièce et lança par-dessus son épaule.
-Vous voulez un thé pour vous réchauffer ? Une tisane ?
La jeune fille acquiesça d’un geste rapide de la tête. Tout ce qui pourrait la réchauffer serait le bienvenu.
Elle s’ébroua d’un mouvement d’épaule. Chassant l’eau qui collaient à ses cheveux. Celle-ci glissa sur le satin de sa mini-robe et le long de ses jambes nues. Tout d’un coup elle eu honte de sa tenue. Ce n’était clairement pas décent d’être déguisé en sexy-lapin dans une église. Face à un homme de foi.
Mais le prêtre n’avait pas l’air de s’en formaliser et il lui tendit une tasse brulante.
-Comment saviez-vous que j’étais là ? Demanda-t-elle, curieuse.
Un sourire énigmatique passa dans les yeux de l’homme.
-Je le savais, c’est tout.
-Je… hésita-t-elle, soudain pris d’un doute…je ne devrais pas être là.
Le regard énigmatique devint véritablement surpris.
-Et pourquoi donc ?
-Bah écoutez, je suis une escort-girl, je suis surement pleine de pêchers où un truc comme ça, nan ?
Il rit doucement.
-Et cela vous enlève le droit de vous réchauffer avec une tisane bien chaude ?
-Ouai mais ce que je fais c’est, pardonne-moi l’expression, mais c’est définitivement pas très catholique. Ne souriez pas comme ça, c’est vrai ! Rien que là, j’ai deux grammes d’héroïne dans la poche… Je suis prête à parier que c’est pas légal.
Son visage devint un peu plus grave, son regard perdit son éclat rieur.
-Si vous estimez que ce n’est pas bien. Pourquoi vivez-vous cette vie ?
Elle a poussé un soupir. Elle s’attendait à être grondé, mais il semblait au contraire très attentif à ce qu’elle disait. Il écoutait ses arguments, sans regard de reproche.
-Parce qu’il faut bien payer le loyer tiens… Et puis Pâques (devant le sourcil relevé du prêtre elle précisa), c’est mon patron, il paye pas trop mal et a promis de pas me mettre à la porte s’il m’arrive des broutilles. Ducoup je fais ce qu’il me dit.
Elle ne savait pas vraiment pourquoi elle déballait sa vie à cet homme qu’elle ne connaissait même pas. Mais son regard clair semblait tellement compréhensif, qu’elle continuait, phrase après phrase à lui raconter tous ses problèmes.
Ça lui faisait du bien de parler. Ce qu’elle disait maintenant, elle ne pouvait le dire à personne réellement. Personne qui ne l’écouterait comme lui l’écoutait. L’alcool et la drogue revenaient souvent dans ses paroles. Comme ils revenaient souvent dans sa vie. Et lui, toujours souriant, ne lui reprochait rien.
La pluie a fini par s’arrêter. Elle ne sait pas trop quand. Elle s’est endormie, la tête posée sur ses avant-bras. Dans sa tête tournait la dernière phrase qu’ils s’étaient dite.
-Les gens m’appellent, Bunny d’ailleurs. Rapport au déguisement j’imagine.
Et en réponse, le prêtre s’était présenté : « Et bien moi je m’appelle Noël. »
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