Épisode 4 : Marilyne (4/5)
"Disparition inquiétante, hier, à Isle. Une jeune adolescente de dix-sept ans, Marilyne Legrand, n'a plus donné aucun signe de vie à ses parents ou proches amis depuis plus de vingt-quatre heures. Pour le..."
La journaliste continuait à parler, mais Sydney n'entendit pas la suite. Un frisson partit de sa nuque pour descendre sa colonne vertébrale. Puis une certitude la frappa. Elle ne pouvait pas l'expliquer, mais elle pensait être en capacité d'affirmer, qu'à cette heure, Marilyne était déjà morte ou bien pas loin de l'être.
- C'est trop pour moi. Je vais promener la chienne, lâcha Joseph.
Sydney eut un pincement au cœur en regardant son parrain quitter le salon avec Tako. Le fantôme de sa fille ne se tenait jamais loin. La jeune femme aurait aimé posséder l'habileté d'apaiser sa douleur. Depuis son arrivée la veille au soir, elle voyait bien à quel point il souffrait. Une colère contre le tueur de Barbara monta en elle. Comment un être humain pouvait-il être aussi monstrueux ?
Et cette pauvre Marilyne ! À quoi bon avoir eu ces rêves si elle n'avait rien pu faire pour la sauver ?
- Sydney, tu devrais te dépêcher. Tu es en retard, l'avertit sa mère.
Elle regarda l'heure sur ton téléphone portable. Huit heures cinq. Son coeur bondit dans sa poitrine. Sa mère avait raison : elle devait accélérer le mouvement. Les cours débutaient dans vingt minutes et c'était exactement le temps nécessaire pour faire le trajet à pieds.
- Laisse ton bol sur la table, je débarrasserai pour toi, rajouta Laurianne.
- Merci, maman.
Elle fila dans la salle de bain pour terminer de se préparer en quelques mouvements, prit ses affaires et se mit en route pour le lycée. Elle marcha le plus rapidement possible. Elle détestait être en retard, mais elle détestait aussi courir. Elle espérait que Monsieur Delettre, leur nouveau professeur de littérature, serait indulgent avec elle et qu'il ne voudrait pas faire d'elle un exemple pour son premier jour au lycée. Malgré ses efforts, la sonnerie avait déjà retenti depuis cinq minutes lorsqu'elle parvint devant la salle de son premier cours, essoufflée. Son rythme cardiaque encore élevé, elle toqua à la porte.
- Entrez !
Elle ouvrit la porte et l'Enfer s'ouvrit sous ses pieds. Elle s'était dit que rien de pire ne pouvait arriver après ces derniers jours. La vie venait de lui prouver le contraire même si elle ne voulait pas le croire. Et pourtant, il se tenait bien devant elle. Karl. Le nouveau professeur.
- Vous êtes ? demanda-t-il.
Son impassibilité forçait l'admiration. Rien n'indiquait dans son attitude ou sur les traits de son visage qu'il la connaissait. Elle espérait qu'il en allait de même pour elle.
- Sydney Deveau. Je suis désolée pour mon retard, Monsieur.
Sa voix tremblait, mais ses camarades supposeraient certainement que c'était dû à son retard.
- Vous êtes passée par la Vie Scolaire ?
- Non.
- Bon, ça ira pour cette fois. Dépêchez-vous d'aller vous installer.
Sydney traversa la salle en essayant de ne pas croiser les regards de ses camarades. Elle se posa à la droite de Laure.
- Tout va bien ? s'inquiéta cette dernière.
- Je t'expliquerai plus tard.
Elle n'écouta pas un mot de cours. Elle espérait sortir de ce cauchemar à tout moment. Malheureusement, chaque seconde qui s'écoulait lui prouvait que la présence de Karl n'était en rien une hallucination.
Chaque seconde de l'heure fut une torture pendant laquelle elle élaborait plusieurs scénarios sur la suite des évènements. Elle imaginait Karl la prendre en grippe toute l'année, ce qu'elle méritait amplement après ce qu'elle avait fait. Elle supposait un futur encore plus horrible dans lequel ses camarades de lycée découvraient les liens qui l'unissaient avec l'enseignant. Elle se voyait déjà devoir changer d'établissement scolaire, expliquer à ses parents de quoi il en retournait.
La sonnerie retentit enfin. Sydney poussa un soupir de soulagement et se pressa de ranger ses affaires, sous le regard surpris de Laure.
- Mademoiselle Deveaux. Pouvez-vous rester s'il vous plaît ? J'aimerais discuter de votre retard.
"Merde."
De pire en pire.
- Bonne chance, lui lança Laure avant de la quitter.
Sydney attendit que tous les autres élèves quittent la salle avant de s'approcher de Karl.
- Je laisse la porte ouverte, informa-t-il. Je ne souhaite pas qu'une rumeur infondée se propage dans l'établissement.
- Je comprends.
Pour continuer la conversation, Karl chuchota :
- Ainsi, tu es un lycéenne. Je comprends mieux tes non-réponses à mes nombreux appels et messages.
- Karl, je suis désolée de t'avoir menti. Je ne suis pas comme ça habituellement... Est-ce que ta présence ici va affecter ma scolarité ? Est-ce qu'on peut faire comme si rien ne s'était passé ?
- Je ne peux pas faire comme si rien ne s'était passé. Ce que je ressens quand je suis avec toi, je ne peux pas l'occulter. Et je sais que toi aussi. Ce que nous avons partagé...
Elle ne le laissa pas rajouter un mot. Elle quitta la pièce sans prévenir, chamboulée par ce qu'elle venait d'entendre. Il ne lui en voulait même pas. Il semblait même prêt à... C'était absurde ! Il est prof et elle était une élève. Une telle chose ne devait pas se produire.
Son cerveau surchauffait. Elle anticipait l'heure à venir et prit parfaitement conscience qu'elle ne parviendrait pas à le suivre non plus. Alors elle se décida à commettre un acte inédit pour elle : sortir du lycée et sécher les cours. Elle avait besoin de s'aérer l'esprit.
Dès qu'elle quitta l'enceinte de l'établissement, elle entendit son téléphone portable vibrer dans sa poche. Elle le sortit. Un message de Laure :
"T'es où ?"
"Je sèche les cours. Ne t'inquiète pas ! J'ai juste besoin de prendre l'air. Je t'expliquerai tout."
- Sydney ?
Surprise, la jeune femme rangea son téléphone et se tourna vers la personne qui venait de l'interpeller.
- Salut, Nicolas.
Nicolas, Laure et Sydney se connaissaient depuis l'école primaire. Depuis, leur amitié perdurait et ceux qui les connaissaient était toujours étonnée à quel point Laure détonnait par rapport aux deux autres. Si Laure était connue pour son extravagance, Nicolas était souvent qualifié de timide alors que Sydney était vue comme une personne très sérieuse, presque rigide sur les règles. Cependant, la réalité méritait plus de nuances.
- Qu'est-ce que tu fais ici ? Vous aussi vous avez un prof absent ?
- Non, pas du tout, répondit avec sincérité Sydney. Tu ne vas pas le croire venant de moi, mais je sèche les cours.
Nicolas rit.
- Sydney Deveaux fait sa rebelle ?! Comme quoi, la vie réserve toujours des surprises. J'étais sur le point de rejoindre Marie en centre-ville pour boire un café. Tu te joins à nous.
- Avec plaisir, cela fait un moment que je n'ai pas vu Marie.
Nicolas initia la marche et Sydney le suivit.
- Qu'est-ce qui t'a motivé à enfreindre les règles ? chercha à savoir Nicolas.
- Je... je ne sais pas. Je me sens assez bousculée en ce moment. Et il est arrivé quelque chose d'affreux à mon parrain, Joseph. Le tueur de sa fille est venu sur sa propriété pendant son absence. Il a dessiné un message au-dessus de la porte d'entrée souhaitant un joyeux anniversaire à Barbara. Il l'a ensuite appelé sur son téléphone pour le narguer.
Elle ne souhaitait pas lui dévoiler le reste par peur de sa réaction et de l'image qu'il pourrait avoir d'elle ensuite.
- C'est horrible, tout comme ce qui arrive à Marilyne.
- Tu la connais ?
- Pas vraiment. Je ne l'ai vue qu'une fois un jour où elle est venue nous rejoindre avec Laure pour un cinéma. Et toi ?
- Je l'ai rencontrée samedi. Ce fut la seule fois.
Ils ne dirent plus un mot jusqu'à leur arrivée sur la place Diderot. Assise sur une terrasse, Marie les attendait déjà, un café devant elle. Elle les embrassa avec enthousiasme.
- Sydney ! s'exclama-t-elle. Je ne savais pas que tu venais.
- Surprise !
- Tu ne vas pas le croire, intervint Nicolas, mais notre chère Sydney se la joue rebelle. Elle sèche les cours.
- Ce n'est pas vrai ! Toi ! Mais qu'est-ce qui t'a pris ?
Sydney n'eut pas le temps de répondre. Un serveur vint à leur rencontre. Nicolas et elle commandèrent leur café, puis la jeune femme tint le même discours qu'elle avait donné à Nicolas, un peu plus tôt.
- Il y a vraiment des monstres sur cette Terre, commenta Marie. Et surtout à Isle. Nous sommes la deuxième ville de France, mais première en termes de criminalité, de personnes disparues ou de meurtres non élucidés. Les statistiques sont effrayantes et rien n'explique comment on en est arrivé là. On pourrait presque croire que nous sommes au-dessus d'une Bouche de l'Enfer comme à Sunnydale. J'espère que cette pauvre Marilyne Legrand ne fera pas partie de ces chiffres et qu'on la retrouvera saine et sauve.
Elle remarqua l'ombre passer sur les visages de ses amis.
- Oh, vous la connaissez ?
- Pas vraiment, répondit Nicolas.
- Je l'ai croisée samedi à la boutique Les habits de Vénus, dit Sydney.
- J'ai lu que c'est sa mère qui a ouvert ce magasin. C'est affreux.
- Est-ce qu'on pourrait changer de sujet, pria Sydney. J'ai séché les cours pour me changer les idées.
- Oui, tu as raison.
- Comment va Sylvie ? Votre colocation se passe bien ?
- Elle va bien, mais elle commence à avoir beaucoup de travail. Première année de médecine, ça ne rigole pas, mais elle s'en sortira. Vous la connaissez. C'est une battante. Sinon, on se plait énormément dans la colocation. Nous avons....
Marie continua à parler, mais Sydney ne suivit plus. Elle frissonnait. Il se passait quelque chose ou plutôt quelqu'un cherchait à attirer son attention. La jeune femme tourna la tête vers le centre de la grande place. Elle fut saisie d'effroi.
Habillée d'une robe blanche ensanglantée, elle se tenait là. Marilyne. Sydney remarqua le trou au milieu de sa poitrine. Son coeur lui avait été enlevé.
"Aide-moi ! Retrouve-moi, je t'en prie."
Sa bouche ne bougeait pas, mais c'était bien la voix de Marilyne que Sydney avait entendue dans son esprit. La suite se révéla encore plus surprenante.
Une fumée noire apparût derrière Marilyne et en quelques secondes, elle fut complètement engloutie.
Puis, le décor changea autour de Sydney. Désormais, des sapins verdoyants l'entouraient et des chemins de randonnée l'entouraient. La jeune femme n'était plus dans le centre-ville, mais à l'ouest de la ville, dans la forêt. Le corps de Marilyne l'attendait là-bas.
- Sydney ! Sydney ! Est-ce que ça va ?
La peur dans la voix de Marie la ramena auprès de ses amis. Inquiets, ils la dévisageaient.
- Tu es toute blanche, fit remarquer Nicolas. On dirait que tu as vu un fantôme.
- Je... je crois que je me sens plus mal que je ne le pensais. Je vais rentrer chez moi.
- On va te raccompagner, fit Marie.
- Non, non, c'est bon. Profitez ! Je vais rentrer tranquillement et je vous enverrai un message lorsque j'arriverai.
- Tu es sûre ? insista Nicolas.
- Oui, oui. Je vais prendre le métro, ça sera plus rapide. Je vous laisse la monnaie pour payer mon café.
Elle se leva, les embrassa, sans leur laisser le temps de réagir davantage. Dès qu'elle vit une bouche de métro, elle s'y engouffra. Direction, la forêt.
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