Chapitre 1/3

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Le heurtoir frappa la porte, le Premier Diacre sursauta. Il prit quelques secondes pour repousser ses craintes, se replacer dans la réalité, et saisir sa plume. Là, il répondit enfin :

— Entrez !

Le scribe poussa la porte, s'inclina et déclara :

— L'inquisiteur Laïk de Grey sollicite un entretien, Éminence.

Évidemment, il n'était pas question d'opposer une fin de non-recevoir à ce visiteur inattendu, au moins aurait-il souhaité en avoir la liberté.

— Qu'il vienne.

Son ton neutre, sans animosité mais sans chaleur, dissimulait sa contrariété.

Que vient-il faire ici, celui-ci ?

Après son entretien houleux avec Dame Béada, il appréhendait une seconde joute oratoire. Son regard glissa sur la chaise précédemment occupée par la visiteuse, puis sur la tasse remplie de thé froid et encore présente sur sa table de travail. Il n'eut pas le temps de la retirer que déjà Laïk pénétrait les lieux.

— Bonjour, Éminence.

— Inquisiteur de Grey, quel mauvais vent vous amène ?

Il n'avait pu empêcher son agacement de poindre et franchir ses lèvres, ce qui n'offusqua pas l'arrivant qui se contenta de s'asseoir et de repousser le récipient abandonné sur le côté.

— Une lettre de ma sœur et, en effet, je crains fort que les vents présents et à venir soient des plus délétères.

— Qu'est-ce qu'une Protectrice pourrait bien en savoir ?

La voix du Premier Diacre se révélait suspicieuse ; le visage de Laïk, contrarié.

— Ce que sa position privilégiée au sein des populations lui enseigne quotidiennement. Contrairement à nous Éminence, ces femmes d'exception sont au plus près du terrain. En conséquence, je vous conseille de ne pas les sous-estimer ou les offenser.

Le ton mordant alerta le Premier Diacre. Il sut qu'il avit été maladroit et imprudent. Un frisson glacé le parcourut.

— Pardonnez-moi Inquisiteur de Grey, je ne voulais pas vous froisser, encore moins manquer de respect aux Protectrices. À ma décharge, j'ose le dire, sachez que ma discussion avec la personne qui vous a précédé fut des plus pénibles.

Laïk l'observait avec une attention soutenue, ne manquant pas de remarquer son visage perlé de sueur. De Grey avait beau avoir un rang inférieur au sien, son statut lui conférait une prédominance en bien des domaines. En outre son ordre était craint. L'Inquisiteur adorait ces moments, synonymes pour lui de jubilation. Évidemment, il n'en montra rien, laissa passer quelques secondes.

— Excuses acceptées. Je vous concède que Dame Béada n'est pas d'un abord facile.

Un peu rassuré, mais circonspect, le Premier Diacre reprit l'initiative de la discussion :

— Je vous écoute, vous disiez donc que votre sœur vous avait envoyé de fâcheuses nouvelles ?

— Tout à fait, ce qu'elle me révèle dans sa missive rejoint les nombreuses rumeurs parvenues récemment jusqu'à nous, ainsi...

— Si vous parlez des on-dits auxquels je pense, votre ordre, jusqu'ici, les a jugés peu crédibles.

Cette interruption n'eut pas lieu de plaire à Laïk.

— Puis-je espérer m'exprimer sans être interrompu, Éminence ?

— Pardonnez-moi, poursuivez...

— Bien, donc ces incidents se sont déroulés dans le cadre de chasses à l'Arcanzur. Des traqueurs aguerris et leurs apprentis en furent les victimes. Ils en sont ressortis gravement blessés, pour certains dans un état quasi-cadavérique, comme si leurs âmes avaient quitté leurs corps ; d'autres enfin sont morts.

Il cilla, posa ses mains sur le bureau glacé, continua.

— Mais le plus grave à mes yeux, c'est que les traques et la récolte des ramures dans la région des Vallons d'Or sont à l'arrêt, la production de scintillante est donc compromise.

Laïk se tut. Le Premier Diacre, bien qu'alerté, tenta de minimiser les propos de l'inquisiteur.

— Je pense qu'il est nécessaire de rester prudent, bien que je ne doute pas des affirmations de la protectrice de Grey, je crois nécessaire de ne pas généraliser. Après tout, ces faits sont très localisés. La pénurie de scintillante, à mon humble avis, n'est pas encore d'actualité.

L'Inquisiteur cilla. Ses doigts impatients pianotèrent sur le verni du bureau, son regard se promena rapidement sur des étagères croulant sous le poids de livres sombres tranchés d'argent, des statuettes grimaçantes, un tableau, un vase de cristal. Il échoua enfin sur quelques pivoines, jadis cramoisies, roses à présent.

Une vague odeur d'encaustique taquina son odorat, la fenêtre entrouverte lui apporta les rumeurs actives et assourdies d'une cité active. Il tressaillit ; fixa son interlocuteur.

— J'admets que cela reste circonscrit à la région des vallons d'or. Toutefois, attendre au lieu d'agir pourrait donner l'opportunité à de tels événements de se reproduire, voire de s'étendre. Il convient de trouver rapidement l'origine de ces troubles et d'y apporter des solutions concrètes. Car, contrairement à ce que vous croyez, une partie de la production à venir est déjà compromise.

— J'entends vos arguments ; quelles sont vos propositions ?

— En premier lieu, former une équipe aux larges prérogatives, qui sera en mesure d'enquêter, prendre des décisions et intervenir immédiatement.

— Mais encore ?

— Cela reste à définir. Quoi qu'il en soit, enquêter sur place est d'une nécessité absolue.

— Je vois, vous venez donc à moi aujourd'hui pour obtenir mon aval dans la constitution de cette équipe ?

— Dans un premier temps, puis je solliciterai plus tard le supérieur de mon ordre ; il n'est pas disponible aujourd'hui, mais cela ne sera qu'une formalité.

Sa sûreté de soi, non feinte, amusa quelque peu le Premier Diacre, qui prenait le temps de la réflexion. Laïk la devinait d'ailleurs sur les traits de son vis-à-vis.

— Songeriez-vous à me refuser votre soutien ?

— Non ; ceci dit je m'interrogeais sur les réactions de l'Imperator, pensez-vous qu'il sera favorable au coût d'une telle expédition ?

— L'approbation du Suprême n'est pas requise. La production de Scintillante ne concerne que l'Église Obscure.

— Vous oubliez un peu vite qu'il est le principal donateur du Temple ; sans ses subsistes, nous ne pourrions pas fonctionner.

Ce rappel ne plut guère à Laïk, son visage se durcit, sa parole devint coupante.

— En effet, j'aviserai au moment opportun. De toutes façons, il est peu probable qu'il s'y oppose. Ai-je votre aval ?

— Vous recevrez le document, en votre résidence, avant la fin de la journée.

— Je vous en remercie.

Il se leva sur ces mots et conclut :

— Il va de soi que, dès les accords obtenus, je me mettrai à l'ouvrage afin de choisir au mieux les membres de l'équipe.

Sans attendre de salut de sa part et l'esprit déjà totalement tourné sur sa démarche suivante, il s'inclina et sortit.

Le Premier Diacre, une fois seul, se rembrunit. Même s'il l’avait dissimulé, il ressentait de grandes préoccupations à la suite des révélations de son visiteur. Il en oubliait Dame Béada, qui, en cet instant, se retrouvait immergée dans l'agitation de la capitale.Tassée au fond de son palanquin, elle ressassait sa déconvenue.

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