Chapitre 4/3

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L'inquisiteur examinait avec attention ce qui l'entourait. La décoration, bien que luxueuse, était douce à ses yeux. Cela le surprenait chez une femme qu'il pensait plutôt extravagante jusqu'ici. Il découvrait que ses appartements ne ressemblaient en rien aux atours qu'elle affectionnait, à savoir : étoffes vivement colorées, bijoux clinquants, fards plutôt outranciers.

Ici tout était suave, raffiné et de bon goût, depuis le sofa de velours lie de vin, jusqu'aux tableaux représentant des horizons tranquilles, en passant par les voilages diaphanes qui dissimulaient les larges ouvertures menant sur la terrasse. Ce paradoxe l'étonnait. Il ne s'interrogea pas davantage, puisque les rideaux estompant les croisées se soulevèrent ; suivie de Zéïa, Dame Béada avança dans la pièce.

La mise plutôt simple ce jour là, son port de tête était altier. L'allure décidée, et son regard direct apprirent à Laïk que lady d'Obrin ne craignait pas vraiment sa venue. En résumé, on ne pouvait absolument pas lui reprocher d'être pusillanime et obséquieuse.

— Inquisiteur de Grey, voilà une surprise des plus inattendues.

Un léger sourire puis la femme prit élégament place sur le sofa. Elle désigna ensuite un siège capitonné en face d'elle.

— Asseyez-vous, souhaitez-vous que je vous fasse servir un rafraîchissement ?

— Ce ne sera pas nécessaire et je resterai debout.

— À votre guise… Alors, que puis-je faire pour vous ?

— Répondre à quelques questions concernant votre consommation illégale de scintillante.

L'entrée en matière directe ne provoqua guère plus qu'un haussement de sourcils.

— Posez vos questions.

— Avant toute chose, qui vous a procuré la substance ?

— Son Altesse le Prince Ögelz d'Obrin.

Pas plus surpris que ça, l'Inquisiteur n'en objecta pas moins :

— Vous accusez le frère du Suprême d'hérésie ?

— Je n'accuse personne, j'énonce des faits.

— Au risque d'être vous-même mise sur la sellette par le Temple ?

— Ne le suis-je pas déjà ? Votre présence ici le prouve.

Provocatrice, elle demanda :

— Dites-moi Père Laïk, depuis combien de temps l'Inquisition me surveille-t-elle ?

Malgré lui, il ne pouvait se departir d'une certaine admiration : cette femme n'avait vraiment pas froid aux yeux.

— Suffisamment de temps pour connaitre vos différentes infractions envers le Temple.

— Je vois, donc des soupçons, mais pas de preuves concrètes, n'est-ce pas ?

Un peu agacé, il réalisait que la Dame cherchait à mener l'entretien, il répondit donc par une autre question.

— Combien de fois avez-vous consommé de la Scintillante ?

Elle cilla, soupira :

— En réalité une seule, sous l'insistance du Prince Ögelz. C'est à la suite de cette unique prise que je suis allée voir le Premier Diacre pour... lui demander de l'aide. Enfin, j'ai d'abord sollicité l'Imperator qui m'a renvoyé sans ménagement, ou plutôt son frère m'a demandé d'aller le voir... Vous comprenez ?

— Plus ou moins, disons qu'à la suite d'une vision provoquée par la scintillante, que vous avez consommée sous l'insistance du Prince, vous avez sollicité l'aide du Suprême... Quel type d'aide attendiez-vous de lui ?

Là, Béada hésita. L'inquisiteur posait sur elle un regard sans réelle animosité, juste attentif.

— Militaire, en fait, j'ai vu… J'ai vu ...

— Vous avez vu ?

Elle ferma les yeux, l'air lui manquait brusquement, sa respiration devenait sifflante, hachée comme si elle avait parcouru une grande distance sans s'arrêter.

— J'ai vu les murailles de Varatta s'écrouler, sous les coups de l’ennemi, révéla-t-elle dans un souffle.

Elle toussa soudain comme si sa gorge était sèche, pleine de poussière. Laïk fixa la servante de la Dame, qui assistait impassible à l'entretien.

— Apporte à ta maitresse de quoi se désaltérer.

Zéïa s'éclipsa aussitôt. Cela permit à l'Inquisiteur de reprendre sur un ton sentencieux :

— Voilà ce qui arrive quand on se risque à consommer de la scintillante sans soutien, on en ressent le contre coup. Vous savez Milady, si son absorption est réglementée, c'est pour de bonnes raisons.

—Je vous en prie, ceci est un argument inventé par le Temple pour qu'il en garde le contrôle, rétorqua-t-elle entre deux quintes.

— Il vous suffit d'évoquer votre expérience pour que le malaise vous saisisse ; par ailleurs, si vous vous étiez assurée d'avoir un initié à vos côtés, le Temple ne vous aurait pas repéré.

L'esclave revint portant un récipient rempli d'eau. Elle le donna à la Dame qui bût goulument. Laïk ne la quittait pas des yeux ; quand il fut certain qu'elle se sentait mieux, il reprit son questionnement.

— Qui était l'agresseur ?

— Je ne sais pas.

— Vous ne savez pas ? Vous avez peut-être mal interprété ?

— Des murs qui s'écroulent, des flammes et de la fumée qui obscurcissent le ciel, des tourbillons de poussière qui étouffent et tuent les gens, des cris d'horreur qui me vrillent les oreilles… Non, je n'ai pas mal interprété.

Elle toussota encore. De Grey réfléchissait. Il ne doutait pas vraiment de la précognition vécue par Béada. Par contre, il était impossible de savoir, si son regard s'était arrêté sur le passé, le présent ou le futur. C'était l'un des inconvénients, parmi d'autres, d'user de la scintillante sans supervision. Sans avoir subi le chemin d'initiation ou celui de clairvoyance, on ne pouvait déterminer l'époque sur la ligne du temps. Il décida de conclure l'entretien.

— Bien, j'ai toutes les réponses qu'il me faut ; pour ce qui est des suites que donnera l'Église Obscure sur votre hérésie, vous en serez avertie.

Laïk outrepassait les directives de son supérieur, mais il tenait à maintenir un peu de pression sur la Dame. Quoiqu'il ne sût pas trop si elle y serait si sensible, étant donné le sang-froid apparent qu'elle affichait de nouveau. Le visage impassible de Lady d'Obrin, ne se troubla d'ailleurs pas. Elle n'ignorait pas que si l'Inquisiteur était venu la voir en simple visiteur, au lieu d'apparaître escorté et de l'arrêter, c'est que cela n'irait pas plus loin. Toutefois, avant de se retirer, il posa une dernière question.

— Savez-vous si son altesse le prince d'Ögelz se trouve au palais ?

— Hélas Éminence, je crains fort qu'il ne l'ait quitté.

— Après le tremblement de terre, j'imagine ?

— Non, juste avant. Pour une mission officielle, m'a-t-on dit.

— Où donc ?

— On ne m'a pas informé du lieu, vous devriez solliciter ce renseignement auprès de l'Imperator.

Le ton de Béada restait neutre, mais Laïk devina ce que sous-entendait cette phrase ; c'était le suprême qui avait fait quitter les lieux à son frère. Une preuve à ses yeux qu’Ögelz devait avoir beaucoup à se reprocher. L'Inquisiteur savait aussi qu'il était inutile de demander au Suprême, celui-ci au mieux, éluderait au pire le renverrait avec fin de non-recevoir ; il en avait le pouvoir.

Après quelques civilités, l'Inquisiteur prit congé, moyennement satisfait des résultats de cette mission confiée par l'Abbé. Il s’interrogeait sur cette image de Varatta s'écroulant sous les coups d'un mystérieux adversaire. L’événement avait-il eu lieu ou pas encore ? Et y avait-il un rapport avec les termes alarmants de la lettre de Dyey, les incidents avec l'Arcanzur où même le tremblement de terre ?

Ainsi quitta-t-il le palais, avec de nouvelles énigmes en tête et le cœur rongé d'une inquiétude qui n'était pas prête à se dissiper.

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