La chaleur de ce début d'été l'incitait à amorcer un virage radical, celui de ses vingt-cinq ans. Que n'y avait-elle pas pensé plus tôt ? Est-ce que la vie avec Léo valait la peine qu'on l'attende ?

Elle avait sorti son rouge à lèvres et écrit : "Non" ! en grosses lettres rageuses sur le miroir de la salle de bain. Comme la marque de ce changement à venir, la rebellion qu'elle se permettait, elle si calme et conciliante. Elle avait envie de fantaisie. Cela tombait bien, le Centre de la danse fermait pour un mois, la laissant libre d'organiser sa vie comme elle l'entendait. Et pour une fois, la danse ne ferait pas partie du programme estival. Depuis qu'elle donnait des cours aux enfants, le quotidien lui semblait insipide, il n'y avait plus cet attrait qu'elle avait pour les concours. Sa carrière de petit rat était loin derrière elle. Elle aurait voulu ouvrir une école de danse.

Elle ne resta pas seule bien longtemps. Marielle était une très belle jeune fille, fine et grande. Son allure élégante attirait. Ses beaux cheveux lisses retombaient dans son dos et ajoutait cette féminité qui ne trompait pas. La douceur de sa voix plaisait aux gens, elle était calme en toutes circonstances. Elle n'était pas seulement convoitée par les garçons. Les filles, aussi, souhaitaient l'avoir comme amie.

Pourtant elle n'en avait pas, n'avait pas pris le temps de trouver une confidente. Non pas que cela lui manquait, mais elle aimerait maintenant découvrir la complicité entre filles, les éclats de rire communicatifs, les après-midis en terrasse, assises ensemble, papotant tout en sirotant un Spritz , le regard tourné vers les passants, prêtes à critiquer tel ou tel vêtement, gloussant au passage d'une fille particulièrement excentrique. Elle aimerait ressentir ces joies simples. Elle avait l'impression d'avoir perdu des années.

Elle fit du shopping, s'offrit un blouson aviateur. Elle en avait toujours rêvé. En sortant de la boutique, elle se trouva nez à nez avec la danseuse qu'elle avait toujours évitée, Stella. Celle-ci, surprise de la voir sans son homme-garde du corps, engagea la conversation.

• Marielle ! Quelle surprise ! Contente de te voir ! On t'a dit que j'ai raté l'entrée aux petits rats de l'Opéra ? Je suis prof de danse dans une association maintenant. Il faut bien vivre. Et toi, raconte, que fais-tu, seule, sans Léo ?
• Tu n'as pas su ? Il est en prison, son dernier cambriolage a mal tourné.
• Oh mince, pas de chance, je te plains. Tu l'aimes toujours ? Quand va-t-il sortir ?
• Aucune idée ! Il semble tout faire pour rester en taule. Ce n'est pas facile pour moi. Je me pose des questions. Après toutes ces années passées avec lui, je découvre la vie solo, je dois m'adapter. Et toi, tu as un copain ?
• Oui, il est chauffeur de bus, on va bientôt se marier.
• Super, je suis contente pour toi.
• Du coup tu es libre pour sortir un peu ?
• Ben, pourquoi pas !, lui répondit-elle, enjouée.

Marielle réfléchit juste quelques secondes à cette nouvelle opportunité, fit une moue montrant que l’idée lui plaisait bien. Cette fille, Stella avait l’air de n’être plus la même. Elle l’avait connue arrogante, prête à écraser les concurrentes pour réussir. Mais son goût pour la fête était toujours présent. Marielle lui sourit.

Stella était arrivée dans sa nouvelle vie au bon moment.

• J'ai prévu une soirée chez moi samedi. Tu peux venir, il n'y a que des potes à mon mec, ça ne parlera pas de danse, si ça peut te rassurer. Tu te rappelles où j'habite ?
• Derrière le pont, à côté du musée ?, l'interrogea-t-elle.
• Oui, c'est ça.
• OK, je viendrai. À samedi, alors.
• Bye, à samedi.

C'était à ce moment-là que tout avait commencé.