[A4] Scène 1 : Stanislas

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Stanislas, Aliane, Alvare

Ae 3894 – cal. I


Recroquevillé près du poêle, Stanislas gardait les yeux rivés sur le cadran au mur. Bientôt midi. Le train de sa mère était à midi trente, mais cette dernière était toujours en train de faire sa valise dans sa chambre. Le jeune garçon pouvait l’entendre remuer des affaires et les entasser au fond de son unique bagage. Ces remous et le tac-tac de l’aiguille des secondes accentuaient son angoisse et son amertume à chaque instant. Posé près de lui, son théorbe était resté muet depuis que la mauvaise nouvelle était tombée.

Quand grande et petite aiguilles se rejoignirent sur midi, la porte de la chambre d’Aliane claqua. Stanislas resserra la prise autour de ses genoux, de plus en plus écrasé par le poids de ses peurs.

« Hortense ? Je m’en vais.

— Bon débarras ! »

Aliane émit un soupir fatigué devant le vantail clos mais ne persévéra pas davantage. Même Stanislas n’osait pas se rendre dans la chambre en même temps que sa sœur, par crainte de son humeur acariâtre. Tout en accrochant le dernier bouton de son manteau, Aliane se retourna vers le salon. Mère et fils se considérèrent un instant sans dire mot. Finalement, elle vint à lui et se mit à sa hauteur :

« Surtout, tu ne dois pas t’inquiéter, d’accord ? Alvare et moi avons demandé à la colonelle de renforcer la sécurité. J’ai toujours l’impression qu’elle ne nous croit pas au sujet de Lenoir mais elle m’a promis qu’elle ouvrirait l’œil. S’il vous arrive quoi que ce soit, l’Intérieur réagira rapidement. »

Elle glissa une main dans les boucles du jeune garçon, puis le prit dans ses bras. Stanislas ne bougea pas. Ces gestes-là étaient rares, mais il n’était pas d’humeur à les rendre. Cela n’avait jamais été que pour le rassurer ou lui demander pardon. Cette étreinte-là ressemblait bien trop à un adieu.

« Emmène-moi avec toi, gémit-il.

— Je ne peux pas, tu le sais bien. Hortense ne peut pas bouger et je n’ose pas imaginer ce que Lenoir lui réserve si elle apprend que tu es parti avec moi. »

Elle se recula et lui caressa la joue, au bord des larmes. Stanislas baissait les yeux. Il n’y en avait toujours eu que pour Hortense. Avec la disparition de son père, il avait pourtant cru que cela changerait. Il était donc aussi naïf que sa sœur le prétendait.

« Tu voudras que je te ramène quelque chose ? »

Il fit non de la tête.

« Et… et à Aneth, tu veux que je lui passe un mot ? Il y a quelque chose que je peux lui transmettre de ta part ? »

Il enfouit sa tête entre ses genoux. Aucun objet ni aucune parole ne le consolerait d’avoir été ainsi trahi. Il en vint à espérer que sa mère le laissât tranquille et fut exaucé en entendant le poing martial d’Alvare à l’entrée :

« Aliane, j’espère que tu es prête, parce que si j’apprends que j’ai fait un aller-retour à la gare pour te trouver encore au fond de ton lit, je te jure que je ne réponds plus de rien !

— J’arrive ! Je suis prête ! Juste un instant. »

Elle caressa encore les joues de ses fils, des larmes claires dévalant les siennes. Exécré, Stanislas la repoussa soudain :

« Vas-y, tu vas être en retard. »

Sa mère bredouilla des excuses. Lui se mura dans son silence. Alvare surgit en trombe dans le couloir, obligeant la Chronologue à se hâter :

« Je rêve ! Tu avais la matinée pour faire tes adieux ! Du nerf ! Le train part dans vingt minutes ! »

Aliane se détacha à regret pour le suivre dans le couloir, où elle acheva de se vêtir pour le voyage. De là où il était, Stanislas perçut leur conversation sans y être invité :

« Tu n’as pas pris d'affaires chaudes, si ? Il fait chaud, là-bas, en cette saison.

— Je sais. »

Un temps. Aliane se moucha.

« Tu sais, tes enfants ne seront pas toujours dans tes jupons, reprit Alvare à voix basse. Un beau jour, ils seront grands et mèneront leur vie comme bon leur semble.

— Ne parle pas de ça. J’ai tellement peur que quelqu’un ne découvre ce qu’ils sont... Je m’en voudrais pour toujours.

— En grandissant, on prend la mesure des choses. Notre père nourrissait les mêmes peurs lorsque tu es partie, et regarde… Bon, j’ose tout de même espérer qu’ils seront un peu plus prudents que leur mère, même si pour le moment c’est mal parti. Allez ! Courage. »

Stanislas entendit le verrou de la porte d’entrée, des pas qui s’éloignaient dans le couloir de l’immeuble avec un bruit de froufrous. Alvare lança une dernière fois :

« Hortense ! Nous partons ! Soyez sages !

— C’est ça ! Bon vent ! »

Le sénéchal referma la porte sans plus de cérémonie. Resté près du feu mourant, Stanislas se sentit soudain seul et vide. Seul avec une sœur dont il redoutait autant la colère que la mort prochaine. Vide à l’idée qu’il serait vraiment seul un jour.

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