01 - Châtaignes
Un vent glacial me pénétrait. L'automne, pourtant arrivé depuis peu, se glissait sournoisement entre les pans de ma veste et me frigorifiait. J'avançais lentement sur les pavés, mon regard se perdant entre toutes les devantures.
Le spleen automnal me gagnait depuis quelques semaines. Je contemplais les vitrines éclairées, tout en cherchant à oublier ma solitude. A chaque café, à chaque pub, à chaque restaurant, la vision de couple main dans la main, chacun perdu dans le regard de l'autre, me donnait la nausée. Se faire larguer est déjà une épreuve, mais se sentir abandonné en cette période où mes hormones jouent au yoyo, c'en est trop pour moi.
Je tournais au coin, le moral dans les chaussettes, quand je la vis. Debout derrière un stand ambulant, elle sonnait une cloche, appelant les badauds à la dégustation. "Marrons chauds, marrons chauds !", cria-t-elle d'une voix d'enfant.
La jeune candide à la petite robe de laine avait les joues rouges, sans doute à cause du froid, ou du brasier qui rougissait près d'elle. Je m'avançais doucement vers elle, les mains dans les poches, à la recherche d'une once de chaleur humaine.
Je la détaillais un peu plus à chaque pas, découvrant des mèches blondes sous un épais bonnet, des yeux d'un vert perçant, des tâches de rousseur parsemant ses pomettes. Je me plantais devant elle, attendant qu'elle arrête son regard sur moi. Quand enfin elle me regardait, je lui souris.
- Bonjour !, lança-t-elle gaiement.
- Bonjour, répondis-je timidement, les mains toujours vissées à mes poches.
Un silence s'installa, sans doute génant, vu le regard suspendu qu'elle me lançait.
- Vous désirez ?, demandait-elle avec son sourire enfantin.
- Oui, pardon, m'excusai-je en m'extirpant de mes songes éveillés. Un cornet de...
- De marrons chauds ?
- Oui. S'il vous plait.
Je la regardais s'activer sur le brasero. La jeune femme agitait les fruits dans le poëlon, le visage illuminé par le brasier ardent. Les flammes naissantes nous réchauffaient tous deux. Unis par ce foyer qui nous séparaient, je me sentais poussé vers elle. J'aurai pu traverser ce four brûlant pour me perdre dans ses bras et dans son cou gracile. Je m'imaginais, le visage enfoui dans cette chair chaleureuse, alors qu'elle me tira de mes rêveries.
- Cinq euros cinquante, s'il vous plait.
Elle me tendait mon cornet rempli de chataignes cuites et éclatées. Je lui tendais la monnaie, elle me remerciait, et accueillait le client suivant. Mon cornet à la main, je quittais le stand, déjà noatalgique de cette rêverie à laquelle j'avais été arraché. En lui jetant un dernier regard, je goûtais le fruit et grimaçait de dégoût.
Décidément, je n'aime pas les châtaignes.
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