06 - Rappel
- Tristan ?
- Salut, Laura.
J’observais mon visage rosir, ce qui lui donnait un air d’angelot sur une peinture baroque. Elle esquissait un sourire timide et son regard étincelait.
- Tu as l’air en forme. Tout va bien ?, demandais-je.
- Oui. Oui, tout va bien, je te remercie, bredouillait-elle en recoiffant machinalement un de ses mèches. Alors, qu’est-ce que je te sers ?
- Blinis, compotée de fruits rouges et le porridge.
- Très bon choix, je t'amène ça tout de suite.
Laura s’éloignait d’un pas vif. Mon frère penchait la tête sur le côté et regardait derrière moi. Son sourire hébété trahissait ses pensées.
- Je ne sais pas ce que tu lui as fait, me dit-il, mais à ta place, je ne partirai pas d’ici sans son numéro.
- Laisse tomber, Quentin.
- Non, mais j'te jure, quand je vois ce petit…
- Laisse tomber, le coupais-je sèchement, alors qu’il manquait de tomber de sa chaise pour reluquer Laura.
Il se rassit convenablement et semblait pensif. Ou vexé.
Il saisit son verre et le leva, comme pour porter un toast. J’attrapa le mien et le leva à mon tour. Je demandais :
- A quoi boit-on ?
- A l’amour. Alors, parle-moi un peu de celle que tu as rencontré avant de venir ici, demandait-il avant de vider son verre d’une traite.
Je lui racontais ma brève rencontre de la veille avec Claire, nos baisers volés et notre rendez-vous informel la semaine suivante. Je prenais plaisir à me remémorer chaque seconde de notre entrevue. Quentin, lui, semblait imperturbable.
- Si tu veux mon avis, laisse tomber la fille aux châtaignes. Je refuse que tu partes sans le numéro de cette serveuse.
- Et ce que je te raconte, tu n’en as rien à faire ?
- Il y a quelque chose avec cette serveuse. Laura, c’est ça ? J’ai vu dans son regard, sa manière de te regarder, de te parler. Et bon dieu, qu’est-ce qu’elle est sexy, mais regarde-la !
Je hasardais un regard en coin, dans sa direction. J’admirais sa silhouette découpée dans le contre-jour de la vitrine, son dos droit brisé à la cambrure de ses reins, son buste fier et dressé, ses jambes fines et élancées. Des souvenirs d’enfance, vieux de quinze ans, remontaient à mon esprit. Elle était toujours si mince, gracile, presque divine. Je ne l’avais jamais vraiment oubliée et sa présence me faisait ressasser mes erreurs passées.
Je passais le reste du repas à élaborer mille stratégies pour l’aborder et avoir ses coordonnées. Si je n'essayais pas, j’aurai dû subir les réprimandes de mon frère pendant des semaines : entre un refus et un harcèlement, mon choix est vite fait.
A la fin du repas, nous rejoigniions la caisse où Laura nous attendait. Son responsable, tout près d’elle, semblait suivre d’une oreille son travail, comme s’il l’évaluait. Le ton de la serveuse trahissait la surveillance du gérant.
- Tout s’est-il bien passé ?
- Oui, c’était très bien, merci.
Je voulais passer à l’acte et lui demander son numéro, mais la présence de son supérieur me bloquait dans ma démarche. Elle aurait fait mauvaise impression si elle acceptait, elle aurait même sûrement eu des ennuis, et je ne voulais pas me faire refouler. J’étais dans une impasse.
- N’hésitez pas à revenir nous voir à l’occasion. Nous serons ravis de vous accueillir de nouveau. Au plaisir !
Elle me tendit une carte de visite du restaurant. Au dos étaient griffonnés une suite de dix chiffres. Je la regardais avec surprise et un sourire en coin. Elle me gratifia d’un clin d’oeil et murmura “Appelle-moi”.
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