25 - Parfum
Durant la semaine qui suivit, je rattrapais mon retard tant bien que mal, après un week-end si mouvementé. J’avais revu Laura la veille au soir, et nous avions repris nos occupations où nous les avions laissées.
J’étais confortablement installé dans le café où m’avait emmené Claire. Près de la vitrine, je profitais d’un café-citrouille et griffonnais de nouvelles esquisses pour mes futurs projets. J’étais particulièrement concentré et n’avais pas remarqué que l’on m’observait avec insistance à travers la vitre. Je levais les yeux et la vis.
Claire était appuyée contre la vitrine et observait avec attention mon carnet. Amusé par son indiscrétion, je toquais contre le vitrage et lui fis signe de me rejoindre. A peine entrée, elle fit signe au serveur.
- Un Pumpkin ?, clama-t-il.
- Evidemment, répondit-elle d’une voix joyeuse.
Elle s’installa face à moi. Elle était radieuse derrière ses immenses lunettes rondes. Ces yeux crépitaient d’excitation, elle semblait fourmiller de mille questions.
- C’est superbe, ce que tu fais. J’adore !, s’exclamait-elle. Tu dessines depuis longtemps ?
- Non, pas tellement. Deux ou trois semaines, tout au plus, mentis-je avec amusement.
- Tu n’es pas sérieux ?
- Non, pas du tout, riais-je. Je dessine depuis mes dix ans. C’est mon boulot, je suis illustrateur.
- Tu ne m’avais pas dit, murmurait-elle sans quitter mes croquis des yeux.
- Tu ne m’as pas demandé.
Elle me regardait avec un mélange d’amusement, de consternation et d’envie. On aurait dit qu’elle ne savait pas par où commencer.
- Il y a autre chose que tu caches ?, lança-t-elle.
Je pensais à Laura, qui, la nuit dernière, était encore dans mes bras. Je n’avais pas vraiment envie d’aborder ce sujet. Je m’étais décidé, presque tacitement, à être exclusivement avec Laura, mais être avec Claire me rendait tout chose. Je tentais de détourner la conversation :
- Il y a autre chose que tu voudrais savoir ?, tentais-je innocemment.
- Tu bois quoi ?
- Café-citrouille. Comme à chaque visite ici.
- Et tu viens souvent ?
- Tous les jours en ce moment. J’ai du travail à rattraper.
- Week-end mouvementé ?
- Plutôt.
Elle s’arrêta et semblait réfléchir. Cherchait-elle à percer à jour mes plus sombres secrets ?
- Il y a une fille derrière tout ça.
- Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
- Ca cocotte le parfum pour femme autour de toi. Alors soit tu te parfumes avec une eau de toilette de midinette, soit cette odeur qui te colle à la peau vient d’une femme. Tu utilises du parfum pour femme ?
- Non, bien sur que non, riais-je, malgré une gêne certaine en reconnaissant le parfum floral de Laura.
- Donc il y a une femme. Copine, ex, plan cul, amie avec avantage ?
- Aucun de tout ça, mentis-je en pensant “Tout ça en même temps”.
- Je vois. Ca a l’air d’être un peu le bordel, je me trompe ?
J’essayais de lire en elle et elle en moi. Sans un mot, nous nous toisions sans sourciller. Pourtant, je ne savais pas ce que je cherchais dans son regard, et j’avais l’impression qu’elle non plus. Je commençais à sourire, elle aussi. Nous éclations de rire en même temps.
- Je vais te faire une confidence, repris-je. Il y a bien une fille derrière cette histoire.
- Je le savais, murmurait-elle, victorieuse. Alors ? Petite amie ? Ex qui te court après ? Amie aux mains baladeuses ? Plan cul régulier ?
- Rien de vraiment défini.
J’essayai de rester évasif tout en maintenant son intérêt. La tâche était particulièrement ardue et je perdais du terrain. Elle abattait à chaque question mes remparts, et je serais bientôt démuni face à elle.
- Comme je te comprends. C’est si difficile de mettre un nom sur une relation. Et tellement insignifiant, aussi. Ca ne sert vraiment à rien. A-t-on réellement besoin de mettre un nom précis sur ce qui lie deux personnes ?
J'appréciais l’état d’esprit libéré dont elle faisait preuve. Ne pas chercher à nommer, c’est ne pas s’enfermer dans des a-priori.
- Je suis tout à fait d’accord avec toi. Comment doit-on qualifier une ex avec qui on reste ami ? C’est une amie ? C’est une ex ? C’est une future-ex-bientot-petite-amie ?
- Tu es ami avec tes ex ?
- Sûrement pas. Mon frère peine à passer le cap, mais de mon côté, tout est clair.
Elle sourit en silence. Je la voyais triturer ses doigts. Elle cherchait manifestement ses mots, mais je ne la pressais pas pour autant. Elle dit finalement :
- Tu te rappelles des sculptures que je t’ai montrées en photo, la dernière fois ?
- Celles que tu m’aurais montré à notre rendez-vous de samedi prochain ?
- Oui. Ca te dirait de venir chez moi, maintenant ? J’aimerais te montrer quelque chose.
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