Chapitre 3 - L'ange gardien
Deux hommes s’avancent lentement d’un pas menaçant. Je ne sais pas quoi faire, je suis terrifiée. Les deux inconnus sont à un mètre de moi, quand j’entends la porte d’entrée claquer violemment. Quelqu’un passe devant moi et se jette sur les hommes cagoulés. Le premier, tente de m’attraper et je trébuche en esquivant son attaque. Je tombe lourdement sur le sol et me cogne la tête contre le parquet. Ma vue se brouille légèrement lorsque j’entends mes agresseurs se battre avec l’étranger.
Je reprends peu à peu mes esprits et utilise mes bras pour me retourner vers la scène. Mes agresseurs sont à terre, désarmés et inconscients. La personne qui m’est venue en aide est agenouillée, sa respiration est haletante, elle est essoufflée. J’utilise le peu de force qu’il me reste pour me relever. Je titube jusqu’à mon sauveur. Il m’a senti arriver car il s’est levé brutalement. Il se retourne et me domine de toute sa hauteur. Il mesure au moins un mètre quatre-vingt-dix, il est châtain aux yeux bleus et est vêtu de noir comme mes assaillants.
Il me dévisage, je suis hypnotisée par son regard glacial. Un éclair de lucidité me rappelle que mon père est toujours dans l’appartement. Je me précipite dans sa chambre suivie du mystérieux inconnu qui n’a pas dit un mot. J’aperçois mon père gémissant près du lit. Le tapis est imbibé de sang. Je m’accroupis et d’une main touche son visage déformé par la souffrance. Des larmes ruissèlent sur mon visage.
- Ne…ne fais confiance à personne, ma fille adorée, articule difficilement mon père. Ta mère n’est pas…
Il n’a pas le temps de terminer sa phrase, ses yeux se ferment et sa poitrine se soulève dans un dernier râle. Je crie de rage et de chagrin. Ils ont tué mon père et je ne sais même pas pourquoi ! Une main se pose sur mon épaule, j’ai oublié la présence du mystérieux inconnu. Je me retourne brusquement, le cerveau en ébullition.
- Pourquoi ont-ils tué mon père ? Que faisaient-ils chez moi ? Qui es-tu ? Que fais-tu là ? je hurle de désespoir, perdue et ne comprenant pas ce qui se passe.
Je me pose mille questions. Je fais volte-face vers l’inconnu pour avoir des réponses.
- Je t’expliquerai tout, une fois partis d’ici, dit-il calmement.
- Non ! je dois appeler les secours et rester auprès de mon père, j’insiste tout en lui tenant avec vigueur la main.
- Si on reste là on est mort. Ils reviendront plus nombreux parce que c’est toi qu’ils veulent.
Je le fixe, surprise par ses propos.
- Pourquoi…
Je n’ai pas le temps de terminer ma phrase que l’inconnu me saisit par le bras et me tire hors de la chambre. Je me débats avec ardeur et il me lâche.
- Nous n’avons pas de temps à perdre, je répondrai à tes questions une fois dans la voiture, décrète-t-il d’un ton menaçant. Soit tu viens, soit tu crèves ici.
Rapidement, je fourre quelques affaires dans un vieux sac à dos et le suis sans tarder. C’est le seul moyen d’avoir des réponses à mes questions. J’enjambe mes agresseurs toujours inconscients si ce n’est morts et descends les marches quatre à quatre pour ne pas me laisser distancer. Les voisins de cet étage sont âgés, ils n’ont pas dû m’entendre hurler mais l’un des habitants ne devrait pas tarder à s’alarmer.
Devant mon immeuble, j’aperçois un van noir qui doit appartenir aux hommes masqués. L’inconnu se dirige vers une Peugeot noire garée un peu plus loin. Il s’installe au volant et je prends place à ses côtés déposant mon vieux sac Eastpack à mes pieds. Il démarre en trombe et nous quittons Perpignan enveloppés par le crépuscule. Il n’y a pas trop de circulation sur le périphérique.
Je fais des efforts pour refouler ma peine et mes larmes afin de me concentrer sur ce qui vient de se passer. J’observe du coin de l’œil mon sauveur. Il se détend peu à peu et les traits de son visage deviennent plus doux. Je viens de remarquer à quel point il est beau et son blouson en cuir noir lui donne un air de mannequin. Il doit être à peine plus âgé que moi.
- Avant que tu ne poses des questions, commence-t-il d’une voix claire, présentons-nous. Je m’appelle Justin.
- Emmy, je souffle intimidée.
Je suis assez timide et réservée, je ne suis pas très à l’aise avec les inconnus. Je me concentre sur mon objectif premier c’est-à-dire en savoir plus. Je ne laisse pas le silence s’immiscer entre nous. Je fais un effort pour ne pas que ma voix se brise.
- Où allons-nous et pourquoi je devrais te faire confiance ? je demande méfiante.
- Primo, nous prenons l’A75 jusqu’à Aurillac puis nous bifurquerons à la sortie de la ville pour aller au Foyer où nous serons en sécurité. Secundo, je t’ai sauvé la vie et je suis le seul à savoir pourquoi ces gars en ont après toi.
- Dis-moi tout Justin !
- Ces types travaillent pour LSG, autrement dit le Laboratoire Secret de la Génétique. Ils font des expériences sur les gens qui possèdent un don comme nous, mais nous ne connaissons pas le but de tout cela, poursuit-il machinalement.
J’enregistre les moindres détails de tout ce qu’il dit. Il a dit « nous », ce qui signifie qu’il est comme moi. Je demanderai plus tard ce que cela signifie.
- Comment m’avez-vous retrouvé ? je demande un peu angoissée.
Ma vie vient d’être bouleversée. Il y a quelques minutes encore j’étais une étudiante normale, maintenant je suis en cavale alors j’estime avoir le droit de tout savoir ! Je me prépare psychologiquement à encaisser toutes ces informations.
- Nous pensons que LSG nous traque sur le net et les réseaux sociaux en cherchant des phénomènes étranges qui se seraient produits. La plupart du temps ils cherchent des personnes aux antécédents psychiatriques ou judicaires.
Il a utilisé le « nous » mais cette fois pour signifier qu’il n’est pas tout seul. Ces fous du labo m’ont sûrement retrouvée grâce à mes antécédents et aux rumeurs qui circulent sur les réseaux. Les questions affluent dans ma tête au fur et à mesure qu’il parle.
- Comment sont-ils au courant que nous existons et surtout comment tu sais que c’est moi qui ai un don et pas mon…
Je n’arrive pas à prononcer son nom sans que les larmes me montent aux yeux. Il a compris de qui je veux parler.
- Nous sommes nombreux sur terre Emmy, soupire-t-il d’un air mélancolique. C’est assez simple de débusquer les gens comme nous surtout quand nous sommes puissants. Quand on atteint un certain niveau, nous sommes plus sensibles à des crises et autres problèmes du même genre. Ton entourage pense qu’il y a un truc qui cloche et te fait passer des tests sans intérêt.
Ses doigts se crispent sur le volant, ses émotions sont palpables. Je me faufile dans cette brèche psychique et les absorbe pour oublier ma douleur. Il exprime de la colère, peut-être suite à un passé déchirant, mais parvient à se contrôler.
- Les EDU se reconnaissent entre eux grâce aux énergies qui gravitent en nous, continue-il plus calme.
- Les EDU ?
- C’est le diminutif des Enfants De l’Univers, explique-t-il. Nous avons choisi de nous appeler comme ça.
Il va me falloir du temps pour accepter ce retournement de situation. Je préfère continuer à poser des questions pour assembler les morceaux du puzzle.
- Comment tu sais que LSG traque les EDU ?
- Beaucoup d’entre nous ont disparu sans laisser de trace. Les habitants du Foyer ont décidé de mener une enquête qui a duré plusieurs mois. A l’époque je n’étais pas encore parmi eux. Ils ont découvert un laboratoire perdu au milieu de nulle part, protégé par des caméras et des hommes armés. Impossible d’y pénétrer, alors ils ont piraté le système grâce à notre génie informatique. Ils n’ont pas pu voler beaucoup de fichiers mais assez pour avoir les informations nécessaires. Je te les montrerai pour que tu comprennes mieux.
- Tu as dit que nous allons au Foyer, c’est quoi exactement ? je questionne curieuse.
- Le Foyer a été créé par Nathalie il y a dix ans afin de rassembler les EDU en groupe de parole. Aujourd’hui, seuls les plus puissants sont restés sous protection. Nous sommes entraînés physiquement et psychiquement en cas d’attaque. Le problème est que LSG et le Foyer se situent tous les deux en Auvergne. Dans le cas le plus extrême, c’est-à-dire s’ils nous repèrent, ils seront vite là.
- Quoi ! je m’écrie terrifiée. Tu nous amènes dans la gueule du loup !
- Du calme, LSG ne sait pas que le Foyer existe, réplique Justin détendu. On est en sécurité, je te le promets. Ils font environ des rafles tous les trois mois, ils doivent être sûrs de ne pas se tromper sur les personnes qu’ils capturent. Les scientifiques ne s’intéressent qu’aux plus puissants, d’après de ce que nous avons pu voir. Cela ne représente qu’une minorité d’entre nous.
Si je saisis bien, les hommes d’un laboratoire secret nommé LSG ont essayé de me capturer pour faire des expériences louches sur moi. Justin m’a sauvée et il me conduit au Foyer où je serai en sécurité avec des gens comme moi. Mais cela n’explique pas pourquoi ces fous ont tué mon père. Mon visage s’assombrit, je revois son visage et le sang qui imbibe ses vêtements.
- Pourquoi ils l’ont tué ? je demande en baissant la tête.
- Ces hommes n’ont aucune pitié, ils te cherchaient et ton père ne voulait pas leur dire où tu étais alors ils l’ont poignardé. C’est le scénario le plus probable, annonce-t-il d’une voix monocorde. Dors un peu, il nous faut cinq heures de route pour arriver à destination. Nous ferons une pause dans deux heures.
J’acquiesce et pose la tête contre la vitre. Je suis aspirée dans un sommeil profond.
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