Chapitre 13 - Les mots de la nuit
Tous les habitants du manoir s’apprêtent à partir pour « la soirée exceptionnelle » organisée par Nathalie qui se déroule dans un restaurant à Aurillac et se termine au bowling. Justin et moi sommes toujours punis et nous observons les autres d’un air envieux. John s’avance vers nous avec un boîtier à la main.
- Les ordinateurs sont en alerte 24h/24. S’il se passe quoi que ce soit le boîtier va clignoter et émettre un son. Prévenez-moi en cas de problème.
Mon âme-sœur le prend et fait signe à notre informaticien qu’il a compris le message.
- Je vous confie le manoir les jeunes, clame Nathalie en ouvrant la porte. Ne faites pas de bêtises en notre absence.
- C’est tout à fait mon genre, j’ironise en levant les yeux au ciel légèrement irritée.
Le groupe disparait derrière la lourde porte en chêne, nous laissant seuls Justin et moi.
- Je vais préparer le dîner, je souffle en rompant le silence.
- Chouette, tu vas m’apprendre à cuisiner ! s’exclame Justin d’un rire enfantin.
- C’est vrai que les enfants de riches ne savent pas cuisiner puisque ce sont des assistés, je marmonne.
- Je ne savais pas que tu me voyais comme ça, s’étonne mon âme sœur.
Oups, j’ai pensé tout haut.
- Tu es tellement prétentieux, égoïste et tu penses avoir tout monde à tes pieds, je rajoute d’un ton théâtral.
Il s’esclaffe et m’aide à sortir les ingrédients des placards.
Quelques minutes plus tard nous nous empiffrons de chips et de hamburgers maison. C’était un vrai fiasco ce cours de cuisine. Justin a tout fait cramer, je ne peux pas lui faire confiance pour préparer quelque chose de mangeable.
- Moi qui croyais que tu excellais dans tous les domaines, je me suis trompée, je m’écris en riant.
- Personne n’est parfait, réplique-t-il d’un air faussement blessé. Même pas moi !
Après avoir tout rangé et laissé la cuisine dans son état initial nous nous rendons au coin de la cheminée. Justin ne perd pas de temps pour m’embrasser. Je ne sais pas d’où lui vient cette envie pressante.
- Je t’aime tellement mon amour, murmure-t-il entre deux baisers.
Il me pousse doucement au sol et je sens une chaleur s’immiscer dans tout mon corps en plus de la température des flammes qui grésillent. Mon âme sœur approfondit son baiser et passe délicatement la main sous mon t-shirt.
Mon cerveau est en ébullition, je ne sais pas du tout quoi faire, la nervosité me gagne. Justin lâche un sourire pour me rassurer et ses yeux me signifient qu’il ne dépassera pas les bornes. Je me laisse aller à ses caresses lorsqu’un bruit sourd se fait entendre nous faisant sursauter.
Mon âme sœur se détache difficilement et s’approche discrètement de la fenêtre du salon. Méfiant, il observe quelques secondes les alentours éclairés par les lampes du jardin, puis revient vers moi.
- C’est juste un pot de fleurs qui s’est cassé à cause du vent, je nettoierai demain.
Cet incident a rompu le charme qui régnait entre nous et je me lève pour rejoindre le premier étage. Je veux vérifier qu’il ne se passe rien d’alarmant dans la salle informatique.
Justin me suit mais remarque que je fais cela pour l’éviter. Je ne suis pas habituée à ce genre de caresses entre nous. Je ne sais pas comment réagir, je n’ose pas le regarder dans les yeux.
Il m’attrape par le bras pour stopper ma course. Ma démarche était devenue rapide sans que je ne m’en rende compte.
- Je ne ferais rien sans ton accord, tu le sais ça ? commence-t-il en relevant mon menton pour que nos regards se croisent.
- C’est que… je n’ai pas l’habitude qu’on fasse ça, je réponds le rouge aux joues. Nos baisers me sont plus familiers.
Il sourit tendrement et me prend dans ses bras.
- Je t’aime, je murmure.
Je crois entendre un « plus que tout » franchir ses lèvres.
Après avoir vérifié que tout était en ordre sur les ordinateurs de John, nous allons dans sa chambre. C’est la première fois que je la vois. Puisqu’il est seul, il a pu la décorer comme il le voulait. Des posters de groupes de rock sont affichés un peu partout sur les murs et la couverture du lit représente un loup bleu assorti aux rideaux de la pièce.
- Bienvenue dans mon antre, s’exclame-t-il d’une voix qui se veut effrayante.
Je m’allonge sur son lit et il me rejoint une boîte de chocolats sous le bras.
- Nous avons bien mérité une petite récompense, susurre-t-il en me tendant la boîte.
Il n’a pas tort, tous ces efforts méritent bien des chocolats. Je n’en ai pas mangé depuis si longtemps ; j’ai presque oublié le goût de ces merveilles.
J’en mange plusieurs et laisse couler le chocolat fondu dans ma gorge pour savourer ce plaisir intense.
- C’est tellement bon ! je m’extasie en fermant les yeux.
Mon âme sœur s’esclaffe pendant plusieurs secondes.
- Quoi ? tu es tellement mignonne quand tu fais ça, tu ressembles à un enfant, avoue-t-il toujours en riant.
Vexée je me détourne en faisant une remarque méchante.
- Si je suis un enfant alors toi tu es un pédophile !
Ses rires redoublent face à mes gamineries. Il me prend dans ses bras pour m’étreindre tendrement. Je me retourne vers son visage pour l’embrasser. J’ai envie de lui prouver que je ne suis plus une enfant. J’approfondis mon baiser et m’assois doucement sur lui.
Il passe ses mains dans mon dos et sur mes fesses alors que je faufile mes doigts sous son tee-shirt. Je dessine le contour de ses abdominaux et je sens son cœur battre plus fort dans sa poitrine. J’observe son visage quelques secondes afin de reprendre mon souffle. Il est tout rouge et ses pupilles sont dilatées, il ressemble à un enfant gêné. Mais Justin n’est pas gêné, ce n’est pas son genre.
- Tu es plus aventurière que je ne croyais, murmure-t-il.
J’ai envie d’aller plus loin tout à coup. Est-ce mal ? Non, à mon âge c’est normal, il n’y a rien de bizarre. Je prolonge notre intense baiser.
Je lui enlève son t-shirt pour qu’il soit torse nu. Plus rien ne peut m’arrêter, un feu brûle en moi. Je pose mes mains sur sa ceinture pour lui retirer son pantalon mais il m’arrête.
- Tu es sûre de toi ? demande-t-il d’un air tout à coup sérieux.
- Tu es le seul, je t’aimerai jusqu’à la fin dans cette vie et dans toutes les autres. Quels que soient les obstacles je te retrouverai, je chuchote sur le même ton que celui d’une alcoolique.
Sauf que moi je suis ivre d’amour. Ses lèvres sur les miennes sont si douces, elles s’assemblent parfaitement, nous sommes faits l’un pour l’autre c’est une évidence.
Il m’aide à retirer mes vêtements ; je me retrouve en culotte et soutien-gorge. Je lui enlève son pantalon et il se place au-dessus de moi. J’ai tellement envie que ce soit lui… Les insectes nocturnes se mêlent à nos gémissements lorsque nos corps ne forment plus qu’un.
***
Je me retrouve dans un jardin fleuri derrière une grande propriété. Mon corps est tellement léger et le soleil de l’été ne me brûle pas. J’ai l’impression d’être un fantôme qui flotte. Je sais que c’est un rêve car je ne connais pas cet endroit même s’il me semble familier. Pourtant il est étrange, il parait encore plus réel que les autres.
Je décide d’explorer les environs comme je le fais dans tous mes rêves lucides. Je m’enfonce dans le jardin et tombe sur un labyrinthe végétal. Au fur et à mesure que j’avance, j’entends des voix de plus en plus claires. Je cours vers le son car il me semble reconnaitre ces voix. Je tombe au milieu du labyrinthe où tous les chemins se rejoignent sur une fontaine. Je reste figée sur place lorsque j’aperçois les deux locuteurs. Leurs gestes et leurs paroles sont agitées comme s’ils avaient peur de quelque chose.
Je peux apercevoir mon sosie mais lui ne me voit pas. J’ai les mêmes cheveux bruns, tressés en couronne sur ma tête sauf que mes vêtements semblent venir d’une autre époque. Je porte une robe d’été rose pâle à col Claudine avec des sortes de babies à talons. Devant mon autre moi, se trouve un grand homme blond en uniforme militaire vert gris. Je remarque son brassard rouge qui me met la puce à l’oreille. Je suis en pleine seconde guerre mondiale, mon sosie est en face d’un officier allemand que je reconnais grâce à son brassard qui doit comporter la croix gammée. Ce rêve est de plus en plus étrange mais je suis tellement curieuse de comprendre que je ne souhaite pas me réveiller.
L’officier se tourne et amène mon alter égo derrière un buisson pour l’embrasser. Ses yeux bleus croisent les miens mais il ne me voit pas, je suis transparente.
- Justin ! je m’exclame pour moi-même.
Je n’ai pas le temps de réfléchir. Justin se remet à parler mais cette fois il ne murmure pas des mots d’amour pour rassurer mon autre moi comme tout à l’heure.
- Dans quelques jours nous partirons en Amérique et nous pourrons vivre notre vie Elisabeth.
- Je t’aime tellement Lukas ! sanglote Elisabeth alias mon sosie.
Tout s’éclaire d’un coup. Comment je fais pour ne pas voir la vérité ?
Justin, mon âme sœur. Nos sosies dans une autre époque. J’ai une vision de notre ancienne vie : ce qui fait de nous des âmes sœurs dans le monde actuel. Je suis le couple hors du labyrinthe trop excitée de voir la suite de mon ancienne vie.
Je suis coupée de mes pensées par un coup de feu. Lukas s’effondre sous les cris d’Elisabeth et les miens. Ce n’est qu’un seul et même son, la même voix. Le couple est démasqué.
- Ne touche pas à ma fille sale fils de Boche ! hurle un homme sur la terrasse de la bâtisse, le fusil en main.
Je ne peux plus bouger, mes yeux sont rivés sur Lukas qui se vide de son sang. Je n’ai pas le temps de faire un mouvement qu’un tourbillon m’enveloppe et je me réveille en pleurant.
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