Justin ouvre la boîte à gants et me tend un Beretta dont je sais me servir grâce au stand de tir. Il brandit deux couteaux à fine lame puis avance discrètement vers la porte arrière du manoir. Je le suis jusqu’à la cuisine et des cris nous parviennent. Mon sang se glace et je suis terrifiée.

- Courage Emmy, dis-je à haute voix pour moi-même. Tu as été entraînée pour des moments comme celui-là.

Je dois avoir confiance en moi si je veux sauver mes amis. Je ne dois pas réfléchir ou c’est moi qui vais mourir. Mon âme sœur s’est déjà précipité dans la bagarre à quelques mètres de moi.

J’avance à pas de loups dans la salle à manger. Les chaises sont renversées, il y a du sang et des débris de vaisselle qui jonchent le sol. Je jette un œil dans le hall et je vois Nathalie étendue, couverte de sang. Un combat fait rage dans le salon mais je ne fais pas attention à ce qui se passe. Je me précipite sur la directrice et la secoue violemment. La vision de Leslie se réalise…

- Nathalie !

Elle ouvre les yeux mais son visage est pâle. J’arrache un bout de mon t-shirt pour stopper l’hémorragie mais son sang se déverse toujours en flaque autour de son corps.

- Sauve-les, murmure-t-elle d’une voix à peine audible.

Ses yeux se ferment, son corps s’affaisse… Nathalie ne peut pas mourir. J’ai l’impression de revivre la même scène qu’il y a deux mois. Je ne suis plus envahie par la tristesse mais par une colère qui me ronge de l’intérieur. Une douleur qui me pousse à me relever et à affronter nos ennemis.

- Enfoiré ! crie Cam à l’autre bout du salon.

Je grimpe à l’étage pour débusquer d’autres attaquants et laisse ceux-là à mon coéquipier. Les chambres sont vides et en bon état ; il n’y a pas eu de combat ici. Je monte au deuxième dans la salle informatique. La pièce est sombre mais je vois le métal d’une arme se braquer sur moi.

- Emmy ? chuchote Hélia en baissant son revolver.

Je ferme la porte et allume la lumière. Je ne suis pas au bout de mes surprises décidément. Le sang du cadavre de John se mêle à celui de Matt. Un assaillant git à terre, mort lui aussi. Bon sang ! Combien de vies auront été volées ?

- John s’est pris une balle dans la tête car il n’était pas EDU et Matt a succombé à ses blessures, m’indique la jeune empathe. Il s’est bien battu.

Elle se soigne avec une trousse de secours. Heureusement pour elle, Hélia vivra.

- Nathalie est morte, j’avoue en baissant les yeux. Elle m’a dit de vous sauver…

Mon amie n’a pas le temps de répondre, des coups se font entendre et la porte claque nous laissant sans voix.

Jessica ferme à clé, essoufflée et terrifiée.

- C’est Justin… commence-t-elle.

Nos assaillants enfoncent la porte avec violence et nous attrapent Jessica et moi. Hélia s’enfonce au bout de la pièce mais elle ne peut pas fuir.

- Cette fille est blessée, les résultats des analyses seront faussés. Abattez-la, ordonne l’un des quatre hommes.

Je hurle sans m’en rendre compte lorsque le corps de mon amie tombe lourdement, les yeux grands ouverts sur le sol. Nos ennemis injectent un produit dans le bras de Jessica et celle-ci s’endort progressivement. J’essaye de me débattre mais mon agresseur me tient avec une poigne de fer. Il est deux fois plus fort que moi, je n’ai aucune chance.

Je sens une piqûre dans mon cou et le liquide coule dans mon sang. Mon rythme cardiaque et ma respiration ralentissent, je me sens sombrer dans un sommeil profond. La dernière chose que je perçois, c’est Justin qui aide l’un des hommes à transporter Jessica.

Je me remémore les paroles de Cam quelques minutes plus tôt. « Enfoiré » a-t-il dit. C’était contre Justin qu’il se battait parce que c’est lui le traître.

Mes pensées se noient dans le sommeil et je perds connaissance.

***

J’ouvre mes yeux péniblement car mes membres sont encore engourdis. Une lumière blanche aveuglante m’empêche de voir le plafond. Mes muscles sont lourds et je m’assois difficilement sur le matelas. Mon cerveau est embué, je n’arrive pas à me souvenir de ce qui s’est passé ces derniers jours. Quelqu’un a dû m’administrer des sédatifs mais également autre chose car je ne me souviens pas des événements après ma nuit avec Justin. Est-ce que j’ai été enlevée dans mon sommeil ?

Mes yeux commencent à s’habituer aux faisceaux lumineux et je peux observer la pièce en détail. Le lit est simple avec des draps immaculés et une couverture bleu pâle comme dans les hôpitaux et les murs présentent une surface matelassée. Il n’y a rien d’autre dans cette pièce plus petite qu’une chambre normale. La porte est blindée et ne s’ouvre que de l’extérieur. C’est officiel, je suis dans un hôpital psychiatrique. De plus je porte un pantalon et un t-shirt en coton bleu ainsi que des chaussures blanches à fines semelles.

Mes muscles se sont détendus et je me recouche dans le lit pour essayer de me souvenir. Je force ma mémoire jusqu’à avoir un horrible mal de tête. Le brouillard de mon cerveau se dissipe et les souvenirs affluent.

Ma conversation avec Leslie, la visite chez Sébastien, l’attaque de LSG et surtout… Justin. Cam avait raison depuis le début.

Maintenant que j’y réfléchis, les indices étaient tous là. Ses sorties du samedi soir avant notre rencontre, c’était pour aller au labo, pas pour draguer des filles comme me l’avait dit Leslie. Il savait que Cam m’avait fait part de ses soupçons sur son identité et ses intentions alors il ne sortait plus le samedi soir mais il communiquait quand même avec eux.

J’ai été trahie. Je suis tombée amoureuse d’un type qui n’en avait rien à faire de moi. J’ai l’impression d’être la fille naïve qui s’est fait avoir par un « fuck boy ». Mais il a également trahi tous les EDU, pas seulement moi. Je ne comprends pas pourquoi il travaille avec eux alors qu’il fait partie des nôtres. Je me pose tellement de questions mais je ne suis même pas triste. Je ne ressens plus rien. Les émotions que j’ai réussies à exprimer de nouveau avec Justin se sont à nouveau réfugiées dans un coffre-fort.

La porte s’ouvre violemment et je sursaute en me collant instinctivement contre le mur. Deux hommes en tenue d’infirmier me saisissent sans un mot par les bras et je réalise soudain où je suis. Je ne résiste pas quand nous traversons un couloir avec d’autres cellules.

Après plusieurs virages, nous entrons dans une pièce. Les deux hommes m’attachent sur une chaise près de Jessica qui est dans la même tenue que moi. Je la regarde mais je n’ai pas le temps de parler que d’autres infirmiers débarquent avec Diana, Christopher et Carla. Ils ont tous une mine affreuse alors j’imagine la mienne… Quelques minutes plus tard c’est au tour de Lucas et d’Angela de se faire attacher. Ils sont tous dans la même tenue que moi et dans le même état passif comme si nous avions subi les pires horreurs.

Cam, Virginie, Jonas et Leslie ne sont pas là. Au fond de moi, j’espère qu’ils sont cachés quelque part ou ont rejoint les deux autres Foyers d’EDU en France. J’espère qu’ils ne sont pas en danger.

Au bout de quelques minutes un homme en costard chic entre dans la pièce avec deux soldats. Il est petit avec des yeux bleus perçants et des cheveux grisonnants. Un petit sourire satisfait apparaît sur ses lèvres. Je comprends aussitôt que c’est lui le chef des opérations de LSG.

- Bienvenue au Laboratoire Secret de la Génétique, commence-t-il. Vous connaissez notre existence depuis longtemps chers patients ou plutôt chers Enfants de l’Univers. Je vais répondre aux questions auxquelles vous n’avez pas trouvé de réponse.

Il observe nos réactions mais nous ne réagissons pas.

- Je suis Charles Avigny, un actionnaire d’une des plus grandes firmes du monde, continue le patron. J’ai découvert votre existence grâce à mon fils adoptif, et depuis cinq ans je recherche un moyen d’exploiter votre pouvoir pour le mettre au service des plus offrants. Grâce à ma richesse colossale j’ai pu me procurer beaucoup de matériel et le dévouement du docteur Lee qui dirige mes opérations scientifiques.

Un homme que je n’avais pas vu entrer s’avance vers nous. Il ne semble pas menaçant et ressemble bien aux scientifiques binoclards que l’on voit dans les films.

- L’expérience Volcan03 a été un pur échec, avoue l’asiatique avec un accent anglais. Notre but est d’extraire le gène qui code vos dons. Mais il est tellement petit et insignifiant qu’il nous a fallu cinq ans pour le trouver. Désormais nous l’avons déniché et nous allons pouvoir le modifier afin de vous rendre plus forts ; c’est la phase 2.

- Vous aurez la chance de participer à une grande découverte en tant que cobayes, reprend Avigny. Nous vous expliquerons les détails de l’injection en temps et en heure.

Un homme toque à la porte et entre avec l’accord du patron. C’est un quadragénaire aux cheveux blancs et aux yeux perçants. Je baisse les yeux face à ce regard d’aigle. Sa carrure est droite et imposante, il porte un uniforme militaire avec plusieurs médailles.

- Je suis le commandant Lionel Ferrat, commence-t-il la voix grave. Je dirige les groupes d’assaut du laboratoire.

Avec un homme comme lui aux commandes, c’est normal qu’on se soit fait prendre.

- Nous traquons depuis cinq ans les personnes spéciales comme vous. La tâche est difficile, c’est pour cela que nous avons infiltré Justin. Il a touché un nid entier de « spéciaux ». Nous connaissons votre cachette depuis longtemps et nous avons laissé traîner certaines informations sans trop de sécurité informatique. Tout ce que vous saviez sur nous était programmé. Notre but était de vous faire vivre dans la peur de vous faire repérer.

Ces mots me glacent le sang et je suis affligée par toutes ces informations.

- Nous vous aidions à dénicher les EDU pour les rassembler afin de tous les enlever en même temps, à un moment donné. Nous avons trouvé le gène, la seule chose qu’il nous manquait, c’était des cobayes. Vous êtes une vingtaine maintenant et vous allez nous être utiles.

- La pêche a été fructueuse, commente le patron.

Avigny a employé les meilleurs scientifiques et soldats dans son plan machiavélique. Tous sont prêts à tuer pour lui et le commandant semble vraiment dangereux. Il a dû soudoyer beaucoup d’hommes haut placés pour cacher ses activités. D’après Justin ce site est classé « secret défense ».

- Emmenez-les tous dans leur chambre, sauf la numéro seize, ordonne Avigny.

Mes amis se laissent reconduire dans leur cellule mais moi personne de m’amène. Pourquoi le numéro seize a-t-il droit à un traitement de faveur avec le mafieux ?

Il s’approche lentement de moi et murmure à mon oreille.

- Je te réserve beaucoup de surprises numéro seize, mais en attendant Justin veut te voir.

Nous ne sommes plus traités comme des hommes, mais comme des moins que rien. Nous n’avons plus d’identité, nous ne servons que les intérêts de ce fou. Je ne veux pas voir ce traître.

Avigny quitte la pièce suivi des deux colosses qui ne le lâchent jamais.