... ou pas

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Il ne m’a toujours pas vu, il est plongé dans ses papiers. Peut-être va-t-il partir d’ici sans me voir ? Soudain, il lève les yeux et regarde autour de lui. Il croise mon regard. Un sourire faux se plaque sur son visage et ses yeux se plissent sans que je puisse voir la couleur de ses iris. Il a les épaules tombantes et le dos courbé. Il paraît faible. Il m’avait paru charmant dans la salle des ventes face à Léandre, mais maintenant je n’en suis plus sûre. Est-ce que ce charme n’est qu’une façade et cache un monstre hideux ?

  • Je ne vous avais pas vu. Vous venez voir M. Leconoistre ?

Je ne réponds pas et continue à le regarder se diriger lentement vers la porte d’entrée.

  • Il n’est pas là, il est encore couché. Je peux vous servir quelque chose ?

Je reste muette et je le vois verrouiller la porte. Pourquoi fermer à clef, alors que nous savons tous les deux que je ne peux pas m’enfuir ? Je reste à une bonne distance de lui. Maintenant qu’il sait qu’il me retient prisonnier, il a l’air soulagé.

— Je suis au service de M. Leconoistre…

Je chuchote un « Menteur ».

— … vous pouvez me demander ce que vous voulez ? Qu’est-ce que vous avez dit ?

Il se rapproche vers moi et je continue à garder la même distance avec lui. Je ne sais pas si Le Mouvement me sera très utile ici.

— Pourquoi êtes-vous venus exactement ? Je…

Je murmure un peu plus fort « Menteur ».

— … peux peut-être vous… Qu’avez-vous dit ?

Cette fois, je plonge mon regard dans le sien et lui dit d’un ton sec, mais bas.

— Menteur.

— Je ne comprends pas. Je ne vous mens pas.

— Je sais qui vous êtes.

Sa posture change radicalement à mes paroles. Il se redresse de quelques centimètres et bombe le torse. Il apparaît dans sa vraie nature. Sa carrure est imposante et apporte un sentiment de supériorité. Ses yeux sont durs et son regard est difficile à soutenir. C’est un chef, un maître et il sait le montrer. Il a été élevé pour ça et cela se voit. Un souffle froid me traverse, mon angoisse me coupe la respiration. Je suis terrorisée devant cet adolescent qui me transperce par son regard et creuse pour venir détruire mon âme.

— Comment avez-vous découvert que j’étais M. Leconoistre ? Qui vous a informé ?

Je ne réponds toujours pas. Mon silence est ma meilleure arme. Il ne pourra pas découvrir ce que je pense et qui je suis, si je ne lui réponds pas. Je dois sortir d’ici saine et sauve. Peu importe ce qu’il me veut, si je ne dis rien il n’aura pas d’information sur moi et je ne serais pas violé au plus profond de mon âme. C’est sûrement bête, mais ça me rassure, ça me donne du courage. J’observe plus attentivement la pièce et cherche un endroit pour m’asseoir, pendant qu’il continue à me poser des questions auxquelles je ne réponds pas. Je vois une chaise, près d’un mur lumineux. Je m’installe dans la lumière agréable et chaude. Ce n’est pas un simple mur, c’est de grandes fenêtres ouvertes vers l’extérieure. Je n’ai jamais rien vu d’aussi magnifique. Des arbres immenses brillent d’un vert éclatant. Je reste bouche bée devant cette splendeur que j’ai vue parfois en photo dans les anciens livres décrivant de la Terre. Mon cœur se réchauffe et un sourire se dessine sur mon visage devant la beauté de ce spectacle. J’aimerais pouvoir sentir les odeurs, entendre le bruissement des branches, toucher la rugosité des feuilles et goûter à ces fruits juteux. J’ai imaginé pendant des années pouvoir observer une fois dans ma vie un arbre et ici il y en a des centaines. Je ne sais pas combien de temps je suis restée en contemplation, mais l’adolescent s’est rapproché de moi sans que je m’en rende compte.

  • Les fenêtres sont incassables, vous ne pouvez pas vous échapper. Si vous voulez sortir d’ici, vous n’avez qu’à répondre à mes questions.

Je ne réponds toujours pas et garde mon plus grand calme en observant le paysage.

— Vous n’avez jamais vu le soleil ?

Je murmure un « non ».

— Enfin, vous parlez ? Qui vous a dit qui j’étais ?

— Je répondrai à une seule de vos questions, si vous me laissez partir, choisissez bien.

Son regard est dur, il ne doit pas être souvent contrarié. Il hoche la tête pour me signaler qu’il accepte ma demande.

— Comment vous appelez-vous ?

— Elena.

Je me lève et me dirige vers la porte. Il reste debout, les mains jointes à réfléchir. Je reste statique, il a sûrement changé d’avis. Mon souffle s’accélère, je commence à me triturer les doigts. J’essaie de me calmer, pour ne pas paraître faible. Il s’avance vers la porte, la main sur la poignée.

  • J’ai une autre proposition à vous faire. Chaque jour, vous viendrez ici et je vous poserai une question et vous pourrez repartir.

Pourquoi ? Que veut-il savoir ? Est-ce que c’est une forme de torture ? Je réfléchis et je sais que je n’ai pas réellement le choix maintenant.

— Sachez que personne ne vous fera du mal ici. Vous êtes en sécurité.

Comment peut-il mentir aussi facilement ? Il doit bien savoir que je sais qu’il va me violer. Espère-t-il que je sois aussi naïve ? Je hoche la tête et il ouvre la porte.

— Paul, ramène Elena dans sa chambre, s’il te plaît, montre-lui comment remonter les cache-fenêtres et aère un peu.

Le jeune homme qui m’a apporté la nourriture s’avance. Il penche la tête un peu hésitant et me laisse passer devant lui. Je sors enfin de ce bureau.

— Bonne journée, reposez-vous un peu et à demain, je suis ravi de vous connaître.

Sa voix est douce et chaude. Je suis perturbée par ses paroles sincères. Je lève la tête vers lui. Son regard est plein de pitié. Il sait que je ne lui fais pas confiance et il sait la peur qui m’habite. Je remonte le couloir pour me diriger vers la chambre, suivi de Paul.

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