Je passe mes journées à réapprendre à manger. Mr Anme trouve toutes sortes de stratagèmes pour que je puisse avaler quelque chose sans angoisse. Il apprend à me connaître, à comprendre ce qui me fait peur, ce que j’aime et n’aime pas. Il m’a aussi demandé si j’aimais ma chambre. Je lui ai répondu que pour moi ce n’était qu’une autre forme de cage. Il m’a proposé de changer de chambre, mais à mes yeux elles sont toutes pareilles. Pour lui, il faut que je trouve un endroit qui me plaît dans lequel je me sens bien pour ne ressentir aucune peur. J’en parle un peu avec G., en lui disant que je trouve ça absurde, mais que j’ai fait une promesse et que je dois la tenir. G. n’arrête pas de m’écrire en ce moment. Il a l’air inquiet. Il ne cesse de me demander comment je vais, si je me sens bien, si Mr Anme fait correctement son travail. Surtout, son intérêt se porte sur Paul. Il veut savoir comment je m’entends avec lui.

C’est vrai que depuis que j’ai fait ma première séance avec Mr Anme, Paul est plus patient. Il me laisse le temps de trouver mes mots, de lui exprimer ce que je veux essayer de manger et il fait tout pour m’aider. Nous jouons beaucoup ensemble aux jeux vidéo, ça nous rapproche. Paul m’a fait découvrir la bibliothèque et l’holocinéma. Mais la plus belle chose qu’il m’ait fait découvrir, c’est les jardins. Je n’avais vu qu’une petite partie. Il me fait découvrir chaque jour de nouvelles plantes, de nouveaux animaux. Il aime la nature et lui rend souvent honneur. C’est comme ça que j’ai eu l’idée d’en parler à Mr Anme. Il a proposé que Paul m’emmène en pique-nique. Mr Anme dit que ce sera plus apaisant pour moi. J’en ai aussi parlé avec G. en lui disant que j’aimerais aussi me balader avec et expliquer ce que m’a fait découvrir Paul.

Paul a choisi le meilleur jour pour faire notre pique-nique. Le ciel est radieux, le soleil éclatant et la brise légère pousse quelques nuages. Paul m’explique que cette période est celle qui se rapproche le plus du printemps présent sur Terre. Émerveillée par chaque morceau de feuille et insecte grimpant, je suis sans peur Paul à travers les différents jardins. Depuis quelque temps, il rougit moins en me voyant et le regard qu’il pose sur moi et de plus en plus doux et affectueux. Il me montre le charme commun aussi appelé Carpinus betulus et aussi le chêne pédonculé nommé Quercus robur. Je regarde ces grands arbres s’étendre devant mes yeux. Nous nous rapprochons d’une marre et je regarde attentivement les insectes qui s’y trouvent. Il y en a surtout un qui attire mon regard. Paul me murmure : « C’est une demoiselle ou plutôt un zygoptère. »

• Je préfère demoiselle, ça leur va à ravir. Elles sont magnifiques.
• Je crois que celle-ci c’est le pennipatte bleuâtre ou platycnemis pennipes. Ne te penche pas trop tu vas tomber dans l’eau.
• Paul, je ne suis pas une enfant, je sais faire attention. Je veux juste m’accroupir pour les regarder voler. Leurs longues ailes sont magnifiques.

Je reste à les observer, lorsque Paul me relève pour me montrer le reste de la faune et la flore. Il enchaîne alors les noms des arbres, des plantes et des animaux qui nous entourent. Tout va trop vite pour moi d’un coup, alors j’attrape le bras de Paul pour le ralentir. Je sens qu’il se tend et je retire immédiatement ma main.

• Je ne voulais pas te brusquer Paul, mais là tu vas trop vite pour moi. Je n’arrive pas à te suivre.
• Ah, pardon… C’est vrai que quand je suis dans mon truc, j’ai du mal à ralentir. On devrait y aller à ton rythme. Prends le temps de découvrir les choses et demande-moi si tu as une question.
• Merci Paul. Je sais que tu aimerais sûrement faire autre chose. Je suis désolée de prendre de ton temps pour l’expérience de Mr Anme.

Il rougit légèrement.

• Ne sois pas désolée, c’est plaisant de me balader avec toi… Enfin, je veux dire que j’apprécie les moments passés ensemble… Pardon, je vais me taire.

Il est rouge tomate. Il est toujours naturel et gentil avec moi. Je lui prends la main et souris.

• Ne t’excuse pas Paul, j’apprécie aussi être ici avec toi. Tu es mon seul ami, la seule personne en qui je peux avoir confiance.

Son regard se durcit à mes paroles. Je regarde autour de moi pour trouver un autre sujet de conversation.

• C’est quoi cette plante ? La blanche avec les petites clochettes ?
• Hum … C’est … Pff …. C’est du muguet.

Paul bégaye un peu, mais reprend rapidement ses émotions.

• C’est une plante qui ne pousse que pendant une courte période dans l’année. Elle porte bonheur.
• Elle est jolie, j’ai l’impression qu’un son va s’échapper de ses petites clochettes. Je pourrais la prendre au retour pour la garder dans ma chambre ? J’aimerais quelque chose de vivant et d’apaisant pour égayer ma chambre.
• Oui, si tu n’en prends qu’une. Mais elle fanera vite, c’est une fleur éphémère.

Je me sens apaisée et heureuse. Je ne pensais pas que ce sentiment pouvait m’apporter autant de bien. Le soleil me réchauffe la peau pendant que la brise me la rafraîchit. Les odeurs des fleurs m’envoûtent et je n’arrive plus à enlever ce sourire de mon visage. Papa espérait que je trouve le bonheur un jour. Aujourd’hui, je ne regrette pas le choix que j’ai fait. Je laisse cet instant se graver au fond de mon cœur pour que les jours de malheur n’entachent pas ce petit bonheur.