J’approche petit à petit de mon but. M. Leconoistre continue à m’envoyer des messages via G., je lui réponds que ponctuellement. Les seules personnes en qui je peux avoir confiance sont Thymothee, Maya et Alicia. La dernière reste constamment avec sa mère et ne jure que par M. Leconoistre. Il est son sauveur. Elle est redevenue innocente et est heureuse. Je n’ai pas envie d’assombrir ses pensées avec mes idées noires. Thymothee m’a déjà aidé, mais il est contre ma façon de penser. Il ne soutient pas M. Leconoistre, mais le respecte pour l’aide qu’il apporte aux enfants esclaves. Il a déjà essayé de me convaincre que M. Leconoistre n’était pas celui que je prétendais qu’il soit. J’ai revu que peu de fois Maya. La plupart du temps, elle me semblait perdue. La dernière fois, elle partageait mes idées, mais certaines choses n’étaient pas cohérentes dans ses propos. Elle me racontait que M. Leconoistre n’avait pas retrouvé ses parents, mais qu’il venait régulièrement pour l’informer de son avancement. Lorsque j’ai essayé de lui expliquer qu’ils étaient morts, elle s’est énervée. M. Leconoistre m’a interdit de la revoir pour ne pas aggraver sa condition. M. Amne m’a expliqué que Maya a des séquelles post-traumatiques suites à l’assassinat de ses parents et des événements qui s’en sont suivis. Mais il est là pour l’aider et la sortir de sa torpeur. Maya était la dernière à pouvoir m’aider. Je suis seule à nouveau, mais libre dans ce monde étrange. Je n’arrive pas à comprendre ces gens heureux et insouciant qui m’entourent. Ils semblent ignorer le monde qui est à feu et sang. Pour certains, ce lieu est une poche d’oxygène, mais pour moi c’est une hypocrisie collective. Tous leurs sourires à mon égard sont faux. Leurs mots gentils dissimulent leur mensonge. Je ne vois que des masques défilés devant moi. Le seul à m’avoir montré sa vraie nature est M. Leconoistre. Pourtant, il est l’unique personne en qui je ne peux avoir confiance. Nos entraînements seront l’occasion pour moi de prendre ma revanche sur lui. Je pourrais le faire souffrir autant qu’il m’a fait mal. Aujourd’hui, c’est notre premier entraînement ensemble. J’ai la vidéo avec moi. M. Leconoistre m’a demandé de venir en tenue de sport. Je déteste cette tenue. Pour maximiser les mouvements, ces tenues sont comme une seconde peau qui montre toutes mes formes que je répugne. Il m’a donné rendez-vous dans une salle que je n’avais encore jamais vue. Il n’y a personne dans les alentours. La salle est remplie de mannequin, de sac, de frappes et d’armes. J’essaye de prendre un couteau, mais il est collé au socle. Je l’entends rentrer. Je m’assois et tente de garder mon calme. Je n’aime pas être seule dans la même pièce que lui.

— Tu es déjà là. Tu as la vidéo ?

Je reste assise et lui lance une bague. Il la place à son doigt et regarde les informations sur son holomontre.

— Très bien. Je devrais vérifier dans tes affaires que tu n’as plus aucune trace de la vidéo.

Je valide d’un mouvement de tête.

— Elena, si tu veux que je t’entraîne il va falloir me parler.

— D’accord.

— Bon, mets-toi debout, on va commencer par des étirements.

Je me lève et cache au maximum mon corps à l’aide de mes mains. Je le vois me regarder de bas en haut avec le rouge aux joues. Il me répugne, il n’est pas différent des autres.

— Pardon, Elena je n’aurais pas dû te regarder comme ça. Il est rare de te voir ainsi. Je sais que ce n’est pas une excuse.

— Dépêchez-vous de commencer l’entraînement.

Il m’explique les différents étirements, qui ne sont pas différents de ceux de Thymothee. Après une quinzaine de minutes, nous sommes prêts à nous battre.

— Aujourd’hui, je vais te tester pour savoir ton niveau et réfléchir à un programme adapté. Attaque-moi quand tu es prête.

Il connecte son holomontre à la salle. Les portes se verrouillent et un son aigu traverse la pièce. Il se place en position de combat. L’air semble soudainement lourd. Il me paraît plus grand, plus fort, son regard me terrorise. Je suis enfermée avec un loup prêt à me sauter à la gorge. Je respire et j’essaye de me rappeler ce que mon père m’a enseigné. Je recule, il ne bouge pas. Je m’éloigne de lui. Il ne baisse pas sa garde. Je me rue sur lui et le feinte au dernier moment. Il ne bouge pas. Je me replace à l’écart. Je reprends ma respiration et ne bouge plus. J’attends. J’essaye d’étudier sa position, sa façon de respirer. Il avance lentement vers moi. J’essaye de rester en mouvement et sautille sur place. Je remarque qu’une de ses jambes est toujours en arrière. Je sais que je n’ai pas sa technique ni sa maîtrise, mais j’ai une haine vorace contre lui. Je me débattrais tel un chien enragé. Je cours vers lui et glisse pour lui faucher sa jambe en arrière. Il saute au dernier moment et j’esquive de justesse sa main qui frôle mon visage. Je m’éloigne le plus possible de lui, mais il est rapide. Il m’attrape le poignet pour me ramener vers lui. J’utilise sa force pour me placer sur les fesses et me retourne vers lui. Je tends mes jambes pour écraser son bas ventre. Il essaye de m’attraper les jambes, mais je lance mon pied vers sa tête. Il lâche mon poignet pour reculer sa tête et fait quelques pas en arrière. J’essaye de me remettre sur mes pieds. Je suis une cible facile. Il attrape mes cheveux et me tire vers lui. Je donne un coup de coude dans ses côtes alors que mon talon écrase la pointe de son pied. Il gémit et libère sa prise. Je m’éloigne de lui. Il semble à peine souffrir pourtant, j'ai tapé de toutes mes forces. Je dois trouver un moyen de faire pencher la balance de mon côté.