Chapitre 2 : Avant le départ
Lorsque Duncan fit irruption dans l'appartement, il trouva Suzanna en peignoir, devant la télé. La plupart des canettes de bière et les cigarettes écrasées avaient disparu du plancher, et il l'en remercia intérieurement. Il se précipita dans sa chambre, réunit quelques affaires, dont la petite montre incrustée que lui avait offert sa mère, quelques jours avant son départ vers l'au-delà. Il referma le sac à dos en vitesse, puis passa par la cuisine pour emporter de quoi grignoter.
« Tu vas quelque part ? demanda la jeune femme, affalée sur le canapé.
— Mission spatiale, répondit-il en enfournant un paquet de cookies dans la poche avant. L'appart' est à toi jusqu'à ce que je revienne. Tu regarderas dans la boîte aux lettres, il doit y avoir mes rappels de taxes. »
Suzanna le toisa avec incompréhension, mais Duncan était trop pressé pour lui donner plus d'informations. L'excitation qu'il avait autrefois ressenti, celle de partir pour une grande mission dans l'espace, l'avait repris depuis sa discution avec Verity. Il est temps de montrer à ces petits culs que je suis toujours aussi bon en pilotage ! songea-t-il avec détermination. Il vérifia son reflet dans le miroir, jugea sa barbe mal rasée irrésistible puis se dirigea vers la porte d'entrée.
« Mais... commença Suzanna, ahurie.
— Adieu mon chou ! » lança-t-il pour toute réponse, avant de claquer la porte.
Son mal de crâne était étouffé par l'appréhension. Cela faisait plus d'un an qu'il n'était pas monté dans un simulateur. Son dernier entraînement s'était par ailleurs soldé d'un cuisant échec, l'ayant éconduit de la mission. La Mission Væros, le rêve ultime de la Terre ! Après cette planète, qui sait combien l'Humanité en colonisera ! pensait Duncan, alors qu'il pénétrait dans un bus en direction de l'aéroport. Il se voyait déjà, les commandes entre les mains, tout un équipage lui obéissant au doigt et à l'oeil !
Depuis son exclusion de la Mission Væros, en 2092, Duncan avait abandonné tout espoir d'une reconversion heureuse et profitable. Il avait été invité par ses amis d'enfance à Amsterdam, et avait noyé sa déception et son chagrin dans l'alcool. L'échec d'un premier envoi du vaisseau d'éclaireur en direction de l'exoplanète ne lui avait même pas remonté le moral. Il songeait aussi parfois à Verity, à tout le temps qu'ils avaient passé ensemble, dans les simulateurs, les salles d'immertion, les blocs de musculation... Ils s'étaient formés à la mission ensemble, deux co-pilotes, le Ying et le Yang. La différence, c'est que Verity n'a pas été virée pour des formalités ! Cette seconde chance s'offrait à lui comme un morceau de pain béni.
Les grands bâtiments rectangulaires de l'aéroport furent bientôt en vue. Il passa les barrières sans encombre, fut fouillé par une IA policière, déclina son identité digitale et vocale, et franchit un sas de neutralisation de toute potentielle arme. Arrivé sur le tarmac, le vent violent brassé par les réacteurs d'un jet privé orné du logo de la NASA lui ébourrifa les cheveux. Il se sentait presque revivre, bien que ses tympans qui emplifiaient tous les sons depuis son réveil étaient mis à rude épreuve par les sifflements des moteurs. Une silhouette musclée de femme s'approcha de lui, suivie de près par un agent de sécurité taillé comme une armoire à glace.
« Verity ! s'écria Duncan en haussant la voix pour couvrir le vacarme ambiant. Sans vouloir te vexer, t'étais mieux quand t'avais des cheveux !
— Grouille-toi ! hurla-t-elle pour toute réponse. On ne peut pas se permettre d'être en retard !
— À vos ordres, cheffe ! » ricana-t-il, mais sa voix fut balayée par une bourrasque.
Il accourut à la suite de la jeune femme, et ils montèrent dans l'appareil. À peine furent-ils assis que l'engin commença à rouler vers la piste de décollage. Duncan s'effondra dans un moelleux siège réhaussé de cuir, face à Verity et au colosse. Ils commandèrent un jus de fruits et, Duncan, voyant que la carte ne proposait aucune boisson alcoolisée, se résolut à prendre un verre d'eau et un paracétamol.
« On va faire le point, gronda Verity, l'air inquisiteur. Duncan Marcus Clark, né en 2048, ancien co-pilote de la Mission Væros, avait été retiré définitivement de l'opération car il avait échoué dans le programme d'entraînement, notamment dans l'ultime exercice du simulateur de navigation spatiale, en janvier 2092.
— Arrête, c'est du passé, grogna-t-il, les yeux fuyant ceux de la jeune femme, braqués sur lui.
— Il s'est retiré dans la ville d'Amsterdam, capitale des Pays-Bas, et a mené durant près d'un an et demi une vie chargée d'excès. Il s'est fait arrêter trois fois en contrôle policier pour conduite sous état d'alcoolémie, jusqu'à ce que son permis lui soit retiré. Ses dernières analyses médicales ont décelé chez lui un alcoolisme ancré, et une tendance à la consommation de cannabis.
— Stop, tu veux ? s'irrita Duncan, la foudroyant du regard.
— Est-ce que tu vas éternellement fuir tes problèmes ? le questionna Verity, en éteignant le texte affiché sur son bracelet électronique. Ou est-ce que c'est vivre dans le présent qui te dégoûte à ce point ?
— Si on parlait de la mission ? » fit-il d'un ton énervé.
Le garde du corps assis à côté de la jeune femme au crâne rasé tressaillit, mais celle-ci hocha la tête, bien qu'elle-même agacée du comportement du quadragénaire. Elle fit défiler le contenu affiché sur l'écran du bracelet, avant de s'arrêter à un document.
« Tu vas d'abord passer diverses tests neurologiques, moteurs, des situations de gestion du stress, et tu vas remonter dans un simulateur, énonça-t-elle sans lever les yeux. À ça s'ajoutera contrôles médicaux, analyses d'urine, prises de sang, vaccins, aisance aquatique, entraînement avec les diverses armes qui seront mis à ta disposition une fois sur Væros...
— Tout un joli programme ! s'exclama-t-il en se frottant les mains. Qu'en sera-t-il de mon statut dans l'équipage.
— Co-pilote, en espérant que tu réussisses tous les tests, déclara Verity en se pinçant machinalement les lèvres. Si tu échoues, je t'en voudrais jusqu'à la mort. Tu n'imagines pas à quel point cette mission compte aux yeux de toute l'équipe. La Terre entière est derrière nous, Duncan.
— Pas besoin de me mettre la pression, je sais ce que je fais ! » ricana-t-il.
Mais le visage fermé de Verity lui indiqua qu'elle était loin de plaisanter. Se rappelle-t-elle tout ce qu'on a vécu, les années passées ? Est-ce qu'elle m'en veut vraiment d'avoir retardé le jour J de plus d'un an ? Il en était presque certain. Mais au fond de lui, il espérait que l'étincelle vivace qui avait brillé dans les yeux de sa co-équipière allait un jour se rallumer.
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