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Je me suis réveillé dans tes bras. Naturellement. J’étais bien. Au chaud. Tu avais l’épaule ronde et accueillante. La peau tendue et large à force d’exercices répétés. Tu dormais. Je te regardais, sentant ton corps collé au mien comme si c’était évident.
Nos jambes emmêlées étaient bien. J’avais tes pieds dans les miens, et je contemplais ton souffle régulier soulever ton torse.
Tu ne portais que ton short. Ta peau me troublait. Délicatement, je passai un doigt sur tes lèvres. Tu bougeas à peine. Je continuai. Et traçai le contour de ton nez, de ton menton et de ta gorge. Je sens encore aujourd’hui l’odeur de ta peau.
Tu déglutis, et tourna la tête vers moi. Les yeux toujours fermés. Mon sang cognait fort. Et si tu te réveillais ?
J’hésitai longtemps. Et je finis par t’embrasser. Doucement. Et je recommençai.
Au bout d’un moment, la main dans le creux de mes reins se réveilla et me caressa la peau. Tu m’embrassas à ton tour.
Longtemps, les yeux fermés, nous avons échangé des baisers doux. Délicats. Rien ne pressait. Tu étais aussi bien que moi, dans ces caresses tendres. Nos corps souples prenaient leur temps. Pas pressés de se découvrir. Comme s’ils avaient toute leur vie. Comme s’ils s’étaient attendu.
C’était à peu près ça. Cette sensation de moment suspendu. Le temps s’était arrêté. Il y avait un demain, il y avait pleins d’hier. Mais rien ne comptait. Encore aujourd’hui je me souviens de mes sensations flottantes, cet après midi-là entre tes bras.
Lorsque tu entras en moi, même, ce fut naturel. Tes mains sur mes hanches, tu me regardais, de ce regard flou qui reflétait ton désir et ton apaisement.
Ce que nous faisions était normal. Après tout, nous avions toujours été plus proches que de simples amis. Avec le recul, je l’avais sans doute toujours un peu su. Tu vins en moi en m’attirant dans tes bras. Je m’y endormis à nouveau après.
C’est vers 9h du soir que je me réveillai. Tu avais repris ta place à ton bureau, et renfilé un short, en tailleur sur le tapis. Ton regard serein sur tes feuilles de cours, s’anima quand tu vis que j’étais réveillé.
- Ça te dit d’aller manger ? Je meurs de faim…
J’avais hoché la tête. Récupéré mes affaires. Et on était sorti.
On passa le dernier mois ensemble avant les examens. Sans rien se promettre. Sans jamais, jamais parler de ce qui s’était passé. Ni se poser la question : Pourquoi avions- nous passé le cap, ce jour-là.
On avait repris nos quotidiens remplis de stress, de soirées de révisions à rallonge. A l’époque Internet n’était pas aussi développé que maintenant. Alors on se défoulait comme on pouvait.
Des batailles d’eau gigantesques nous tenaient lieu d’échappatoire. La résidence se transformait en champ de bataille, et tout le monde se mélangeait. J’en profitais souvent pour me réfugier chez toi mine de rien. On faisait équipe. Personne ne disait rien, on était potes. Et souvent aussi la porte se fermait sur nous, pour ne se rouvrir qu’au petit matin. Avant que tout le monde ne se lève.
Notre secret m’était précieux. J’aimais ces moments vers 6h du matin où je regagnais ma chambre tout en haut. Où je frémissais à chaque bruit qui aurait trahi d’où je venais. Je croisais une ou deux fois des potes, rentrant de chambres qui n’étaient pas les leurs. Mais cette complicité des matinaux est une chose qu’on enfouit en soi. Et qu’on protège sans avoir à rien promettre.
Entre nous ce n’était pas de la ferveur. Non. C’était une sorte d’apaisement qui m’habitait quand je me retrouvais dans tes bras. Tu ne m’as jamais rien dit. Si je te plaisais. Si tu éprouvais des trucs. Non. Il y avait entre nous une infinie tendresse qui se prolongeait avec le mélange de nos corps. Une confiance aussi. Ces non-dits entre nous, que nos échanges de regards entretenaient.
Je passai les exams en combattant mes crises d’angoisse.
Mon ex nocif me souhaita bonne chance.
Je l’envoyai se faire foutre.
Les épreuves étaient nombreuses. Toutes les matières de l’année. Une vingtaine. A l’écrit. Puis à l’oral. Une torture. Certains faisaient des nuits blanches, se dopaient au Guronsan/ Red bull. Et craquaient les uns après les autres.
Je soutenais mon voisin de chambre, un type génial qui faisait pousser des pommes de terre dans un pot de fleur sur sa fenêtre. Il galérait avec les études. Il termina les épreuves, mais en lui-même il avait déjà perdu. Je ne le revis pas l’année d’après.
Les exams recrachaient les étudiants les uns après les autres. Je faillis renoncer, mais je tins bon. Jusqu’au dernier jour.
Après mon dernier oral de maths appliquées, je courus dans ma chambre. M’enfermai. Et m’effondrai en pleurant de tout mon corps.
Quelques heures après, alors que tout le monde surnageait chacun sa manière, tu toquas à ma porte.
- Viens. On sort d’ici.
* * *
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