On a eu nos résultats. Tous les deux limite, mais on était passés. Nous avions chacun repris le chemin de chez nous pour l'été, sans regarder en arrière. Avec la certitude que cette histoire s’arrêterait là.

On ne s’était jamais rien dit. Comme si entre nous, il y aurait toujours plus que des mots ne pourraient décrire.

Tu ne m’as rien demandé. Et moi encore moins.

On s’était juste trouvé, comme deux frères perdus, qui à un moment donné avaient eu besoin de plus. Et l’avaient partagé, le temps d’un mois de Juin.

Tu ne m’as jamais dit de mot d’amour. Je ne les ai jamais pensés non plus. Enfin pas comme ça. C’était autre chose. Plus. Une parenthèse. Un instant à nous. Un souvenir que nous avons enfoui au plus profond de nous. Sans jamais y retoucher ensuite. Un trésor enfoui.

Nous avons continué nos études. La même promo pendant encore 5 ans. Sans plus jamais ressentir de besoin entre nous.

Le temps. L’été. Les copains, le tourbillon de la vie. Autant de raisons pour cet éloignement inconscient. Sans que pour autant, nos trajectoires ne s'éloignent.

Nous sommes restés amis. Sachant tous les deux que nous emporterions cette histoire avec nous. Et que nous pourrions, si un jour le besoin s'en faisait sentir, rouvrir n'importe quand la boîte où elle était enfermée. Et revivre quelques heures, à nouveau, la sensation de nos vies l'une contre l'autre.

Mais nous ne l'avons jamais fait. Sans doute savions-nous, tous les deux, que notre histoire ne continuerait pas. Elle n’était pas de ces aventures qui se prolongent dans un quotidien.

* * *

Je t’ai vu sortir avec une amie commune. La première, depuis que nous avions commencé nos études. Drôle. Pétillante. Intelligente. Vous alliez très bien ensemble.

Je n’étais pas jaloux. Il n’y avait pas de place pour moi, et je n’en voulais pas.

J’ai eu d’autres histoires moi aussi. Simples et compliquées à la fois, vous commencez à me connaître maintenant. .. !

Mais un beau jour, alors que j’étais avec des copains en train de regarder un film, avachis dans la chambre de mon voisin, ta copine s’est installé à côté de moi.

Je le remarquai tout de suite.

Ce pull beige taché, trois fois trop grand pour elle. Qu’elle portait comme un talisman, pour montrer que vous ne faisiez plus qu’un.

Le pull avait conservé ses taches rouges, ici et là. Indélébiles, elles avaient résisté au temps.

-Dis, faut que je te demande un truc, me glissa-t-elle tout bas, alors que personne ne nous entendait.

- Ouais ? fis-je, pas très emballé.

- Tu sais que c’est mon premier mec…

Je savais qu’elle parlait de toi. Vous m’aviez tous les deux pris pour confident, sans que je sache bien pourquoi.

- Et ?

- Alors je suis toujours un peu jalouse, de celles avec qui il est sorti avant, tu vois…

- Et ? insistai-je sans bien savoir où elle voulait en venir, mon sang commençant à s’accélérer malgré moi.

- Alors ça, répondit-elle en me montrant les manches rouges coquelicot.

Je ne répondis rien, les images de ce jour-là revenant à la charge. De ce jour de Juin qui fut notre dernier.

- Quand je lui ai demandé si je pouvais le mettre, il a hésité. Il a regardé son pull avec un air bizarre. « C’est à cause des tâches ? » je lui ai demandé. Il a secoué la tête. Je l’ai pris et je l’ai mis. Mais il a fini par me dire : « Cette histoire de coquelicots est entre Pierrick et moi. Et elle y restera toujours». Il avait l'air... songeur?

J’ai mis longtemps avant de trouver les mots. De raconter une histoire de machine à laver défaillante, à laquelle elle ne crut pas. Mais nos amitiés étaient à double sens. Elle n’insista jamais, sentant qu’il y avait là un sujet enfoui. Qu’aucun de nous ne toucha jamais plus.

Et dans la pénombre de cette chambre, je fermai les yeux. Et laissai les souvenirs m’envahir. Celui de ce champ de coquelicots. Celui de cette paix immense que nous avions partagée, à ce moment de ma vie où j’en avais eu le plus besoin.

* * *