La pilule
J’ai seize ans. Patrick me fait la cour depuis des semaines. Je lui conseille souvent d’écouter Joe et d’aller siffler sur la colline. Il ne comprend pas et m’offre des fleurs, ou son dessert du déjeuner. Je le paie en sourires.
Cela fait trois mois que je n’ai plus mes règles. Je ne comprends pas pourquoi mais n’ose pas en parler à maman. Je ne rate plus les cours. Il était très gênant d’expliquer à mes professeurs les raisons pour lesquelles je m’absentais si régulièrement. L’infirmière, Mademoiselle Piquemou, m’a fourni des antalgiques. Nous nous connaissons bien maintenant. Violette me donne ma boîte de paracétamol chaque début de mois.
***
J’ai fini par accepter l’invitation de Patrick. Les uns et les autres est projeté au cinéma du village, ce soir. Bien sûr, il va tenter de m’embrasser. Il est bien élevé, mais il essaiera. J’ai mes règles, il fallait qu’elles reviennent aujourd’hui ! Maman m’a vue avec la boîte de serviettes ce matin. C’est pour ça qu’elle a accepté que je sorte. « On est en mai, c’est la fin de l’année, profite ma chérie, » qu’elle a souri. Elle sait que je serai plus concentrée sur ma douleur que sur mon compagnon.
Sitôt le film terminé, je demande à Patrick de me raccompagner. Malgré les deux comprimés avalés avant la séance, la douleur est si intense que j'ai du mal à marcher. Patrick ose poser sa main sur ma taille sous prétexte de me soutenir. Il est tellement prévenant. Un bon parti en plus, fils de notaire. Surtout, il plaît à maman ! Devant ma porte, il triture ses mains en regardant ses pieds. Il bafouille un « Bon, ben… heu… à lundi. »
Je le remercie d’un bisou piqué sur la joue, il rougit puis s’éloigne en sautillant. Ma mère m’attend dans le séjour, me tend une bouillotte et caresse mes cheveux. Je m’allonge, lovée autour de ma boule de chaleur pour faire fuir celle de douleur.
***
Deux ans maintenant que Patrick me courtise. J’ai cédé la semaine dernière. Mes douleurs intenses perdurent et la fréquence de mes règles est toujours très incertaine. Maman ne comprend toujours pas pourquoi j’ai si mal. Voyant ma relation avec Patou avancer, elle a pris rendez-vous avec le médecin qui vient de s’installer en ville pour évoquer ma vie de femme, comme elle appelle ça. J’en ai déjà parlé avec Violette, le docteur Toutypass, aussi jeune et moderne soit-il, ne m’apprendra rien de nouveau.
Elle m’a certifiée qu’il existait un médicament à prendre chaque jour qui permettrait, en plus de diminuer la douleur, d'empêcher de tomber enceinte. J’aimerais en parler au médecin mais maman est toujours là. Elle ne doit pas deviner pour Patrick ou elle exigera qu’il m’épouse dans l’heure. Je l’imagine déjà, maman. “Tu te rends compte ! Tu veux me faire mourir ? Moi qui ai épousé ton père alors que tu étais bientôt là ? Tu voudrais faire pareil, tu veux gâcher ta vie, ma fille ?”.
« Mademoiselle, nous allons passer derrière, je vais vous ausculter. Madame, vous voulez bien nous attendre ? »
Ce n’était pas vraiment une question. J’ai pu lui parler de Patrick. Il a expliqué à maman qu’il serait bien que je prenne ces comprimés tous les jours pour réduire mes troubles.
« Il y a quelques effets secondaires, mais rien comparé aux dysménorrhées. L’infertilité momentanée – par exemple – en est une, mais elle disparaît immédiatement après l’arrêt du traitement. »
Maman a toisé le docteur comme s’il descendait d’une autre planète.
« Encore heureux ! Vous voudriez que je la marie au fils du notaire alors qu’elle est infertile ? Il la répudierait et il aurait raison !
— Madame, les temps ont changé. On ne répudie plus sa femme en France, encore moins pour cette raison.
— Allons bon, vous faites partie de ces révolutionnaires qui prônent le droit à l’avortement ! Cette chose immonde qui va à l’encontre de du dessein de Dieu. Vous êtes médecin. Restez donc à votre place et laissez les Saintes Choses à qui de droit ! N’allez pas mettre des idées sales dans la tête de ma fille, je vous prie.
— Bien madame, pardonnez-moi. Je vous remets cependant la prescription pour les douleurs de votre fille. Au plaisir, madame. »
Il me lance un clin d’œil tandis que ma mère range le document dans son sac. Elle refuse la main qu’il lui tend et part la tête haute et le pas sec. J’ai envie de rire tout en étant gênée. Finalement, il est très bien ce docteur.
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