L'aveu
Je suis abattue. Il faut que j’en parle à quelqu’un, mais qui ? Je ne peux pas dire ça à maman, elle ne comprendrait pas. Elle s’en voudrait sans doute, se demanderait ce qu’elle a raté. Ou alors, elle prétendrait que c’est de ma faute, que je ne suis pas assez pieuse et que le Seigneur m’envoie une épreuve pour tester ma foi.
Patrick. Il va bien falloir que je lui annonce à mon Patou. J’ai peur. Est-ce qu’il m’aimera toujours ? La voix de maman dans ma tête m’assène “bien sûr que non, il ne t’aimera plus. Une femme inféconde n’est pas vraiment une femme !” Les larmes silencieuses dévalent mon visage et viennent s’écraser sur ma poitrine généreuse et pourtant si creuse. C’est ça, je suis creuse.
« Madame, vous avez tout juste vingt ans. C’est jeune et vous êtes robuste. Ce n’est pas le cas de vos ovaires. Ils sont fatigués, comme âgés de soixante ans. Ils sont fatigués et se reposent. Peut-être pour quelque temps, peut-être pour toujours. »
Moi qui ne voulais pas vraiment d’enfant, voilà qu’on me dit que j’ai le ventre vieux. Maman aurait raison, le Seigneur me punit d’avoir tant ri à ses mises en garde. Oh quelle honte ! Je suis une mauvaise mère avant d’avoir eu l’occasion de l’être. La nature le sait et m’a condamnée. C’est un flot de larmes continu qui trouble ma vue. Je ne peux plus avancer. Je vacille et m’arrête sur un banc.
« Valérie ? C’est bien toi ma puce ? »
Je relève les yeux vers cette voix, amicale et chaleureuse, si bienvenue. Il est dix-sept heures trente, sans m’en apercevoir, j’ai marché jusqu’à mon ancien lycée et Violette vient de finir sa journée à l’infirmerie.
Elle s’assied près de moi, m’entoure de ses bras. Je m’y effondre lamentablement et redouble de « C’est trop injuste ! » et de « Je suis mauvaise. » Lorsque l’épuisement me force au calme, je réalise que je suis allongée sur le banc en position fœtale, la tête sur les genoux de Violette qui me caresse les cheveux comme autrefois. Combien de temps s’est écoulé ? Je dois partir, Patrick va rentrer du travail et je n’ai rien préparé pour dîner. Je m’affole.
Violette note son numéro de téléphone sur son carnet, arrache la page et me le confie. « Appelle-moi demain ma douce, on en reparlera. Rentre maintenant. Un petit poulet et des patates à la crème, ça leur plaît toujours aux hommes et c’est vite fait. File. »
Violette, mieux qu’une amie, comme une mère, m’a apporté ce qu’il me fallait à cet instant précis. Elle était là. Elle me jugera elle aussi, quand elle saura tout et elle me condamnera, sans aucun doute.
Je suis rentrée à temps, Patrick est arrivé en retard. Il a raté la tablette de l’entrée sur laquelle il pose ses clefs, elles sont tombées dans la gamelle du chien avec fracas. Il a raté le portemanteau sur lequel il accroche sa veste et son chapeau. Ils ont atterri dans la litière du chat. Il a raté l’encadrement de la porte et s’est cogné violemment. Il a raté le poulet-patates que j'avais préparé, puis regardé refroidir. Il a raté le canapé sur lequel j’étais installée à l’attendre. Oui, mon Patou est rentré bourré.
Il n’a pourtant pas raté les sillons de honte que le maquillage a tracés sur mon visage. J’ai tout avoué.
Patou, mon tendre amour, si gentil et prévenant qu'il a attendu que je dorme pour faire sa valise.
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