L'après
Je dois quitter la maison. Elle est dans la famille de Patrick depuis cinq générations. Je n'ai compris qu’à l’énoncé du jugement ce que l’annulation pure et simple du mariage signifiait. Je n'ai droit à aucune compensation financière, aucune pension. Je perds tout, jusqu’au nom de Patrick. Plus rien ne nous unit sinon le souvenir de nos années lycée et d'un rêve enfoui sous mes illusions écroulées.
On m'a laissé quelques heures, trois exactement, pour rassembler mes affaires et sortir de sa vie. Je me retrouve donc traînant ma grosse valise dans les rues, sans le sou, le moral au plus bas. Que pouvais-je faire ? J'ai bien croisé deux ou trois ponts sur ma route mais c’est un peu cliché. Je n’ai pas pu me résoudre au suicide. Quant à dormir dessous, ils étaient occupés. J'ai été au plus simple, je suis retournée voir maman. Pas moins cliché, ceci-dit.
Elle m'accueillera les bras ouverts.
C'est ce que j'espère sur le chemin. En arrivant devant la maison, je vois une civière passer et la voisine en larmes. Je lâche ma valise et cours vers elle.
« Qu'est-ce qui se passe ? Où est maman ?
— Votre mère... Je l’ai trouvée, elle... elle est partie. »
Comme j'aurais aimé la serrer dans mes bras une dernière fois, lui demander pardon, lui dire que je serai heureuse. Je n'ai pas besoin d'un homme pour être heureuse. Maman, je serai forte, je te le promets. Sur sa tombe, je réalise que je ne suis plus une enfant pour personne.
Fille unique, j'hérite de la maison que je mets en vente immédiatement. Trop de souvenirs la hantent : les colères de mon père, son absence ; l’éducation de maman, son absence. Je découvre également une somme confortable qu’elle gardait cachée à la banque.
Trop pressée de vendre la maison, je n'ai pas songé à l'endroit où je pourrais vivre ensuite. Violette propose naturellement de m'héberger pour quelques nuits.
Grâce à elle, je reprends ma vie en main. Patrick ne voulait pas que je travaille. La place d'une femme de notaire est à la maison pour garder les enfants. Violette m'aide à préparer mon concours d'entrée à la faculté de médecine. Les quelques nuits deviennent des années.
Très vite, Violette devint plus qu'une amie.
Je devais être installée chez elle depuis deux ou trois mois. Nous étions aux environs de mars, il me semble. Elle sortait de la douche et ne portait qu'un chandail blanc aux mailles larges. Elle me sourit en séchant sa longue chevelure. J'adore lorsqu'elle la laisse aller, libre de ce chignon réglementaire imposé par l'école. J'étais hypnotisée par sa grâce. Elle souleva les bras et le triangle du chandail découvrit sa toison brune. Je me sentis rougir.
« Si tu veux faire médecine, il va falloir te libérer de cette pudeur, tu sais.
— Oui... Oui. Mais, ce n'est pas pareil. Tu...
— Je ?
— Tu es mon amie et puis, tu... tu es jolie. »
Violette s'était approchée, souriant plus largement encore et dans un rire :
« Tu crois que tous tes patients seront vieux et moches ?
— J'avoue que je ne m'étais pas posé la question. »
Cette nuit-là fut peuplée de rêves étranges et dérangeants. Contre nature. J'embrassais des femmes et Violette applaudissait. Je découpais des hommes et Violette me montrait comment faire. Je touchais des femmes et Violette me guidait. Les scènes s'enchaînaient, de plus en plus précises, de plus en plus charnelles. J'en ai parlé à Violette, en partie.
« Tu es sans doute en train d’évacuer ton passé par les rêves. Tu règles tes comptes. Je ne serais pas surprise d’y voir apparaître une représentation maternelle.
— Oui, mais, ces femmes...
— Valérie, tu as dû sentir que j'aimais les femmes, sans doute.
— Tu aimes la Terre entière. Pourquoi n'aimerais-tu pas les femmes ?
— Non Valérie, j'aime particulièrement les femmes. »
Elle avait appuyé ce mot et peu à peu la vérité se révélait. Mon éducation – ou ma naïveté – m'avait empêchée de voir plus tôt ce qui était pourtant évident. Violette aimait les femmes. Elle ne m'avait jamais parlé d'aucun homme dans sa vie. Elle a déposé un baiser sur mon front puis est allée se coucher.
Les mois de cohabitation se sont enchaînés à une vitesse ahurissante. Nous avons fêté de façon particulière mon passage en première année. Ce soir-là, je basculais dans un nouveau monde à travers la chambre de Violette.
Sa douceur est infinie, sa tendresse envoûtante. Je trouve ses courbes parfaites malgré nos seize ans d'écart. Ses petits seins ronds pointent vers moi fièrement lorsqu'elle promène ses mains sur mon corps. Ses baisers sont des caresses. Son regard gourmand me surprend chaque fois, moi qui me trouve trop ronde pour être aimable, trop grosse pour être honorable. J’oublie tout sous ses doigts experts, même les ardeurs de Patrick qui m’ont tant manqué.
« Ma chérie, j'aime tes rondeurs, elles adoucissent les angles de mes nuits. » Voilà ce que me répond inlassablement ma fleur sauvage quand je lui demande si je n'ai pas grossi.
Depuis quatre ans, je m'étonne de grandir sous son toit. Je m'élève, j'apprends. Elle soigne ma peur de la vie, ma peur de vivre. Malgré la lumière qu’elle apporte, une ombre plane toujours, inatteignable, infatigable. Mon ventre restera vide.
« Violette, n'es-tu pas triste à l'idée de ne jamais avoir d'enfant ?
— Je le pourrais, mais ce n'est pas le cas. J'ai choisi de ne pas en avoir.
— Ne m’en veux pas, mais... je rêve tant d'une famille.
— Nous sommes une famille, toi et moi.
— Je veux plus.
— Nous nous aimons. Une famille sans « m » n'est qu'une faille. Je t'aime. Tu es ma famille.
— Je t'aime aussi. »
Elle m'a prise dans ses bras, puis s'est endormie. J'ai pleuré ce soir-là, beaucoup. Puis j'ai enterré mon rêve, pour elle.
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