La douleur s’est peu à peu estompée jusqu’à totalement disparaître. J’ai dû prendre peur pour pas grand-chose et annule mon rendez-vous avec le docteur Toutypass. Pas la peine d’endurer une consultation avec un pervers pour de simples crampes abdominales. C’était sans doute une gastro discrète ou un truc du genre. Quelques comprimés de caféine soluble, des vitamines et c’est reparti !

Je dois frôler le burn out mais Merwann adoucit mon quotidien. Chaque soirée passée avec lui me fait oublier tout le reste. Je n’aurais jamais cru cela possible.

J’ai ralenti mon rythme de vie pour passer davantage de temps avec lui, pourtant, je me sens toujours épuisée, je m’essouffle pour un rien. Face à son insistance, je me décide enfin à consulter. Mon généraliste n’est pas plus inquiet que ça. Il me prescrit une prise de sang pour déceler d’éventuelles carences. Ma tension est un peu basse mais rien d’anormal. Je repars rassurée avec une prescription pour de nouvelles vitamines et du repos.

Au retour d’un nouveau séjour à Tinjian, nous décidons qu’il faut que je reprenne la pilule ; les capotes, ça va un temps, mais ça devient franchement lourd à gérer.

« Le docteur Lapaluch n’est pas disponible ? Mais, elle ne l’était déjà pas il y a trois mois ! C’est quand même pas parce que j’ai raté un rendez-vous ?

« Non, on ne se connait pas personnellement.

« Oui, je comprends. Bien, OK pour le docteur Toutypass. »

Le vieux Toutypass, un frisson glacial descend le long de ma colonne et finit sa course contre mon échine.

***

« Bonjour mademoiselle Geffroy. Vous êtes très… en beauté.

— Docteur.

— Qu’est-ce qui me vaut le plaisir de votre visite ?

— J’ai raté un rendez-vous avec le docteur Lapaluch il y a quelques mois et je voudrais reprendre la pilule.

— Oh, je comprends, je suis plus à votre goût, ajoute-t-il avec un demi-sourire.

— Pas vraiment. »

Il fait mine de ne rien entendre et poursuit.

« Veuillez vous dévêtir, nous allons passer aux choses sérieuses. Montez sur la balance avant le siège. »

J’étouffe un cri de surprise. J’ai pris six kilos, six ! Dès demain, je retourne à la salle !

« À combien remontent vos dernières règles, Sandra ?

— Une quinzaine de jours, je crois.

— Êtes-vous sûre qu’il s’agissait de règles et non des suites d’une… pratique exotique.

— Docteur, j’ai trente-cinq ans, je sais ce que sont des règles.

— Savez-vous comment on fait des bébés ?

— Vous êtes sérieux ?

— Vous êtes enceinte.

— Ah non, c’est impossible, on me l’a déjà faite celle-là et je vous garantis que c’est impossible. Impossible ! C’est… impossible, n’est-ce pas ? Docteur ?

— Arrêtez de gigoter et regardez l’écran. »

Je regarde, sans le voir. Je suis enceinte ? Encore ! C’est impossible, nous avons vraiment fait attention, je n’ai souvenir d’aucune capote qui craque ou oubliée ou mal mise !

Mes yeux distinguent maintenant l’écran noir et blanc. Il n’y a rien, juste des points, comme lorsque l’antenne télé n’est pas branchée. Le toubib a retiré sa sonde et m’étale sa crème glacée sur le ventre. Il passe en mode externe !

« Qu’est-ce que vous faites ?

— Sandra, d’après ce que j’ai vu, non seulement vous êtes enceinte, mais vous en êtes au sixième mois.

— Non ! Impossible, je le saurais !

— Dans ce cas, je vous présente le petit Jésus. »

Sur l’écran, en polychrome, se dessine le visage d’un poupon. On le croirait vrai. Un baigneur en orange et noir.

« Six mois ? Mais on a du ventre à six mois ! Les seins qui gonflent. J’ai toujours eu mes règles ! Impossible, ce n’est pas moi !

— C’est votre ventre. Pour le père, je ne peux rien dire, mais c’est votre enfant.

— J’ai avorté !

— Qu’est-ce que vous dites ? Il n’y a rien dans votre dossier. Il est indiqué que vous avez fait une échographie de datation de grossesse le 26 février, plus rien depuis. C’est de l’inconscience.

— J’ai avorté ! J’ai pris deux comprimés avec le docteur Lapaluch. J’ai même signé un papier pour ça !

— Je n’en ai aucune trace. Sandra, vous allez bien ?

— Je vous dis que j’ai avorté il y a cinq mois de ça.

— Très bien, très bien. Nous allons faire des analyses de sang pour vérifier que tout va bien.

— Je ne me drogue pas docteur !

— Je n’ai rien dit de tel, c’est un examen courant au sixième mois. Nous devrons aussi faire une analyse d’urine, puis une amiosynthèse.

— Je ne veux pas de cet enfant !

— Ma chère, au stade où vous en êtes, vous n’avez pas vraiment d’autre choix. L’adoption, éventuellement. Mais vous devrez de toute façon mener cette grossesse à terme.

— Non !

— Sandra, vous êtes bouleversée. Mais votre dossier montre bien que vous étiez informée depuis des mois. Voulez-vous un rendez-vous avec mon confrère du service du deuxième ?

— Je n’ai pas besoin d’un psy ! Ça va très bien. Je suis enceinte, tout va bien ! Formidable ! »

Je m’écroule sur les marches de l’escalier en sortant du cabinet, dévastée. Qu’est-ce que je vais devenir ?

Moi, enceinte ? Mon visage est trempé, sueur ou larmes, je ne saurais dire.

Dans mon ventre, ce n’est plus "une larve" mais un vrai bébé, qui gigote avec deux petits bras et deux petites jambes. Il bougeait tellement que le médecin a eu du mal à prendre les mesures. Comment est-ce possible ?

Je ne veux pas de ce truc en moi ! Je suis habitée. Je me tiens aux murs pour ne pas tomber. Comment ai-je pu ne pas m'en rendre compte ? Je pensais être maîtresse de mon corps. Alors… C’est lui qui me contrôle ? Non ! Qu’est-ce que je vais dire à Merwann ?

Il faut que je sorte de ce bâtiment. Demain. Demain, je saurai quoi faire, je vais trouver. C’est impossible. Demain, j’aurai une solution. Je suis juste sous le choc, ça va bien se passer. Il y a forcément quelque chose à faire dans ces cas-là.