1 - Marisa et le démon joueur
La bibliothèque du village regorgeait de ressources fascinantes et délaissées. La haute porte en fer, grande ouverte, donnait sur une salle gigantesque au plafond arc-bouté. Ce dernier était maintenu par deux rangées de colonnes cylindriques accompagnées des quatre murs colossaux et inébranlables. Des fenêtres vitrées laissaient pénétrer quelques piteux rayons de soleil qui s'échouaient, sans même éclairer les alentours, sur le sol, emportant avec eux la forme et l'ombre des barreaux. Lorsqu'elles avaient le malheur de rencontrer ces halos de lumière, les saletés volatiles devenaient visibles. Les grimoires et les parchemins, qui pour certains étaient restés à leur place pendant des siècles, se couvraient jour après jour un peu plus de toute cette poussière.
La tenante des lieux, une vieille paysane reconvertie en bibliothécaire, n'avait pas beaucoup de compagnie. La petite dame ouvrait le bâtiment peu après l'aube et fermait les portes à l'heure où le soleil passait derrière le clocher. Pour se détendre, elle regardait le plafond et se plongeait dans ses nombreuses rêveries. Elle savait lire, aussi le représentant du village lui avait-il confié les lieux lorsque l'ancien apothicaire avait déserté. La vieille femme en avait assez d'entendre parler des jeunes du village. Ces derniers jacassaient et flânaient aux alentours des bois d'Aubejade et de son ancienne ferme à longueur de journée. Lorsqu'elle travaillait encore aux champs, les voir ainsi déambuler l'énervait, alors que son mari tentait de la rassurer en lui disant que lui aussi, il était comme ça à leur âge. Il allait sans dire que la pauvre veuve ne supportait pas le bruit. La bibliothèque était devenue son sanctuaire et la seule échappatoire à toutes ces escouades depuis la mort de son époux. Elle ne lisait pas beaucoup, elle écoutait le silence et surveillait que les rares visiteurs ne volent rien.
Depuis trois ans déjà, la même routine se répétait pour la vieille dame. Mais ce qu'elle ignorait était que, depuis quelques mois, quelqu'un cohabitait avec elle dans ces lieux moisis. Une flamme dans l'obscurité s'allumait parmi les imposantes étagères. Des pages âcres se tournaient, dévorées par les yeux avides d'une âme solitaire. Un jour de beau temps, alors qu'elle talonnait le carrelage vers le fond de la salle en méditant, elle l'entrevit, assis en tailleur et à demi-éclairé par une lueur orangée. Son cœur bondit dans sa poitrine et elle fit un pas en arrière. Elle tenta de se rassurer et pensa que ce n'était qu'une chimère. Lorsqu'elle passa la tête pour le revoir, il avait disparu. Seul le gros livre qu'il devait être en train de lire, une bougie et un parchemin étaient restés à terre. Il n'y avait plus de doute possible : quelqu'un était bien assis devant elle il n'y a même pas trente secondes.
Bouche bée, la femme aux cheveux blancs avança lentement, se demandant comment il avait pu s'envoler de la sorte. Un être surnaturel ? Elle s'accroupit avec difficulté, ramassa la feuille qui traînait sur le sol et approcha la flamme de la bougie abandonnée pour tenter de lire ce qui était écrit. Un étrange dessin à la fois voluté et cornu figurait sur le papier. Curieusement, l'encre coulait, comme si elle venait d'être déposée sur la page jaunâtre, tandis qu'elle se trouvait sauvagement froissée par son auteur. La vieille femme n'arrivait pas à déchiffrer le sens du symbole, elle qui était pourtant lettrée. Elle emporta les objets afin de tenter d'en comprendre quelque chose, puis retourna s'asseoir. Une seule envie la démangeait : celle d'attraper le démon qui s'était ainsi joué d'elle et de lui faire avouer ce que ce grimoire représentait.
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