8 - Seul espoir
Lucien prit un peu de recul sur la situation. Il y avait une femme, inconnue, dans sa chambre, sans endroit où se rendre. Difficile de la mettre dehors dans ces conditions. Il s'agissait d'une âme humaine dans un corps fragile.
-Comment as-tu fait pour rentrer ? demanda tout bas le jeune homme.
-Je suis montée par les escaliers. Je me demandais si tu serais en haut. Puis, je me suis assoupie, dit-elle
-Pourquoi tu me cherchais ?
-Comme ça… elle baissa les yeux. Parce que je voulais revoir celui qui m'a tendu si gentiment la main.
À ces mots, Lucien se sentit coupable. Coupable de douter, de remettre en question la sincérité de cette femme. Elle avait placé ses espoirs en lui, mais lui, il ne lui faisait même pas confiance.
-Je t'ai attendu pendant longtemps, je dirais bien toute la soirée. J’ai fini par me dire que je m’étais trompée d’endroit, puis, mes yeux se sont fermés et je me suis endormie. J'ai pensé que c'était ta chambre, parce que j'ai trouvé cette plume et ce pot d'encre, là-bas sur la table. Tu en avais une sur toi quand on s'est rencontré.
Le garçon avait oublié de ranger ses affaires. Il s'empressa de les enfermer dans un coffret attaché en dessous de son pupitre. La femme l'avait observé faire, étonnée de sa réaction furtive. Mais le jeune érudit avait ses raisons de cacher son matériel d'écriture. Ses parents, tout comme son frère, ignoraient qu'il était lettré. Ils pensaient qu’il partait jouer avec Charles et Émilien, tous les après-midis, comme il le faisait autrefois. S'ils apprenaient la vérité, qui sait quelles scènes lui ferait son père. Savoir lire et écrire était réservé aux personnes de haute courtoisie. La haine de Georges envers les nobles, les pilleurs comme il les appelait, n'avait aucune limite. Sa rancœur avait beaucoup déteint sur sa femme et Maury. S’il trouvait une plume d'oie dans la chambre de son fils, Lucien se retrouverait sans doute à la porte, sans argent ni alliés. Un peu comme cette fille devant lui, pensa-t-il avant de revenir à la réalité. Elle lui cachait surement un vil secret. Ce n'était pas normal d'atterrir chez un étranger sans raison.
-Qu'attends-tu de moi ? Es-tu en danger ? Cherches-tu à fuir quelqu'un ? Un homme ?
Toujours couchée, la belle femme brune amena sa main à son front. Le haut de son visage se plissa, comme si cette question avait provoqué un traumatisme en elle.
-Je ne sais pas, finit-elle par lâcher dans un soupir de désespoir.
Ses joues avaient rougi et son visage était devenu plus blanc qu'avant. Le garçon s'assit à côté d'elle dans le but de la réconforter. Il glissa ses doigts entre les siens et pressa sa main chaleureusement dans la sienne. Étonné lui-même de son geste, il la lâcha et coupa ce silence :
-Tu dois avoir faim.
Il alla chercher, dans la réserve en bas des escalier, le bout de pain qui lui était réservé pour le matin. Cela faisait deux fois qu'il ne mangerait rien et qu'il devrait se justifier d'avoir pris le pain la nuit, mais il n'en avait cure.
-Voilà pour toi, dit-il en lui tendant l'encas.
Elle le saisit et prit une bouchée. Elle ne l'avait pas remercié. Elle mangeait telle une bête sauvage affamée.
-J'aimerais récupérer mon lit, si ça ne t'ennuie pas, dit l'adolescent.
-Où veux-tu que je dorme ? Il fait froid, dehors, je n'ai pas réussi à dormir la nuit dernière…
-Tu seras très bien dans la grange, avec le bétail.
Elle prit un air incertain. La solitude se lisait dans son regard nocturne. En cet instant précis, Lucien comprit que ce dont elle avait besoin, c'était de chaleur humaine.
Confirmant ses hypothèses, elle répondit :
-Et pourquoi pas ici ? Je me ferai toute petite…
Lucien se mordit les lèvres. Il n'était pas question de cacher une inconnue dans sa chambre.âgée Cependant, son cœur répondit, sans qu'il ne puisse se contrôler :
-Ça ira pour cette nuit. Je vais prendre un peu de paille dans la grange et t'installer derrière mon lit. Quand tu partiras, demain matin, fais en sorte de rester discrète quand tu poseras les pieds sur les planches, elles grincent beaucoup. Enfin, si jamais on te trouve dans la maison, tu ne me connais pas. Pars loin d'ici et ne reviens pas. Je ne veux pas plus d'ennuis.
-Je ferai attention, promit-elle en souriant, le cœur rassuré.
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