17 - Le discours de l'Évêque
-Hum, hum. Mes chers fidèles, habitants d'Auberrhilde. Que vous soyez pauvre, riche, artisan, paysan ou voyageur. Je vous remercie d'avoir répondu présent à mon appel. Si parmi vous, il y a des absents, veuillez, je vous prie, m'en faire part sur-le-champ.
Maury s'agita. Il leva la main, mais sa mère pointa du doigt Lucien afin qu'il cesse de s'inquiéter.
-Mais pourquoi on ne leur dit pas que Lucien est parti ?
-Tais-toi, Maury. On t'a dit qu'il était là-bas. Il est adulte, il a décidé de partir de la maison de son plein gré, ajouta son père.
Le locuteur se racla la gorge.
-Hum, hum. Eh bien, personne ? Alors, soit. De toute façon, nous effectuerons une vérification de vos identités avant la fin. Hum, hum. Si je vous ai réunis aujourd'hui, c'est pour vous annoncer que cette pauvre femme derrière moi a été témoin de sorcellerie au sein du village.
À ces mots, une vieille dame ridée sortit de la bâtisse, accompagnée du jeune prêtre blond que Lucien avait vu entrer dans la bibliothèque. Des marmonnements se firent entendre :
-C'est la vieille rustre !
-Oui, c'est elle, Marisa !
Tandis que les jumelles chantèrent en chœur :
-Il est vraiment gentil, notre grand frère.
-Il a vraiment du cran, notre Flavio.
Lucien voulut disparaître. Le moment fatidique auquel il s’attendait depuis ce jour était arrivé. Il aurait aimé s'enfuir avant qu'il ait lieu. Marisa allait le reconnaître, c'était certain. Désormais, il n'y avait plus aucune issue. S'il partait discrètement, son absence serait notifiée. Il abaissa sa capuche de façon à devenir méconnaissable, mais ce faisant, il paraissait encore plus suspect.
L'Évêque invita la pauvre femme toute déboussolée à prendre la parole. Alors, elle prononça, de sa voix aigue et perçante :
-Il venait à la bibliothèque en entrant par la porte de derrière que je croyais fermée. Je l'ai juste aperçu pendant un court instant, mais il me sembla qu’il n'était pas bien âgé. Il était assis en tailleur, il écrivait je ne sais quoi sur des feuilles. Puis, d'un coup, il a disparu. J'ignore toujours comment il a réussi à me voler la clé, mais je suis effrayée rien que d’y penser. Oh, non, non, non, vous n'avez pas envie de croiser un fripon comme lui dans votre vie, croyez-moi !
L'Évêque la remercia.
-Hum, hum. Comme vous venez de l’entendre, chers fidèles, un hérétique s'est infiltré parmi nous. Il peut se trouver chez vous, dans vos demeures. Il se peut que ce soit l'un de vos proches. Je vous donne sept jours à compter d'aujourd'hui pour le dénoncer, si vous êtes témoins de tels agissements. Sinon, nous nous verrons dans l'obligation de le trouver nous-mêmes et d'infliger le châtiment de la loi à tous ses complices ne l'ayant pas dénoncé dans les sept prochains jours.
Flavio jeta un œil en direction de Lucien. Les sangs de l’encapuchonné se glacèrent. Impossible… Le clergé connaissait-il déjà le coupable ? Mais alors, à quoi rimait toute cette scène ? Voulaient-ils savoir qui parmi les gens le dénonceraient ?
-T'as vu, il nous a regardé ! dit Annie.
-Oui, on a trop de la chance de l'avoir comme grand frère !
Lucien se rassura d'entendre les jumelles batifoler. Rien ne prouvait que c'était bien lui qu'il regardait, mais son sourire en coin lui avait fait dresser les poils. Il avait deviné que l’homme blond était leur frère aîné, mais c'était bien la première fois qu'il se montrait en public en habit de prêtre. Cela lui donnait une apparence autoritaire, mais ses sœurs ne le voyaient pas sous cet œil.
-Foyer par foyer, vous vous présenterez devant Messeigneurs Victor et Flavio que voici ainsi que notre témoin, Marisa, reprit l'Évêque. Nous allons commencer. Hum, hum…
Tour à tour, il appela les noms des locataires des terres de l'aile. La famille de Charles, puis d'Émilien, se présentèrent devant les yeux observateurs de la vieille dame et les deux prêtres, qui notaient et vérifiaient leur identité à l'aide de dossiers par foyer. Chacun leur tour, les deux adolescents lancèrent un regard noir à Lucien, qu'ils avaient dû repérer plus tôt. Le rescapé s'étant exclus de la société pendant tout ce temps, ils ne l'avaient plus recroisé depuis leur dernière discussion sur la route du patelin. Lorsque le meunier, Eugène, fut appelé, il se rendit au pied de l'Église accompagné d'Astrélia. Elle s'excusa de ne point avoir fait de papier identitaire en arrivant au village et leur expliqua qu'elle voyageait de ville en ville. Ils l'inscrivirent dans leurs registres. Puis, vint le tour d'Annie et Cathie de se présenter devant leur frère. Il leur sourit et leur murmura de façon à ce que Monseigneur Victor et Dame Marisa n'entendent rien :
-Je sais qui il est. Va falloir qu'on discute, tous les trois.
Les deux jumelles s'échangèrent un regard inquiet puis retournèrent auprès de Lucien. Annie prit la main du garçon, moite. Ses doigts tremblaient ainsi que tour son corps. Elle lui pressa amoureusement la paume dans sa petite main douce comme de la soie afin de lui donner un peu de courage.
Lorsque la famille de Lucien fut appelée, l’adolescent se figea. Il ne pouvait pas se montrer à ses parents et à la bibliothécaire ! Mais s'il n'y allait pas, tous les soupçons se tourneraient vers lui, et la vérité éclaterait. Il y avait une autre solution : la fuite à laquelle il s'était tant préparé.
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