La divergence - 3
J’ai besoin d’un peu plus de temps, alors immerge-toi dans celui-là.
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Éveil. Tu ouvres les yeux dans les premières lueurs de l’aube. Tu distingues de l’éteule, tu prends pied dans la réalité. Tu es seul, comme chaque matin depuis ton emménagement dans la chaumière. La vue du désordre qui règne sur la couche fait naître l’esquisse d’un sourire aux coins de tes yeux. Alors, tu réalises que tu es aussi tendu que si elle était offerte devant toi. Tu te lèves, sors nu de la maisonnette et parcours les quelques toises qui mènent au lac, dans lequel tu pénètres jusqu’à la taille. La fraîcheur fait son œuvre, elle provoque l’érection des poils de ta peau, lui donnant l’aspect « chair de poule », et fait disparaître la tienne. Baigné, tu retournes à la chaumine.
Tu t’essuies, enfiles un pajāmā ⁽¹⁾, un kurta ⁽²⁾, des bottes. Tu te rends au puits, tires un seau d’eau, remplis le gobelet que tu avais pris soin d’apporter, en bois le contenu. Tu te diriges vers la table extérieure et y poses ton godet. Tu t’assieds sur le banc, dos contre la table, faisant face à l’est, avec le lac devant toi. Ta main passe dans tes cheveux mouillés, rencontre la larme d’ange qui pend de ton oreille gauche au bout des quatre maillons d’une chaînette en or. Tes doigts se referment sur les soixante-douze facettes du diamant rose.
L’image de Vasikari s’impose à toi.
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Pour ton quinzième anniversaire, la Mahārājñī Dalaja avait invité des devadāsiyāṃ ⁽³⁾ de Thanjavur en pays tamoul. Parmi elles, la jeune Vasikari, âgée de dix-sept ans, avait la charge de t’initier aux plaisirs du congrès. Après avoir satisfait au raṅgabhoga par les danses rituelles et les chants, elle délaissa le sari pour le lelengha, sous le regard désapprobateur de ses aînées. Mais, aucune n’osa lui reprocher de revêtir la tenue traditionnelle rājasthānīe, composée d’une ample jupe reposant sur les hanches et d’un choli couvrant la poitrine et les épaules.
Espiègle, elle t’aguicha toute la soirée. Tu étais obnubilé par la peau si foncée de son ventre nu. Lorsque vint l’heure de l’aṅgabhoga, elle prit ta main puis te mena dans sa chambre où, ne cessant de plaisanter, de te taquiner. Elle te déshabilla, te poussa sur le lit sur lequel des coussins avaient été disposés afin que ton torse et ta tête soient légèrement surélevés. Toujours en babillant, elle ôta son choli, fit glisser sa jupe. Ton désir manifeste grandit encore à la vue des bhagoṣṭha si sombres, formant la porte de son joyau. Elle monta sur la couche, s’agenouilla à califourchon sur tes cuisses. Tandis que ton cœur battait la chamade, elle se saisit de ton liṅgaṃ, elle avança, amenant son yōnī à son contact. T’ayant invité à admirer son intimité, à l’aide de ton liṅgaṃ, elle écarta ses bhagoṣṭha. Ébloui devant le khalāḍī rose vif duquel dépassait légèrement le gland humide gorgé de sang de son bhagaśepha, brillant tel un diamant exposé sur un velours noir. Emporté par une vague brûlante de plaisir, tu te répandis aussitôt sur l’objet de ta convoitise. Provoquant l’éclat de rire joyeux de Vasikari qui te fit lever les yeux vers les siens qui pétillaient de gaieté. Elle déposa un baiser sur tes lèvres puis entreprit de faire renaître ton désir.
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À cette évocation, le sang regagne les cavités que le froid lui avait fait abandonner. Avec un soupir, tu te remémores la conversation que tu as eue avec ta mère le lendemain.
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La Mahārājñī souriait, indulgente, en t’écoutant décrire avec gourmandise, sans la moindre pudeur, tes découvertes de la nuit. Son jaghanarom nu et lisse comme celui d’un bébé, « Elle s’est préparée pour toi, s’est débarrassée de sa toison avec de la cire d’abeille, puis elle a oint son jaghanarom et ses bhagoṣṭha avec des onguents et des huiles parfumées – toujours différents – six fois par jour pendant les quatre jours précédant son arrivée », affirma-t-elle. Tu vantas la fermeté de sa jeune poitrine, le goût de ses lèvres, la douceur de ses mains, et autres émerveillements. Elle fronça les sourcils lorsque tu l’informas de ton souhait d’offrir à Vasikari une paire de boucles d’oreilles en diamants rendant hommage à son fabuleux bhagaśepha.
« Chandra, mon enfant, n’est-ce pas exagéré comme cadeau ?
— Māṁ, jamais un bijou ne pourra égaler le joyau que cache son yōnī.
— Priyā, toutes les femmes ont un tel joyau.
— Oh ! Māṁ, pas comme le sien, pas d’un rose si vif. Même si hier, j’étais encore un enfant, j’en avais déjà vu.
— Raman, c’est dû à sa carnation. Toutes les femmes tamoules ont les bhagoṣṭha sombres, presque noires, et le rose de leur bhagaśepha, du khalāḍī qui le protège, et de leurs laghu bhagoṣṭha est plus rouge que chez les Rājasthānīs.
— Ah ! Māṁ, aucun ne peut être aussi resplendissant, il est si… si désirable, lorsque je le vis apparaître, j’en eus l’eau à la bouche, c’était un fruit offert qui semblait si savoureux.
— Heureux Chandra, cette Vasikari mérite vraiment son nom !
— Oui, Māṁ, mais ce sont mes sens qu’elle a enchantés. Māṁ, c’est une devadāsī , le présent doit être digne d’elle. »
Ta mère, qui ne te refusait jamais rien, convoqua le lapidaire du palais, qui s’en vint avec ses plus belles pierres. Après qu’il se fut entretenu avec la Mahārājñī, il t’expliqua que les diamants roses sont extrêmement rares, qu’il n’avait actuellement que trois bruts dans les tons roses. Un rose moyen, un rose foncé et un rose vif, aucun n’était suffisamment gros pour en obtenir deux briolettes longues de plus d’un grain d’orge et demi. Apparier deux de ces nuances n’étant pas satisfaisant, ton choix se porta sur la pierre rose vif. De forme oblongue, d’environ sept carats, le lapidaire te recommanda un unique joyau, plutôt que deux pièces de moins d’un carat et d’une longueur inférieure à un grain d’orge. Tu as suivi son conseil, préférant une gemme de six carats taillée en briolette longue de trois grains d’orge.
Pour ton plus grand plaisir – à dire vrai, tes plus grands plaisirs –, à la demande de la Mahārājñī, Vasikari prolongea son séjour d’une semaine, ainsi que l’une de ses aînées.
Dès ton entrée en possession du pendentif, n’ayant que brièvement félicité le lapidaire pour son travail, tu te précipitas dans la chambre de Vasikari dont ta mère sortait. Ton présent la ravit. Exubérante à son habitude, elle fit de petits bonds, tapa des mains, te couvrit de baisers, te poussa sur son lit, te remercia encore et encore jusqu’à épuisement. Lorsque, au petit matin, elle perça ton oreille gauche, la piqûre provoqua une phase de pré-réveil t’amenant au bord de la conscience. Elle te susurra d’une voix douce, calme et monotone :
« Dors, Chandra, dors.
Dors, Chandra, dors.
… »
En attachant le bijou à ton lobe à l’aide d’un cordon de soie, elle répéta telle une litanie :
« Dors, doux Chandra, dors.
Dors, enthousiaste Chandra, dors.
… »
Tant qu’elle n’eut pas terminé sa tâche.
Puis, caressant ton liṅgaṃ, elle ajouta :
« Tu as voulu pour moi ce bijou semblable à mon bhagaśepha.
Chandra, doux Chandra, que ferais-je de deux Peṇkuṟimūlam ⁽⁴⁾ .
Chandra, enthousiaste Chandra, garde celui-ci.
Cette nuit, l’imbibant de mon plaisir, je l’ai lié au mien.
À présent, ils vibrent à l’unisson, ils ne forment qu’un.
Je ressentirai tout ce qui sera fait à ce qui est maintenant mon bhagaśepha.
Alors, touche-le, presse-le, caresse-le, baise-le, lèche-le, suce-le. »
Elle retrouva son intonation espiègle pour ajouter :
« Répands-toi sur lui comme tu le fis la première fois que tu le vis. »
Ton éjaculation provoqua son rire cristallin, un nouveau cycle de sommeil et la mémorisation de sa supplique :
« Mais ne le confie à personne, garde-le toujours sur toi. Ne le maltraite jamais, n’en abuse pas, j’en dépérirais. »
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La contention qu’exerce ton pajāmā sur ton liṅgaṃ, dont l’érection se prolonge, te réintègre dans le présent.
Réalisant que ton pouce caresse le gland du bhagaśepha de Vasikari, tu te lèves. Tandis que ta main abandonne la briolette, tu fais un pas en avant, ôtes tes bottes et t’assieds sur le sol. Tu adoptes Svastikāsana, respires profondément, évacues toute tension. Dès que tu es apte à Padmāsana ⁽⁵⁾, tu te relèves et reprends ta position sur le banc. La tumescence a disparu, mais les mots résonnent encore à tes oreilles. Tu as toujours respecté la supplique.
∞∞
Pendant le mois qui suivit le départ de Vasikari, la Mahārājñī exigea ta présence auprès d’elle de neuf à vingt heures, ne te laissant jouer avec le pendentif qu’une ou deux fois durant la journée, fronçant les sourcils dès que tes doigts le caressaient. Kāmadeva ⁽⁶⁾ seul sait quel pacte ta mère avait conclu avec la devadāsī . Quand ta liberté te fut rendue, tu n’usais guère plus du bijou que de ton liṅgaṃ.
∞∞
Tu souris en repensant à l’incompréhension de l’orfèvre — qui réalisa à ta demande la chaînette, munie d’un mousqueton et de l’anneau auquel elle serait accrochée ; destinée à remplacer le cordon de soie, élimé — lorsque tu as refusé de lui confier la gemme plus longtemps que nécessaire pour fermer, en ta présence, le maillon qui traverse la pointe de la briolette.
Tu te concentres sur ta respiration, pour t’ancrer dans le présent. Pourquoi se perdre dans des souvenirs alors que tu attends la plus belle femme… la plus belle créature du monde… peut-être aussi la plus dangereuse ! Depuis que tu as pris l’habitude de l’attendre, elle apparaît à l’aurore. Tu admires, dans la lumière si particulière de l’aube, la beauté de ce début d’automne. Les feuillus qui se reflètent sur la rive opposée, selon leurs essences, sont déjà teintés de jaune, de rouge, de brun ou encore vert. Tu es en contemplation depuis une demi-heure quand l’horizon rougeoie. Mélusine ne saurait tarder. Une à deux minutes après, elle émerge, provoquant des ondes concentriques qui s’élargissent autour d’elle. Elle avance, resplendissante. Embrasées par le soleil levant, ses écailles scintillent avant de disparaître, remplacées par une peau hérissée de papilles et parsemée de gouttelettes, après une dizaine de secondes hors de l’eau. Elle approche tranquillement, sur la pente douce menant au rivage, afin que tu puisses jouir du spectacle de sa transformation graduelle. Ses épaules, sa poitrine aux mamelons érigés, son ventre plat, puis légèrement bombé à l’approche de son jaghanarom, ses hanches larges, ses cuisses, apparaissent au rythme de sa progression. Elle s’immobilise, elle s’agenouille d’un mouvement reptilien, donnant l’impression de s’enfoncer très lentement, comme dans une lise. Son immersion s’interrompt juste avant que l’eau n’engloutisse sa poitrine qui se couvre d’écailles étincelantes. D’un geste, elle t’invite à la rejoindre. Sa requête accroît à tel point l’intumescence provoquée par son exhibition, qu’après avoir ôté le kurta, tu t’extirpes difficilement du pajāmā. Libéré, ton liṅgaṃ frappe durement ton ventre. Cette turgescence d’une ampleur exceptionnelle est l’expression du désir pulsionnel, du plaisir inouï annoncé par sa parade. Un congrès inédit, auquel tu n’as goûté qu’une fois, que tu as baptisé « du colibri ». Un congrès buccal pratiqué par Mélusine alors que sa langue, par ailleurs humaine, est profondément bifide. #
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Troublant, de se remémorer des souvenirs qui ne sont pas les tiens, n’est-ce pas ?
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Notes :
# ➢ soupir. Dans la version originale, il y avait un soupir et non un dièse. Non seulement cet éditeur ne l’accepte pas, mais sa présence provoque l’effacement de tous les caractères de la page lors de l’édition de celle-ci.
1) Pantalon large de coton fin.
2) Chemise sans col s’arrêtant aux genoux.
3) Les devadāsiyāṃ देवदासियां (servantes de la divinité) consacrées au temple dès leur plus jeune âge, formées pour être des danseuses du temple. Initiatrices sexuelles des jeunes hommes et courtisanes elles jouissaient d’un statut social très élevé. Au singulier ➢ devadāsī देवदासी, nom dérivé du tamoul tēvaraṭiyāḷ தேவரடியாள், qui signifie littéralement : aux pieds du tēva. Tēva தேவ ➢ deva देव (sanskrit et hindi) ➢ divinité (dieu).
4) Vasikari emploie, exceptionnellement, ici sa langue (le tamoul) et non celle de Chandra (l’hindi).
5) Dans Padmāsana पद्मासन (la posture du lotus) les deux talons appuient sur le pubis, alors que dans Svastikāsana स्वस्तिकासन (la posture porte bonheur) il y a un espace entre le pubis et les pieds.
6) Kāmadeva कामदेव est le dieu de l’amour sensuel et physique, de l’érotisme et du désir amoureux. Jeune et très bel homme ailé à la peau verte, il porte un arc fait de canne à sucre, la corde est une chaîne d’abeilles. Ses flèches sont faites des cinq fleurs qui inspirent l’amour :
– Le champaka, le shirisha, le lotus bleu, le jasmin, et la fleur de manguier. Pour les uns.
– Jonesia Asoka, lotus blanc et bleu, jasmin et fleurs de manguier. Pour les autres.
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