Magie - 4 - Eòganán
Nous étions devant l’espace d’accueil (1) qui était alloué à An t-Eilean Sgitheanach, lorsqu’Aífe arriva sourire aux lèvres, je pressentis les ennuis.
« Alors, tu as réussi à me voler Chandra, l’apostropha Scáthach.
— C’est une façon de dire bonjour, ça ? Il t’a quitté au milieu de la nuit ? Déçu probablement ! répliqua vertement Aífe.
— Tu m’insultes ! explosa l’aînée, prête à en venir aux mains.
— Moi ? Non, je m’interroge : pourquoi un homme quitterait-il ton lit pour aller je ne sais où ?
— Il n’était pas chez toi hier soir ? Quand je suis allé à sa chambre, il n’y était pas, je me suis donc rendu à la tienne, tu ne m’as pas répondu !
— Et pourquoi t’es venu le chercher chez moi ? s’étonna Aífe.
— T’es crevée, t’as perdu la mémoire ? T’as failli lui grimper d’ssus d’vant tout le monde, se moqua Scáthach.
— Moi non plus je ne l’ai pas trouvé chez lui, j’ai cru qu’il était chez toi, éluda la cadette.
— Je suis censée croire sur parole une pétasse qui affiche un sourire béat sur un visage marqué par le manque de sommeil ?
— Tu t’es regardée ? t’as l’air d’avoir chevauché toute la nuit, et pas un hongre ! Mais pour en revenir à moi, que veux-tu, faute de grive, on mange du merle. J’ai dû me rabattre sur Eòganán. »
J’en étais sûr, j’avais senti venir la tempête, nous y étions. Mais je fus surpris de me faire traiter de rogaton ! Elle pousse là, la flamboyante.
La tête de Scáthach pivota si rapidement que sa longue tresse de cheveux cuivrés ne manqua le visage d’Aífe que parce que celle-ci recula prestement d’un pas. Les yeux de ma ceann-cinnidh (2) se plantèrent dans les miens, m’intimant l’ordre de répondre.
J’avouai d’un bref hochement de tête, sans la quitter du regard. Dans le sien, je pus lire : TRAÎTRE ! Mon flanc gauche qui couche avec ma sœur, ma rivale ! Comment pourrai-je encore me reposer sur toi au combat ?
Comme je baissais les yeux, elle tourna la tête vers sa cadette avec la même brusquerie. J’hésitais et fus cinglé par la natte qui me marqua la joue, je perçus sa satisfaction. La tension redescendit.
« Ça m’étonne pas de toi, tu te tapes n’importe quoi ! cracha-t-elle en insistant sur le dernier mot à mon intention.
— Je viens de te dire que j’avais pas trouvé mieux ! répliqua Aífe en entrant dans le jeu de sa sœur. Et toi, si t’étais pas avec Chandra, de qui as-tu partagé le lit ?
— J’ai essayé un Elfe, pour les oreilles ! »
Elles éclatèrent de rire, je soupirais d’aise.
« Eh bien ! Raconte, l’encouragea Aífe.
— Cinn-cinnidh, si nous entrions dans notre espace », tentai-je de les persuader, car l’espace dédié aux Elfes est relativement proche du nôtre et nos cinn-cinnidh ont le verbe haut.
« Laisse le merle jaser ! ironisa Scáthach. C’était... comment dire ? Sa peau était douce comme celle d’un bébé, tu as remarqué qu’ils sont graciles. Celui-là l’était de partout, de même, ce sont tous ses membres qui étaient longs. Novice, il fut excellent élève, enthousiaste, roide, persévérant et infatigable. Je lui ai tripoté les oreilles, ça n’sert à rien ! Une bonne nuit. Rien d’exceptionnel, mais dans son monde, je serai une légende et ça, c’est extraordinaire.
— Ha ! pourquoi n’y ai-je pas pensé ? s’esclaffa Aífe. »
C’est alors que, parée d’une aura de plénitude, la Bandrui de Shanyl s’approcha de nous.
« Toi ! c’est toi qui as eu le plaisir de partager la couche de Chandra, s’écrièrent en cœur les deux sœurs.
— Non ! Qu’est-ce qui vous fait dire ça ? réussit à articuler Maebd dans un fou rire.
— Ça se voit, il suffit de t’regarder, répondit Aífe.
— C’est écrit dans les étincelles au fond d’tes yeux, abonda Scáthach.
— Non, mes chéries, j’ai reçu la visite d’un vieil ami…
— Qui ? »
La discussion fut interrompue par un chant dans une langue inconnue. Nous vîmes la princesse Grüchka qui sautillait d’un pied sur l’autre comme une fillette au rythme de sa comptine, en passant devant nous elle fit une roue, puis une seconde.
« Bonjour, Princesse. Vous êtes de bien belle humeur ce matin, la salua Maebd.
— Bien le bonjour mesdames, monsieur. C’est grâce à Mael, cette nuit, nous avons fait le moulin, il fit le corps et moi les ailes. Hi hi hi ! Bonne journée ! »
Sur ses mots, elle fit une nouvelle roue et reprit son cheminement enfantin en direction des Elfes.
Nous restâmes sans voix.
Aífe fut la première à retrouver la sienne.
« Le moulin ? C’est quoi cette histoire ? Il est aussi grand que moi et elle est très petite, mais je n’ai pas connaissance d’une telle pratique.
— Demande-lui de faire venir un de ses congénères, si le moyeu put tourner autour de l’axe, l’axe doit pouvoir tourner dans le moyeu, la moqua Maebd. Si elle ne nous a pas mystifiées.
— Qui se dévoue pour poser la question à Mael ? Toi Maebd, c’est ton vieil ami, même si manifestement c’est pas lui qu’est venu te visiter, suggéra Scáthach.
— Je te laisse volontiers ce plaisir, se contenta de répondre la Bandrui.
— Allez, dis-nous. Qui te rend si rayonnante, si ce n’est ni Chandra ni Mael ? s’enquit Aífe.
— Vous n’allez pas… »
J’eus un hoquet de surprise, je posais la main sur le bras de Scáthach pour attirer son attention. Elle se dégagea avec humeur, néanmoins elle suivit mon regard. Maebd et Aífe lurent l’étonnement sur son visage, cherchèrent des yeux ce qui la surprenait et virent celle que toutes les personnes qui se trouvaient dans le hall regardaient.
La baronne Martô. Vêtue d’une robe élégante, mais stricte qui la couvrait du cou aux chevilles à la mode shannonnaise, elle paradait, semblant glisser sur le sol semblable à un cygne noir traversant un étang peuplé d’aigrettes, d’oies, de flamants, bernaches et autres oiseaux. Son sourire irradiait le bonheur, elle était sur un nuage, quand d’un geste savamment désinvolte, elle repoussa ses cheveux derrière son oreille droite dévoilant la briolette qui y était pendue.
Nous étions subjugués.
« Oyez, oyez, clama le héraut. Tous nos hôtes, leurs escortes et leurs serviteurs sont invités à se réunir dans une heure auprès du bassin qui se trouve au milieu de ce hall. Notre roi a une très importante communication à vous faire. Les membres du personnel du palais doivent se rendre dans leurs réfectoires. »
Des tables commencèrent à apparaître autour dudit bassin.
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Notes :
1) Au nombre de six, les espaces d’accueil, de six toises de côté, dont les cloisons sont constituées de bacs emplis de terre d’où s’élèvent des treillages de quatorze toises de haut, sur lesquels sont palissés de rosiers, clématites, jasmins, chèvrefeuilles, glycines et vignes vierges. Ils sont répartis sur les mille quatre cent quatre-vingt-dix toises carrées (plus d’une acre) du hall.
2) Ceann-cinnidh (cinn-cinnidh) ➢ chef de clan (chefs de clan) – Gaélique écossais.
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