Histoires d'Angles - 1 - L'empire
Quand les missionnaires sont venus,
nous avions la terre et ils avaient la bible.
Ils nous ont appris à prier avec nos yeux fermés.
Quand nous les avons ouverts,
ils avaient nos terres, et nous avions leur bible.
Jomo Kenyatta
En l’an 812, l’empereur Beorhthere régnait sur la quasi-totalité du gebærdstán gehealdendgeorn, seuls les territoires déshérités du nord-est et du sud étaient indépendants. Indépendance qu’ils devaient au peu d’intérêt économique qu’ils présentaient (pas de matières premières localisées dans leurs sols, agricultures peinant à subvenir aux besoins de leurs populations, côtes peu poissonneuses).
Sous son autorité, l’empire, composé de treize royaumes, vivait en paix depuis douze ans. Il réglait avec sagesse tous les différends qui opposaient ses vassaux.
Eadwulf fut un leader précoce. Grand et fort, le fils de Ceolfrith – la bien aimée sœur puinée de l’empereur – excellait à toutes les armes. Les maîtres de tactique et de stratégie ne tarissaient pas d’éloges à son égard. Nombre de jeunes officiers – néanmoins ses aînés de dix ans et plus – rêvaient de combattre à ses côtés.
Il n’avait que seize ans lorsqu’il persuada son oncle de le mettre à la tête d’une armada de vingt-cinq navires, dans le but de sauver les âmes d’éventuels incroyants peuplant d’hypothétiques terres situées à l’ouest du continent.
Toutefois, les comptes rendus du cabinet conservés au Drumghyll cynebotl ⁽¹⁾, mentionnent que l’empereur et les membres du conseil convinrent que, même s'il était fort élevé, le prix à payer pour se débarrasser de l’impétueux et très ambitieux jeune guerrier n’était pas exorbitant. Le Commandeur des croyants saisit l’occasion pour adjoindre au prince un autre trublion, Brictric, le fanatique prêcheur des chevaliers de la foi, ainsi que tous ces derniers.
On peut également y lire qu’on avait envisagé que s'il ne trouvait pas les terres espérées, Eadwulf à son retour tente de s’approprier un territoire de l’empire. « Il faut tout envisager » était la devise de Beorhthere. En conséquence, on s’était assuré que seulement cinq galères soient armées de pièces d’artillerie, qu’aucun canon de campagne ne soit embarqué sur les bâtiments de ladite armada et que ni fondeur ni alchimiste ne participe à cette expédition.
Cinq lunes plus tard, trois des vaisseaux de cette escadre étaient de retour au port, porteurs d’un message triomphant d’Eadwulf. Celui-ci réclamait des volontaires civils des deux sexes pour peupler son territoire, ainsi que tout ce que l’on avait soigneusement évité de lui donner.
Après avoir entendu le rapport du commandant du navire amiral – lequel soulignait qu’il semblait que les indigènes ne connaissaient ni la poudre noire ni la cavalerie lourde –, l’empereur n’accéda qu’à la demande d’envoi de colons.
Répondirent à la proposition d’émigration : des familles de soldats déjà sur ces terres lointaines – dont les parents d’Eadwulf –, des pauvres à qui on fit miroiter l’octroi de terres, des aventuriers – nobliaux épris de gloire et détrousseurs amateurs de mises à sac –, des veuves avec ou sans enfants et des ribaudes sorties de geôles et des fanatiques religieux pressés de convertir des impies.
En lieu et place des armements, alchimistes et fondeurs demandés, Beorhthere envoya un vice-roi – représentant de l’empire, pour gouverner les territoires de ce Nouveau Monde conquis par les Angles – auprès de son neveu.
L’empereur ne fut pas surpris du retour du vice-roi, moins de six lunes plus tard. Mais il fut fort chagriné d’apprendre que sa tendre cadette, Ceolfrith, était morte en donnant le jour à une fille : Rimilda, née en mer avant d’atteindre le royaume de Shay.
Earpwald, éphémère vice-roi de Shannon, relata à l’empereur son entretien avec Eadwulf – après avoir exprimé sa satisfaction de pouvoir le faire, celui-ci ayant envisagé de ne renvoyer que sa tête à Drumghyll. Outré que son oncle – qui ne l’avait que médiocrement équipé – ne le désigne pas lui, le conquérant de Shannon, pour gouverner ses terres au nom de l’empire, il décréta qu’il les gouvernerait donc en qualité de despote. Il rompit toute relation avec l’empire et son dirigeant qu’il accusait d’avoir laissé sa mère mourir en mer.
Le conseil loua l’empereur pour sa clairvoyance.
Dans les lunes qui suivirent, dix-huit des unités de l’armada regagnèrent les ports de l’empire. La marine avait toujours été une arme fidèle.
À ce jour, l’empire n’a aucune relation avec Shannon ou tout autre contrée du royaume de Shay.
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Note :
1) Drumghyll cynebotl ➢ Palais de Drumghyll (capitale de l’empire).
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