Les aventures du dragon - 4 - vu d'un Angle

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L’interdiction des potions préparées par les sorcières – seules médications connues pour soigner la maladie bleue – incitait les Celtes à aller en quérir ailleurs, voire à s’y réfugier avec leurs enfants.

En conséquence, Niall avait fait fermer les frontières de Shannon.

Les céimeanna an thiar avaient fait sécession. Rimilda pleurait son mari bien-aimé, et voulait la mort de son neveu. Les chevaliers de la foi établirent un cordon sanitaire aux limites du marquisat.

Loin de là, le þeġn Denewulf – qui n’était ni valeureux, ni puissant, ni courageux, ni perspicace, ni résolu – s’était vu confier la surveillance d’un gué sur an abhainn ag tonnail⁽¹⁾.

Denewulf

Bivouaquer ici, quelle corvée ! Garde-frontière, tu parles d’un poste gratifiant ! Ça fait quatre jours que je n’ai pas jeté une endêvée sur ma paillasse pour lui apprendre ce qu’il en coûte de ne pas respecter la loi. Et cette bouffe dégueulasse qui m’ravage les tripes, y’en a un qui va m’payer ça.

« Chef, v’là deux cavaliers qui viennent d’Shanya ! » m’interpelle la sentinelle.

Putain ! Pas moyen d’être tranquille aux feuillées.

« À vos postes ! ordonné-je. J’vous rejoins ! »

Le temps de me torcher, de me reboutonner. Quand j’arrive, je vois approcher deux chevaux, un moreau et un tobiano, très beaux d’ailleurs, mais un seul homme.

« Halte ! m’écrié-je.

Nāṉ karuppu ṭirākaṉ !

— Tu ne comprends pas l’angle ? »

Il avance au milieu du gué, détache la bête dessellée. Veut-il me l’offrir pour que je le laisse passer ? C’est une magnifique jument.

« Halte ! » répété-je.

Mes piquiers pointent leurs armes dans sa direction. J’ajoute :

« Rends-toi !

Nāṉ eṉ appā tēṭukiṟēṉ, avar teṟkē ceṉṟuviṭṭār. Eṉakku enta keṭṭa eṇṇamum illai! » baragouine-t-il.

D’un geste, j’enjoins aux fantassins de former une nasse.

Mais ! Les oreilles de la cavale sont tordues… celles du mâle aussi, sont-ils malades ? Fais chier ! Y vaut mieux pas accepter, si y’a un agent de renseignements dans ma section, ça m’coûterait la vie.

L’étranger a repris sa progression.

À treize contre un, je dois pouvoir m’emparer des deux chevaux, sans faillir à mon devoir.

À peine l’étalon a-t-il posé un sabot sur la rive, que l’énergumène arrête ses montures et saute à terre.

Ha ! Le con, y s’engage pas dans la souricière. Qu’est c’qu’il tient ? Un genre de fouet.

« Il est noir comme un corbeau ! éructe Eadbeald.

— C’est un démon trompeur impie ! surenchérit Regnheah.

Nāṉ Cantirā tēṭukiṟēṉ », jargonne l’inconnu.

Chandra ? Il a dit Chandra ! Ça n’peut pas être lui, il paraît qu’il a la peau halée, mais pas noire ; qu’il voyage avec un loup gigantesque et parle ceilteach. Voyons voir !

“An tusa Chandra ? An labhraíonn tú Ceilteach?⁽²⁾

Cantirā ? Ām ! Cantirā uṉakku teriyumā ?”

Merde, j’comprends pas ç’qui raconte, mais il arrête pas d’répéter Chandra.

« Chandra ?

— Cantirā ? »

Son espèce de fouet a l’air dangereux, à douze ils arriveront bien à le maîtriser.

« Saisissez-le ! » enjoins-je, en reculant de trois pas.

Hasts en avant, mes piquiers se précipitent vers lui. Les plus près de an abhainn ag tonnail s’engagent dans l’eau pour l’encercler.

Alwealda ! C’est quoi ce truc, son hweop⁽³⁾, c’en est pas un, il a fait du p’tit bois avec les hampes des lances de Walahfrid et Saefugl qui l’contournaient. Merde, les deux canassons leur ont défoncé l’crâne à coup d’sabot.

« Tuez-le ! »

Qu’Alwealda nous protège ! Les beaduméceas⁽⁴⁾ de son instrument volent dans tous les sens, car ce sont des lames, pas des lanières. Elles sectionnent la chair comme le bois !

Quand Eadbeald – qui attaquait l’adversaire sur sa droite –, après avoir perdu la pointe de son arme, décida de poursuivre son assaut seaxbenn à la main, sa tête l’abandonna pour aller rouler sur le sol. Byrhtferth en profita pour tenter de l’embrocher par sa gauche, mais la pique passa au-dessus du crâne de sa cible qui s’était accroupie, les lamelles d’acier tranchèrent les jambes de mon subalterne.

Maintenant, ce sont Ceolfrith, Aelfwaru, Hwaetbert et Theodoric qui fondent sur lui de concert. Tandis que Hwaetbert et Theodoric, après avoir été privés du fer de leurs pertuisanes, se font déchiqueter par les serpents qui sifflent dans l’air au rythme de la danse de mort qu’exécute Chandra. Inconscients du danger, Ceolfrith et Aelfwaru, pensant prendre à revers le démon noir, le sont eux-mêmes par les surprenants supplétifs de celui-ci, qui les piétinent, les réduisent en deux masses informes.

Regnheah et Ulfcytel s’enfuient comme des lâches. Ils payeront ça.

« Gardez-moi ! » intimé-je aux deux survivants, en entamant une prudente retraite.

Qu’Alwealda soit remercié, le tueur sanguinaire vient d’enfourcher le moreau, et tous trois poursuivent leur chemin.

« Oswyn, amène-moi un des pigeons de l’Ealdormann, puis avec Freodhoric préparez un bûcher pour vos camarades ! » lancé-je en regagnant ma tente.

« Ealdormann Guthfrith,

Nous avons été attaqués par le dénommé Chandra et deux autres démons de forme équine.

Les piquiers Regnheah et Ulfcytel ont déserté dès le début de l’affrontement.

Blessé à la cuisse, je suis le seul rescapé, j’aurais volontiers sacrifié ma vie pour les retarder, mais j’ai pensé qu’il était de mon devoir de vous prévenir que nos assaillants se dirigent vers vous.

Votre dévoué þeġn Denewulf. »

Je roule le message et le place dans le tube que j’accroche à la bague du pigeon.

« Vole mon beau, rentre chez toi. »

∞ ∞ ∞

« Les gars, venez, le medu nous aidera à oublier cette journée, à rendre hommage à nos camarades morts. »

∞ ∞ ∞

Ivres comme ils étaient, il m’a été facile de les tuer. Maintenant, il me faut les traîner jusqu’au bûcher et les poser dessus. Après il me restera la tâche la plus pénible : me blesser sans que cela soit grave, tout en ayant l’air de l’être.

∞ ∞ ∞

Allez, un verre de medu… « Aiiiie ! »

¤¤¤

Notes :

1) an abhainn ag tonnail ➢ la rivière qui ondule – Gaélique écossais.

2) An tusa Chandra ? an labhraíonn tú Ceilteach? ➢ Êtes-vous Chandra ? Parlez-vous celtique ? – Gaélique irlandais.

3) Hweop ➢ fouet, fléau – Vieil anglais.

4) beaduméce, pluriel beaduméceas ➢ lames de combat – Vieil anglais.

Pour les curieux(ses) qui voudraient savoir ce qu’a dit கருப்பு டிராகன்.

Nāṉ eṉ appā tēṭukiṟēṉ, avar teṟkē ceṉṟuviṭṭār. Eṉakku enta keṭṭa eṇṇamum illai! ➢ நான் என் அப்பா தேடுகிறேன், அவர் தெற்கே சென்றுவிட்டார். எனக்கு எந்த கெட்ட எண்ணமும் இல்லை!

Nāṉ Cantirā tēṭukiṟēṉ ➢ நான் சந்திரா தேடுகிறேன்

Cantirā ? Ām ! Cantirā uṉakku teriyumā ? ➢ சந்திரா? ஆம் ! சந்திரா உனக்கு தெரியுமா?

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