Les aventures du dragon - 10 -Erestia
Erestia, la 26 elembiu
Chandra, mon aimé,
Ce n’est pas parce que tu es absent du ciel ce soir que tu croupis dans les geôles de ce maudit château.
Ce n’est pas parce que la nuit est noire que tu es ce prisonnier à peau noire, dont Niall affirme qu’il s’agit de toi.
Cet après-midi, ce dernier est venu, très fièrement, m’annoncer que l’ealdormann Guthfrith était enfin arrivé, ce matin, à Erestia et que l’on t’avait aussitôt jeté dans un “cul-de-basse-fosse”. J’ai eu l’audace de lui dire qu’il se murmurait que son captif avait l’épiderme sombre, et qu’il n’était peut-être pas celui que l’on prétendait (je n’en reviens toujours pas).
Fou de rage, il m’a giflée, a attrapé mon poignet et m’a traînée derrière lui, jusqu’à la cellule dans laquelle croupissait le détenu censé être toi.
Là, je l’ai vu, il a tes traits. J’ai tout de suite reconnu ton visage, ça m’a fait chaud au cœur et cela me l’a dévasté. Cependant, il est noir, a le crâne nu et c’est à peine un homme, on dirait un adolescent. Comme je fis remarquer au despote que s’il te ressemblait, il n’avait ni ta maturité, ni ta chevelure, ni ta couleur. À l'énonciation de ton prénom, le pauvre garçon se mit à débiter une suite de sons incompréhensibles dans lesquels je distinguais néanmoins, très clairement et à plusieurs reprises, le mot “Chandra”.
Malheureusement, ce fut également le cas de Niall, qui argua que tu ne cessais de te targuer de ton nom. Que tu es un démon, que l’on ne peut déduire un âge de ton apparence, que tu as sans doute des milliers d’années. Et, que nous te voyions, maintenant, sous ta véritable tournure. Que c’est le monstrueux loup (un þyrs ⁽¹⁾ dont tu ne serais qu’une marionnette) qui t’habillait de la forme humaine sous laquelle tu t’es présenté au palais d’Alastyn ! Que c’est lui aussi qui te permettait de parler dans nos langues bien lointaines de celle de ton engeance que nous entendions à présent ! Qu’alors, Biriya ⁽²⁾ t’avait fait dire qu’il était dans ta tête et parlait par ta bouche !
Il me fut impossible de lui faire entendre raison. Il vous rend, Biriya et toi, responsable de la mort de mon frère. Il te hait, il veut du sang. Tant pis s’il verse celui d’un innocent (je n'insinue pas par-là que tu ne l’es pas), il se réjouira des sévices qu’il lui infligera comme s’il s’agissait de toi.
Lors de mon retour dans ma prison, tout le personnel avait été changé.
C’est horrible, j’ai beau essayer de penser à autre chose, cette question me tourmente : cet âge, cette ressemblance ! Aurais-tu un fils ?
L’homme qui va m’épouser, va-t-il faire torturer à mort le frère de notre enfant pour notre mariage ?
Je suis perdue ! La mort me hante, fais quelque chose ! Je t’en supplie, je ne pourrai supporter cette abomination !
Sauve-nous, ta progéniture et moi. Le jour de ces maudites noces approche.
Nous t’aimons ! Nous avons besoin de toi. ❤️❤️❤️
¤¤¤
Notes :
1) Þyrs ➢ géant, enchanteur, démon – Vieil anglais. (Concept assez proche de celui de Jötnar, dont celui que Chandra appelle Bhediya prétend descendre.)
2) Rappel : Aubierge écrit le nom “Bhediya” comme il se prononce.
***
J’avais l’intention d’amener Aubierge à soupçonner le lien filial entre Chandra et Karuppu ṭirākaṉ en lui faisant noter, dans le charabia tamoul de ce dernier, les nombreuses occurrences du mot appā (அப்பா) proche des :
– Pāpā (पापा) hindi.
– Papa français, allemand, maori, russe et ukrainien (папа).
– Pappa norvégien et suédois.
– Papá espagnol, italien et galicien.
– Tаtа biélorusse, bosniaque, croate, polonais, roumain et serbe.
– Papákis (παπάκης) grec.
– Dada malgache.
– Baba turc et de diverses langues africaines.
Mais, si je n’ai pas trouvé la traduction de ce mot en anglo-saxon (vieil anglais), la proximité du mot “fæder” (père) avec l’anglais moderne “father” laisse supposer que papa était proche de “dad” ou “daddy”. Il se trouve par ailleurs que papa se dit “daid, dhaid, deaide ou Dhaidí” en irlandais et “dadaidh” en gaélique écossais, les deux sources du ceilteach (langue des autochtones).
Toutes ces consonances m’ont semblé trop éloignées de “Appā” pour qu’Aubierge puisse faire le rapprochement (quand ça veut pas, ça veut pas).
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