Les aventures du dragon - 12 - ♪ Libéré, délivré ♫

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« Réveille-toi ! »

Appā, pourquoi as-tu des ailes ?

« RÉVEILLE-TOI ! »

Mais, tu n’es pas appā, tu es un nāga !

« RÉVEILLE-TOI ! »

Hein !… Qu’est-ce que c’est ? Où suis-je ?

La cellule !

Je suis toujours prisonnier… Ce n’était qu’un rêve !

C’était trop beau ! Enfin, beau, c’est une façon de penser.

« Évade-toi ! »

??? J’entends des voix ! rêvé-je, encore ?

Civaṉ ! Des barreaux sont tordus !

L’intervalle, entre deux d’entre eux, semble avoir subi une constriction, les deux contigus ont également été resserrés. Paradoxalement, seuls ceux situés au centre ont été déformés, les deux extérieurs sont restés droits. J'introduis la tête dans l’espace libre, personne ni d’un côté ni de l’autre, je me glisse hors de ma geôle.

À droite, le couloir ne va pas très loin, trois cachots vides, puis une paroi de roche brute. Je me dirige vers la gauche. Au bout, je vois un escalier et juste avant un renfoncement dépourvu de grille. Je passe devant sept cellules inoccupées, à l’approche de la cavité, je me plaque à la cloison, avance doucement. Je m’immobilise à l’encoignure, écoute. Aucun bruit, pas même de respiration. Je me prépare au combat et surgis dans le poste de garde.

Civaṉ ! Trois hommes sont morts… la poitrine broyée. Hēy ⁽¹⁾ Civaṉ ! Il y a également un bassin sanguinolent avec des jambes… aucune trace du tronc, des bras et de la tête, des viscères non plus.

Mais, là, accrochés à un râtelier, mes armes… et pendus à un crochet, mon salavāra et ma kamīza, je m’en empare, enf…

« Non ! »

La captivité m’a rendu fou. Je m’apprête à enfiler la seconde jambe…

« Mets leurs vêtements !

— Pourquoi t’obéirais-je ? Qui es-tu ?

— Je suis celui qui t’a libéré !

— Merci, mais ça ne me dit pas qui tu es !

— Fais ce que je te dis, et tu seras sauf.

— Qui es-tu ? Que veux-tu ? Où es-tu ?

— Je t’ai délivré, au lieu de te décider à t’en aller, tu ergotes.

— Leurs habits sont trop grands pour moi, ils vont entraver mes mouvements.

Hēy ! Évidemment. Dommage, ils t’auraient permis de passer inaperçu.

— Mais, t’es où, vipaccāra viṭuti ⁽²⁾ ? Pardon am’mā. Regarde-moi ! Vêtu de noir, dans des couloirs sombres, je serai quasiment invisible !

— …

— T’es parti ?

— …

— Bon débarras ! »

En ayant terminé avec le salavāra et endossé la kamīza, je ceins l’ōrilaicuruḷ autour de ma taille, plaçant la poignée sur ma hanche gauche, pommeau orienté vers le haut. Puis j’empoigne l’aintilaic curuḷ de la senestre et m’engage dans l’escalier.

Arrivé au niveau supérieur, je m’arrête, seuls mes yeux et le sommet de ma tête émergent de la trémie. J’observe. Une pâle lueur lunaire dessine des fenêtres dans la pénombre qui baigne l’immense pièce. Je reconnais le hall que j’ai traversé lorsqu’on m’a amené ici, entravé. Deux torches éclairent les battants fermés du grand portail qui mène à la liberté. De chaque côté se trouve un garde, mais ils semblent inattentifs, appuyés contre le mur. C’est le moment d’en profiter. Je grimpe les dernières marches, pose un pied sur le plancher, m’apprête à faire de même du second…

« Monte encore ! »

Je m’immobilise.

« Pourquoi ferais-je ça ? » pensé-je, en amorçant la redescente.

L’image de la femme compatissante naît dans mon esprit, elle est devant une baie, contemple la lune, baisse les yeux, regarde dans ses mains. Civaṉ ! La briolette d’appā !

Je poursuis mon mouvement de repli.

« D’accord, c’est intéressant, mais réponds à mes questions : qui es-tu ? Que veux-tu ? Où es-tu ? Sinon, je sors d’ici, tout de suite ! songé-je.

— À la demande de Civaperumāṉ ⁽³⁾, mon père, Vācuki ⁽⁴⁾, m’a chargé de veiller sur toi. Ça répond à tes questions ?

— Tu es le nāga qui m’a réveillé ! Mais où es-tu ?

— C’est compliqué, tu ne peux pas plus me voir que je ne peux te voir, nous partageons le même espace intrinsèque ⁽⁵⁾. Quand tu l’occupes, je n’y ai pas ma place, pour que j’y apparaisse, il faut que tu disparaisses…

Hēy ! Je t’ai vu, quand tu m’as réveillé !

— Tu ne m’as pas vu, tu avais les yeux fermés, tu dormais, tu m’as perçu dans ton rêve.

— Quel rêve ?

— Qu’est-ce que j’en sais, moi ? J’avais pris ta place. Je ne le fais que lorsque tu dors. Comment t’expliquer ? Imagine un sac de caṇal ⁽⁶⁾ dont on a teint l’extérieur en orange et l’intérieur en bleu, quand on retourne le sac, l’extérieur est bleu et l’intérieur orange. Il en va de même pour nous, je suis en toi et chaque fois qu’il est nécessaire que j’intervienne, dès que tu dors, je nous retourne. Ce que j’ai fait pour t’aménager un passage entre les barreaux et éliminer les gardes.

— Tu te moques de moi !

— Non ! Mettrais-tu en doute la parole du nāga chargé, par Civaṉ, de veiller sur toi ?

— Et comment pourrais-tu me protéger si tu ne le peux que lorsque je dors ? Où étais-tu quand un filet est tombé d’un arbre, m’immobilisant ?

— Je n’ai pas dit que je ne peux te supplanter que si tu es plongé dans le sommeil, mais que je m’en abstenais pendant tes périodes de veille. Tu n’aimerais pas du tout ! Tu as déjà cru devenir fou quand je me suis adressé à toi. Que te serait-il arrivé, si tu t’étais retrouvé, conscient, enfermé dans mon corps, à voir, entendre, sentir, ressentir tout ce que je vois, entends, sens et ressens, sans pouvoir agir ? Je ne m’y résoudrai qu’en dernier recours. Quant à me substituer à toi dans les rets, cela risquait d’inciter tes ennemis à mettre fin à nos jours, alors qu’ils se contentaient de t’avoir capturé et neutralisé. Loin de moi l’intention de te flatter ! Mais jusque-là, tu t’étais fort bien débrouillé sans moi.

— J’aurais dû me souvenir de l’adage : “Si un nāga répond à ta question, tu regretteras de l’avoir posée”.

— Que voici une opinion, humaine, bien tranchée, qui m’interpelle. Sais-tu d’où vient ton nom, parce que Karuppu, c’est évident, mais Ṭirākaṉ ?

— Qu’insinues-tu ?

— Je n’insinue rien, je m’interroge, sans plus. Je te demande de te rendre auprès de cette femme avant que l’alerte soit donnée.

— Alors, dis-moi, ô, mon protecteur, pourquoi veux-tu que je la rejoigne ?

— Elle détient le talisman qui liait tes parents. La rupture de ce lien tue ta mère, à petit feu.

— Tu as raison, allons-y ! »

Je regagne le rez-de-chaussée, les sentinelles sont toujours aussi peu attentives.

« Monte ! »

Pieds nus, c’est en silence que j’atteins les solives soutenant le premier niveau. Je m’arrête, observe au ras du sol, prête l’oreille. Aucun doute, le renfoncement que j’aperçois est un poste de garde, il en provient des ronflements, des chuchotements. Avec précautions, je poursuis mon ascension. Des dés roulent, une main claque sur une table, un rire résonne, je m’immobilise sur le palier. Des pièces tintent, les dés roulent à nouveau.

« Je vais où, maintenant ?

— Monte, encore ! »

Je m’engage dans la volée de marches suivante, on ne discerne ni le contact ni le décollement de mes pieds sur la pierre qui les compose. À l’approche du deuxième étage, je réitère des examens visuels et auditifs.

Rien en vue et pas un bruit.

« À présent ?

— Elle est dans la pièce qui te fera face quand tu sortiras de la cage d’escalier. »

J’avance à pas de loup jusqu’à l’huis, il comporte une poignée à poucier. J’appuie sur celui-ci, pousse légèrement le battant, relève doucement le pouce, la clenche redescend sans heurt hors du mentonnet. J’attends. Aucune réaction, j’entre. Elle est debout, face à la baie, se retourne, regarde vers moi, elle est surprise, soulagée. Elle met son index devant sa bouche, me désigne une tenture, joint les mains – entre ses doigts, la briolette –, les porte à son visage, le dos de la gauche contre sa joue droite, elle penche faiblement la tête de ce côté.

Elle vient vers moi, je vais vers elle. Elle pose ses paumes, en coupe, autour de ma figure – le bijou frôle ma peau –, m’examine, sourit et chuchote :

« Þu bist bearn, his bearn… sē Chandra eaforan!

— Cantirā est mon appā, savez-vous où il est ? m'enquiers-je, sur le même ton.

— Þu wilt bist sóna mann ! ajoute-t-elle.

— Cantirā, où est Cantirā ? » insisté-je.

Pour toute réponse, elle prend ma main et délicatement la pause sur son ventre, son sourire s'épanouit.

« Þu fēlst ? sē biþ þīn fæderenbróðor, sē Chandra eaforan ! »

Civaṉ ! Elle porte un enfant ! d’appā ! Am’mā, que va…

Un grand vacarme résonne à l’extérieur de la chambre, des hommes courent dans les escaliers, je reconnais le bruit caractéristique des armes ébranlées par le rythme des pas. Des cris retentissent :

« Tó gewǣpnu ! »

« Sē gehæftend ābræc ! »

« Tó gewǣpnu ! »

« Il faut partir, prends le talisman ! »

Il y a du mouvement derrière la tenture qui ferme la garde-robe.

« S’il vous plaî… »

« Prends-le !

— Pas comme ça, je… »

« AAAAAAAAAAAAAAAAAAAH ! »

Ma main, non, sa main arrache le diamant de celle de la femme.

« Non !

— Tais-toi ! »

Alors qu’elle pâlit, défaille et s’écroule, je ? Il ? Nous ! Nous nous… non ! Je me précipite vers la baie, me jette dans le vide, mes ailes s’ouvrent, claquent dans le vent.

Je vole !

¤¤¤

Notes :

1) Hēy ஹேய் ➢ are अरे ➢ interjection (hé ! oh ! ah !).

2) Vipaccāra viṭuti விபச்சார விடுதி ➢ bordel. De vipaccāra விபச்சார ➢ prostitution et viṭuti விடுதி ➢ auberge.

3) Civaperumāṉ சிவபெருமான் ➢ bhagavāna Śiva भगवान शिव ➢ seigneur Shiva.

4) Vācuki வாசுகி ➢ Vāsuki वासुकि. cf. note du chapitre “Explication de texte”.

5) Aucun rapport avec les espaces métriques intrinsèques.

6) Caṇal சணல் ➢ jute ➢ jūṭa जूट. Également ➢ chanvre ➢ bhāṃga भांग ☺.

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