Moi ch'uis une petite fée en apprentissage et j'ai déjà cinq ans, mais quand ch'rais grande, ch'rais une vrai fée !
Je vois les visages dans les écorces des arbres , les animaux dans les nuages. Et je sais que les fruits ont des reines : ce sont celles qui portent les robes en papier de soie.

Papa, il croit pas que ch'uis une fée, il ne croit pas aux fées.
Pourtant ça se voit : j'écris de la main gauche, c'est pas comme tout le monde déjà ça !
Mais papa il dit que c'est pour me donner un genre, Je comprends pas ce que ça veut dire. Il me met les feutres dans l'autre main quand je dessine et c'est difficile comme ça ! Mais sûrement que c'est mieux de pas avoir un genre...

Mon nounours s'appelle Coralie, c'est le nom d'une petite fille que j'ai toujours envie de tuer, parce que maman s'occupe d'elle et lui donne l'amour qu'elle me doit.
Les fées, elles tuent personne alors je chasse Coralie et je la tape, mais c'est tout, je la tue pas.
Papa il s'en fiche presque de Coralie, sauf si je la tape. Il dit que c'est mal de taper.
Alors je comprends que on a le droit que quand on est grand.

Je crois pas au petit Jésus, il est tout le temps en train de dire que c'est pas bien et qu'il faut faire des efforts.
Moi je crois au Père Noël, parce que c'est une sorte de génie et quand il vient la nuit me donner des cadeaux, ça me fait tellement plaisir : c'est pour ça que j'apprends à devenir une fée, c'est pour donner des cadeaux aux autres enfants.
Et puis aussi pour rester à côté d'eux quand l'orage gronde dans la maison.

Moi, je sais pousser les gens à faire des choses auxquelles ils pensent même pas. Je peux les forcer à me regarder ou à se retourner et je sais qu'un jour je pourrais les envoûter, pour les obliger à être gentils avec moi. Je pousserai papa.

Ch'uis la petite fée de maman, ch'uis celle qui veille, celle qui peut tout pour elle.
Ch'uis une fée de colère, quand je crois qu'on veut me faire du mal.
Tu sais ? La colère c'est dangereux, c'est un orage dans la tête, les éclairs dans les mains et la méchanceté dans le coeur. Mais c'est pas de ma faute !

Papa aussi c'est pas de sa faute ; dés fois quand il rentre et que sa tête et ses mains sont habillées de foudre. Alors là, moi ch'uis une toute petite fée sans aile.

J'ai un monde à moi : c'est un pays de fées où je vais me cacher. Papa peut pas me trouver parce qu'il croit pas aux fées. Toutes les choses parlent comme des gens dans ma cachette et elles ont des sentiments. Mon tricycle rouge est triste, si je l'oublie sous la pluie. Coralie, mon nounours, pleure quand je le laisse au lit.
Et tu sais ? C'est vrai que les fleurs dansent la nuit quand je dors. Et Coralie les rejoint toujours.

Ch'uis une fée, mais ch'uis qu'une apprentie et je peux rien faire contre le grand-père à la jambe de bois. Il est mort. Il revient cogner et taper avec son pied dans mes cauchemars.
Les grandes fées peuvent le chasser… Moi aussi j'espère que je pourrais.

J'ai pas besoin d'aller à l'école, mais ch'uis obligée parce que je veux pas être une cloche, ou un âne et en plus ch'uis idiote !
Pourtant c'est pas là qu'on apprend la magie. Et puis, j'aime pas y aller : dans la cour, ch'uis en danger parce que les autres enfants n'aiment pas les fées. Ils me chassent, ils me tapent.

Maman et moi on s'en va, pour échapper à l'orage et à la foudre.
Je sens bien qu'elle a peur, alors je ne dis rien quand on monte dans la voiture du monsieur.
Je me demande si mon papa va rester tout seul.
C'est pas bien d'abandonner quelqu'un quand on est une fée. Mais je peux pas attendre, je dois rester avec ma maman pour la protéger : je dirai aux grandes fées de bien s'occuper de lui.

Quand même, ch'uis contente qu'on parte parce que maintenant, je sais ce que ça veut dire "mourir" et j'ai trop la trouille que maman meure : je veux pas vivre seule avec papa, je l'aime beaucoup, beaucoup mais il me fait trop peur.

Parfois j'aimerais bien arrêter d'être une fée, et redevenir une petite fille ; ce serait plus facile je crois pour être aimée.